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Études de santé : un statu quo intenable !

SNCS-FSU26 février 2025
Article de la VRS n°439 - (Dossier) Quatre ans de réforme des études de santé : et après ?

La Cour des comptes vient de rendre un important rapport intitulé « L’accès aux études de santé. Quatre ans après la réforme une simplification indispensable¹ ». Ce rapport très critique, qui a fait l’objet d’une communication à la commission des affaires sociales du Sénat suivie d’un débat public, sera suivi de nouvelles investigations et de nouvelles propositions de la Cour. Nous rendons compte ici d’une partie des éléments de diagnostic et des propositions mis en discussion.

Florence Audier
Laboratoire Statistique, Analyse,
Modélisation Multidisciplinaire, SAMM

 

La première année commune aux études de santé, la PACES, constituait, depuis sa création en 1970, l’année qui précédait la sélection à l’entrée des études de santé. Elle était fortement critiquée, notamment pour son taux très élevé d’échecs lors des tentatives de passage en deuxième année.

Depuis la réforme de 2019, pour l’accès au premier cycle des formations en santé (MMOP pour médecine, maïeutique, odontologie, pharmacie) coexistent trois dispositifs d’accès au premier cycle, le PASS (parcours avec accès spécifique santé), le LAS (licence avec option accès santé), ainsi que des passerelles depuis certaines formations conduisant à un diplôme d’auxiliaire médical. Très important : le numerus clausus a, dans la foulée, été supprimé, cette suppression étant jugée par la Cour des domptes comme « une condition nécessaire mais non suffisante pour répondre aux besoins de santé ».

Le but premier de cette réforme a été d’améliorer la réussite des étudiants qui étaient très nombreux à se retrouver en situation d’échec et, bien sûr, de répondre ainsi aux besoins de personnels de santé, très largement déficitaires. Il s’agissait aussi de diversifier les profils des futurs personnels de santé et permettre des passerelles, évitant ainsi une trop forte rigidité du système.

Point important : cette réforme reposait fortement sur des UFR « hors santé », car les parcours pouvaient impliquer de nombreuses autres disciplines. De surcroit, des formations donnant accès à des formations en santé pouvaient être proposées par des universités sans aucune UFR santé, par l’intermédiaire des LAS. À noter, qu’au départ, certaines voix souhaitaient même la généralisation de cette innovation que constituent les « LAS », proposition contredite par des directeurs d’UFR « santé », ce qui a conduit à la coexistence actuelle des LAS et des PASS, c’est-à dire à ce dispositif complexe à la fois pour les étudiants, leurs familles et les personnels des universités qui sont en charge d’articuler toutes ces formations disparates…

Dans son analyse de la situation actuelle, la Cour des comptes rappelle que « le calendrier contraint de la mise en place de la réforme, en pleine crise sanitaire, s’est ajouté à la complexité du double dispositif envisagé » et met l’accent notamment sur la contradiction entre l’autonomie des universités qui « laisse aux établissements la possibilité de définir localement leur propre modèle pour l’accès aux études de santé dans un cadre réglementaire permissif » et la nécessité d’aboutir à une cohérence dans ces formations : elle note ainsi, pour le déplorer, qu’il existe « autant de déclinaisons de la réforme que d’universités, tant les options ouvertes par le cadre réglementaire sont nombreuses ».

À quoi s’ajoute, toujours selon la Cour des comptes, « des moyens financiers adéquats pour la première année mais une opacité d’allocation des moyens limitant le déploiement de la réforme ». D’où, au total, « un défaut d’appropriation de la réforme et un dialogue difficile au sein des universités », conduisant à la fois à « une absence de coordination avec les dispositifs d’information et d’orientation » mis en œuvre en faveur des étudiants et leurs graves conséquences pour les dits étudiants, qui sont fortement insatisfaits : selon un sondage diligenté par la Cour des comptes, le PASS – c’est-à-dire la formule d’accès direct – est d’ailleurs le premier choix (à 95 %) des étudiants qui se destinent à rejoindre la filière MMOP, tandis que l’inscription en LAS est considérée comme « subie » voire, dans certains cas, résultant d’un choix « tactique » par 53 % des étudiants concernés ! Au total, les effectifs étudiants à la rentrée 2023 étaient nettement plus nombreux dans les universités disposant de PASS et de LAS que dans celles proposant du « tout LAS » et, a fortiori, dans celles n’ayant pas d’UFR en santé (cf. tableau 1).

ILLISIBILITÉ, INÉGALITÉS ENTRE FILIÈRES ET PUBLICS

Un des symptômes de l’échec de la réforme : outre leur caractère « d’illisibilité », la plupart des étudiants considèrent que suivre des enseignements hors santé lorsqu’on est en LAS est un handicap plutôt qu’un atout, et d’ailleurs 79 % des étudiants ne poursuivant pas en MMOP, suite à un échec en 1ère année, se réorientent dans une autre discipline que celle suivie pendant la formation donnant accès aux études de santé… un vrai gâchis !

Concernant l’objectif majeur de renforcement des effectifs formés en santé, le nombre d’admis en MMOP sur les trois premières années de la réforme aurait annuellement augmenté de 18 % en médecine et de 14 % en odontologie, mais aurait diminué de 6 % en pharmacie (voir encadré) et de 4 % en maïeutique… disciplines qui manquent visiblement d’attractivité, laissant de nombreuses places vacantes dans les universités ! Et les échecs en fin de première année, ainsi que les redoublements, restent inquiétants. À quoi s’ajoute le fait que les étudiants en LAS semblent moins bien préparés à la suite de leurs études en MMOP, et redoublent plus souvent que les étudiants admis après un PASS.

Quant à la diversification des profils, un des objectifs emblématiques de la réforme, aucune amélioration n’est observée à ce jour, que ce soit en termes de diversité sociale, géographique ou de genre. Elle ne s’est pas véritablement vérifiée en partie parce que, selon les investigations menées par la Cour des comptes, « dans les faits, la pression accrue pour accéder aux PASS sur Parcoursup a accentué l’homogénéité des profils des étudiants en PASS par rapport à la PACES, et par conséquent l’homogénéité des étudiants en MMOP, ces derniers étant principalement issus d’un PASS. À l’inverse, les étudiants en LAS, particulièrement ceux dans une Universités sans UFR en santé, qui ont des profils plus diversifiés grâce à une moindre pression de sélection sur Parcoursup, accèdent peu en MMOP. Ils participent donc peu à la diversification des futurs professionnels de santé. »

Enfin, bien que la diversification du genre des étudiants par la recherche d’un meilleur équilibre entre les hommes et les femmes n’apparaisse pas comme un objectif explicite de la réforme, les femmes restent très majoritaires parmi les étudiants en MMOP, ce qui peut avoir un impact sur le système de soins car les choix de pratiques et des lieux d’installation diffèrent significativement en fonction du genre.

DÉPARTS VERS L’ÉTRANGER

Un des échecs réside aussi dans le maintien, voire l’accentuation, des départs vers l’étranger, principalement en Espagne, Roumanie, Belgique et Portugal ; et ils sont nombreux à ne pas revenir…

D’après le sondage réalisé par la Cour des comptes, c’est environ 10 % des étudiants (81 % d’entre eux seraient passés par un PASS) n’ayant pas réussi à accéder aux formations de MMOP après leurs années d’accès aux études de santé, poursuivent dans un pays étranger leurs études de médecin (59 %), d’odontologie (14 %), de pharmacie (11 %) et de maïeutique (8 %), soit annuellement environ 1 600 étudiants. Leurs motivations principales seraient la meilleure facilité d’accès et la plus grande lisibilité du système (pour respectivement 85 % et 60 % des avis exprimés). Les principaux pays d’accueil sont l’Espagne (20 %), la Roumanie (18 %), la Belgique (18 %) et le Portugal (8 %). Le nombre de professionnels diplômés à l’étranger inscrits à l’ordre national des médecins serait passé de 8 % en 2010 à 15 % en 2023.

Ce que la réforme fait à la filière pharmacie

« Le nombre d’admis en MMOP sur les trois premières années de la réforme a augmenté par rapport à l’année précédente pour les filières médecine (+ 18 %) et odontologie (+ 14 %) mais a diminué pour les autres filières (- 6 % pour pharmacie, – 4 % pour maïeutique). Si un effort de répartition territoriale a été accompli pour la filière odontologie, la réforme n’est pas parvenue à enrayer les difficultés d’attractivité propres à la pharmacie et à la maïeutique, rendues visibles par les places laissées vacantes dans de nombreuses universités », rappelle la Cour des comptes dans le rapport qu’elle vient de publier¹.

C’est pourquoi, depuis janvier 2023, les doyens de faculté de pharmacie demandent « la création d’une voie de recrutement complémentaire permettant aux néobacheliers de s’inscrire directement dans une première année d’études de pharmacie² », via Parcoursup. Ce qui n’exclurait pas la possibilité de rejoindre la filière pharmacie en passant par le système actuel.

Mais l’Association nationale des étudiants en pharmacie de France (Anepf), qui représente les 33 000 étudiants des facultés de pharmacie, ne veut pas de cette nouvelle voie pour résoudre ce déficit d’image. « Cela ne ferait que rajouter encore plus du flou dans l’évolution de la réforme de 2020 », explique Théo Revelle, vice-président de l’Anepf chargé de l’enseignement supérieur. « Le problème est qu’il y a de moins en moins de lycéens qui veulent faire pharmacie ». L’Anepf, en parlant, du « métier le moins connu des métiers connus³ » rappelle que l’expertise des pharmaciens est recherchée dans de très nombreux domaines ou environnements professionnels et que pharmacien est indispensable pour assurer de nombreuses missions garantes de la santé publique et de la sécurité sanitaire du pays.

Mais le défaut d’attractivité ou de connaissance des métiers liés n’explique pas tout. Depuis la réforme des études de santé en France, le nombre de jeunes inscrits en études de pharmacie à Bruxelles ou en Wallonie ne cesse d’augmenter⁴. Ils expliquent leur choix par le fait qu’ils peuvent s’inscrire directement en pharmacie, alors que l’inscription en licence française « accès santé » est un système long et sélectif. « Parmi tous ces étudiants, beaucoup vont avancer et seront de bons pharmaciens ; nous aurons eu raison de leur donner leur chance. La France devrait peut-être être un peu moins sélective» observe Stéphanie Pochet, doyenne de la faculté de pharmacie de l’université libre de Bruxelles.

¹ Cour des Comptes, décembre 2024. L’accès aux études de santé. Quatre ans après la réforme une simplification indispensable. https://www.ccomptes.fr/sites/default/files/2024-12/20241211-Lacces-aux-%C3%A9tudes-de-sante.pdf
² Emma Barets, 2024. Les doyens de faculté de pharmacie appellent à créer une nouvelle voie de recrutement sur Parcoursup. Le Monde. https://www.lemonde.fr/campus/article/2024/10/25/les-doyens-de-faculte-de-pharmacie-appellent-a-creer-une-nouvelle-voiede-recrutement-sur-parcoursup_6359543_4401467.html
³ https://www.lesmetiersdelaphamacie.fr/
⁴ Cédric Vallet, 29 mars 2022. Les étudiants français en pharmacie se pressent aux portes des universités belges. Le Monde. https://www.lemonde.fr/campus/article/2022/03/29/les-etudiants-francais-en-pharmacie-se-pressent-aux-portes-des-universites-belges_6119578_4401467.html

VERS UNE NOUVELLE RÉFORME ?

On s’acheminerait donc vers… une nouvelle réforme, actant ainsi une forme d’échec dans la planification des effectifs de professionnels à former qui puisse répondre aux besoins des populations et des territoires, ainsi que le maintien de beaucoup trop d’années perdues pour des étudiants pourtant motivés dans leur choix de devenir des professionnels de santé. Selon la Cour des comptes, « les mesures prises en faveur de la réussite étudiante ont montré de légers effets positifs mais qui ne suffisent pas à justifier le coût financier et organisationnel du dispositif » actuellement en vigueur. D’où le diagnostic : un statu quo intenable !

¹ Cour des Comptes. L’accès aux études de santé. Quatre ans après la réforme une simplification indispensable. Communication à la Commission des affaires sociales du Sénat, décembre 2024. 148 pages. https://miniurl.be/r-5vd6

L’accès aux études de santé dans les pays comparables à la France

La France se distingue par une année d’études supérieures consacrée à la sélection des candidats. Dans d’autres pays, les études médicales sont organisées selon l’un des modèles suivants :

  • l’entry undergraduate (Royaume-Uni, Roumanie, Allemagne, Espagne) : l’entrée se fait après le baccalauréat et sa gestion se fait via un portail de candidature unique comme en Allemagne, ou par une épreuve classante spécifique comme en Espagne. La durée des études médicales est de six ans avant spécialisation ;
  • le graduate entry (Etats-Unis) : l’étudiant doit obtenir une licence en quatre ans ou avoir effectué au moins deux années d’études scientifiques et passé certains tests avant d’intégrer le 2ème cycle de quatre ans en santé, puis l’internat.

Le modèle français PASS et LASS est à mi-chemin entre le modèle français historique et le modèle graduate entry.

Source : Rapport de la Cour des Comptes, page 25.

 

Une formation mondiale en santé publique : l’académie de l’OMS

Mardi 17 décembre, l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) a inauguré, dans le Biodistrict de Lyon-Gerland, le campus de son académie dont la France est le principal investisseur. L’académie se veut « la plus vaste et la plus innovante plateforme de formation en matière de santé mondiale ». Estimant à 18 millions le nombre d’agents de santé qui devraient manquer d’ici à 2030 pour la prise en charge et la prévention sanitaire des populations, son objecti f est de donner aux personnels de santé (médecins, infirmiers, sages-femmes, pharmaciens, personnels de soins et d’hygiène, laboratoires et agents de santé communautaires) mais aussi aux décideurs, aux instituts nationaux de formation en santé, au grand public et aux agents de l’OMS des possibilités de formation continue, des activités de renforcement des compétences et des conseils en matière de santé. Cet écosystème d’apprentissage tout au long de la vie, adapté aux professionnels de santé, est conçu en format présentiel, distanciel et hybride.

L’académie dispose d’un plateau de simulation utilisant une technologie et une pédagogie de pointe pour offrir des expériences interactives et immersives, qui reproduisent des situations réelles de santé publique, y compris des contextes d’urgence et de crise, avec la possibilité d’adapter le scénario à des conditions météorologiques et d’infrastructures diversifiées¹.

D’ici à 2028, l’objectif de l’Académie est de former trois millions de soignantes et soignants à l’échelle mondiale… Plus de 5 000 apprenantes et apprenants de 172 pays se sont déjà inscrits sur la plateforme d’apprentissage, accédant ainsi aux 37 premiers cours².

Ses initiatives phares comprennent :

  • la fabrication régionale et locale de vaccins et de médicaments ;
  • l’approche One-Health ;
  • la thématique « Villes, santé et bien-être »

¹ https://sante.gouv.fr/actualites/actualites-du-ministere/article/l-academie-de-l-organisation-mondiale-de-la-sante-kesako
² Allocution liminaire du Directeur général de l’OMS lors de la cérémonie d’ouverture de l’Académie de l’OMS : https://www.who.int/fr/director-general/speeches/detail/who-director-general-s-opening-remarks-at-the-who-academy-opening-ceremony

 

Cet article est tiré du n°439 de notre revue la Vie de la Recherche Scientifique (VRS). Retrouvez l’ensemble des numéro dans notre rubrique VRS.



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