Accès aux études de santé : vers une voie unique LAS ?
L’analyse comparée des systèmes « PASS et LAS » et « tout LAS » montre que, parmi les critères de choix du système adopté par les universités, la question du budget est décisive. Le peu d’adhésion au modèle « tout LAS » pourrait ainsi s’expliquer en partie par le coût qu’il génère en équivalent temps plein. Mais les contentieux liés aux recours aux algorithmes d’interclassement entre les étudiants des différentes voies d’accès pourraient également peser dans le choix entre systèmes et sur leurs évolutions¹.
Marie-Bénédicte Romond
Professeure de bactériologie et virologie,
Université de Lille
Membre élue du CNESER
Quittant le système PACES (première année commune aux études de santé) en 2020, de nouvelles modalités d’accès aux études de santé (« médecine, maïeutique, odontologie, pharmacie », ou MMOP, bientôt rejointes par la kinésithérapie) ont vu le jour avec, pour la majorité des universités déjà dotées de filières santé, un parcours « accès santé » spécifique (PASS) complété par une entrée via des licences (droit, sciences, lettres…) avec option « accès santé » (LAS). Dans ce dernier cas, plusieurs configurations existent : l’unité d’enseignement (UE)² de santé est intégrée au corpus d’enseignements de la licence ou existe en tant que module supplémentaire.
Le principe en PASS est de choisir une mineure hors santé (par exemple une UE d’ouverture de douze ECTS³ à Lille) qui permet à l’étudiant·e non classé·e de continuer dans la licence correspondante (à condition de valider l’année PASS, c’est-à-dire l’acquisition de soixante ECTS) et de retenter sa chance après avoir acquis soixante ECTS supplémentaires.
Hormis l’accès par PASS (50 %), le nombre de places réservées pour les voies d’accès LAS (c’est-à-dire à partir de la première, deuxième ou troisième année de la licence) et la voie des passerelles⁴ est laissé à la discrétion des universités, à condition que les seuils minimaux définis dans le décret soient respectés pour assurer une diversité dans les profils recrutés.
L’originalité de la voie PASS est que les étudiants et étudiantes admissibles dans le haut du classement après les épreuves écrites sont réputé·e·s admis·e·s (« grands admis »). Cette procédure est un cas d’espèce – en comparaison de l’accès aux grandes écoles du système français. On peut s’interroger sur le sens à donner à un accès par la seule validation de l’écrit dont le résultat dans le cadre de PACES avait montré ses limites.
Pour ceux admissibles dans le bas du classement, le parcours rejoint celui des LAS. Ils présentent le deuxième groupe d’épreuves sous forme d’oral qui ne doit pas relever des matières dites de santé. Suite à l’annulation, par le conseil d’État, des procédures mises en place par plusieurs universités, le poids de la note d’oral a été limitée à 30 % de la note globale avec une tolérance de 5 %.
MULTIPLICITÉ DES MODALITÉS D’INTERCLASSEMENT
Enfin, il est nécessaire de procéder à l’interclassement avec les étudiants et étudiantes des voies d’accès LAS ayant validé leur année de licence (L1, L2 ou L3). L’autonomie des universités ouvre à une multiplicité de calculs algorithmiques à l’origine de recours auprès du tribunal administratif (TA) par les étudiant·e·s s’estimant lésé·e·s par un mode de classement souvent jugé abscons. C’est le cas à Aix-Marseille Université, qui pratique un mode d’interclassement par « harmonisation algorithmique », c’està- dire l’ajustement des notes pour corriger des biais éventuels selon les filières.
Des étudiants en LAS2 sciences infirmières ont remis en cause cette « harmonisation des notes », qui aurait, selon eux, entraîné « une rupture d’égalité de traitement » et fait perdre à chacun entre 1,251 et 5,925 points. Point intéressant de leur argumentaire : ils reprochent au jury d’admission d’avoir « entériné les résultats issus de l’application de la formule mathématique, renonçant à exercer sa compétence, remettant en cause sa souveraineté ». À Sorbonne Université, le choix d’une note seuil établie par le jury de 12,2/20 a permis de reverser 48 places aux étudiants et étudiantes de PASS. Les requérant·e·s venant des filières LAS, qui ont été débouté·e·s par le TA, voient dans cette manoeuvre une discrimination en faveur des candidats et candidates issues de PASS.
EFFETS PERVERS DU SYSTÈME MIXTE PASS ET LAS
Bien que pensé pour mettre fin aux travers de PACES, le mode de recrutement PASS et LAS particulièrement complexe est donc loin d’être satisfaisant pour les usagers. Il a certes permis de réduire le gâchis humain engendré par PACES. A Lille, 52 % des étudiantes et étudiants sortaient du système PACES sans aucune validation d’études après deux ans sur les bancs des facultés. Actuellement, le bilan est de 42 % n’ayant pas obtenu la moyenne après un an (et donc devant retenter une première année de licence). Cependant, il reste beaucoup à faire. Plusieurs universités notent que le devenir de ces étudiants et étudiantes et de ceux et celles ayant échoué après leur seconde chance leur échappe. Le bilan réel du système mixte reste donc difficile à appréhender.
Le système PASS et LAS désavantage également certaines professions jugées moins attractives que la filière médecine, dont la pharmacie, voire la maïeutique, avec le risque à terme d’amplifier les déséquilibres entre professions médicales dans les déserts médicaux, où les professions paramédicales servent souvent de rustine.
Enfin, on remarque au sein des années ultérieures (surtout en médecine) une compétition entre les différentes origines (PASS et LAS). Or, Parcoursup préoriente les néo-bacheliers ayant le niveau scolaire plus élevé vers PASS. Il en résulte un taux de succès apparent supérieur en PASS et une mixité très relative par la suite selon les origines d’accès aux études de santé. Si l’Université Grenoble-Alpes (UG) est particulièrement vigilante pour prévenir une telle discrimination, d’autres universités n’en ressentent pas le besoin. La compréhension par les familles d’une voie royale PASS conforte bien évidemment les officines de préparation aux concours, déjà bien implantées pendant les années PACES.
Une réflexion est en cours sur l’hypothèse d’un accès « tout LAS » déjà expérimenté par certaines universités (dont Caen et Strasbourg) pour compenser les effets pervers du système mixte. La situation pourrait en effet devenir difficilement gérable par rapport à l’objectif de diversification des profils, surtout si on tient compte du biais induit par le tri de Parcoursup.
MODÈLE D’ACCÈS PAR LA LICENCE SCIENCES POUR LA SANTÉ À STRASBOURG
À Strasbourg, la licence Sciences pour la santé (LSpS)⁵ consiste en une seule voie unique déclinée en plusieurs parcours disciplinaires. L’organisation repose sur trois piliers : l’ensemble « santé » (25 ECTS), l’ensemble transversal – enseignement de sciences humaines et sociales en lien avec la santé, langue… –(14ECTS) et un ensemble d’enseignements « hors santé », centré sur la discipline choisie parmi les onze parcours possibles (droit, chimie, mathématiques, sciences économiques, sciences du sport, sciences de la Terre et de l’univers, sciences de la vie, sciences et technologie, psychologie, sciences sociales, physique). Il est impératif de valider les UE Santé et transversales pour pouvoir candidater en MMOP. En outre, quel que soit le parcours choisi, les seul·e·s candidat·e·s retenu·e·s pour les filières santé sont celles et ceux ayant réussi la première année de LSpS, intégrant les UE disciplinaires (validation de l’année sur la base d’une moyenne générale de 10). Pour pouvoir candidater en L2 disciplinaire, il est nécessaire d’avoir validé les UE disciplinaires. Sans validation des UE Santé et transversales en LSpS, il n’est pas possible de candidater en MMOP en L2.
La notion de « grand admis » perdure. L’accès direct à la deuxième année de diplôme de formation générale (DFG2) est réservé aux 10 % des meilleur·e·s étudiant·e·s de chaque discipline. Pour maintenir une diversité satisfaisante, une discipline ne peut obtenir plus de 50 % des places. Cependant, si le positionnement favorable du ou de la candidate ne correspond pas à son souhait de filière, il ou elle peut continuer en passant l’oral et rejoindre les candidats et candidates ayant réussi leur première année dans la suite du classement. Réputé·e admissible, il ou elle passe les épreuves orales d’admission.
L’interclassement pour l’oral est réalisé sur le socle commun des UE Santé/transversales. Globalement, l’interclassement est réalisé en considérant les UE Santé et transversales pour les grands admis ; s’y ajoutent les notes des épreuves orales d’admission pour l’interclassement des candidats du second groupe.
Deux candidatures sont possibles avec accès possible après L1 (65 % des places), L2 (30 %) et/ou L3 (5 %). C’est l’accès au niveau L3 qui est le plus complexe eu égard aux diversités des mentions, compliquant l’interclassement. La solution de l’Université de Strasbourg est la mise en place d’une épreuve classante non validante pour l’accès après une L3. Les différents parcours ne souffrent pas de tension comme avec le système mixte, même si on remarque l’habituelle pression des vœux en faveur de la médecine et de l’odontologie, obligeant à une certaine vigilance des parcours moins recherchés.
Le modèle est doublé d’un fort investissement de tutorat principalement assumé par les étudiant·e·s de DFG2 en collaboration avec le corps enseignant. Il permet ainsi d’éviter une sélection biaisée par les sociétés privées de préparation au concours.
Si ce choix de sélection rencontre l’adhésion des usagers après quatre ans de fonctionnement, il convient de rappeler que son coût est important pour l’université de Strasbourg (surcoût estimé à deux millions d’euros par rapport à la voie PACES), soit environ 20 équivalents temps plein (ETP) dédiés en personnels enseignants et administratifs.
A l’heure des contraintes budgétaires imposées aux universités, l’argument du coût pèse lourd dans les réticences universitaires à généraliser le modèle strasbourgeois. L’analyse de l’Université Clermont Auvergne, menacée de déficit budgétaire cette année, montre que ce modèle n’est pas soutenable dans les établissements régionaux les moins dotés. La tendance est aux réductions des maquettes pour éviter d’alourdir la charge en nombre d’heures d’enseignement, qui grève les finances universitaires avec l’explosion des heures complémentaires, pourtant largement moins coûteuses que le recrutement de titulaires.
SYSTÈME PLUS ÉGALITAIRE
Les étudiants et étudiantes sont par contre très en faveur d’un système plus lisible, qui est ressenti plus égalitaire. On l’a vu, le modèle mixte génère du contentieux pouvant aller jusqu’au Conseil d’État, avec obligation d’infléchir la rédaction du décret initial. En outre, en conservant un système PASS proche de PACES, la dichotomie est maintenue entre les « excellents » et les autres qui peut être préjudiciable, à long terme, à la fluidité du système de santé entre hôpitaux et responsables des soins primaires. Or, il est crucial que la société se dote de personnels soignants adaptés aux enjeux actuels, en particulier au vieillissement de la population.
En conclusion, si le modèle strasbourgeois n’est certainement pas le seul possible, il a cependant l’avantage de minimiser les ressentis négatifs entre étudiants et étudiantes selon les voies d’accès. Ceci augure de relations professionnelles plus confraternelles que celles induites par les modes de sélection antérieurs où la confrontation des potentiels humains sur la base de quelques matières « nobles » mais peu adaptées aux métiers de la santé a souvent empêché ultérieurement une saine coopération entre professionnels.
¹ Ce texte est le résultat d’échanges avec trois collègues de Strasbourg, Véronique Bruban-Schann (faculté de pharmacie), Philippe Clavert (CHRU) et Cyrille Blondet (faculté de médecine).
² L’unité d’enseignement, ou UE, est un groupe d’enseignements comportant entre eux une cohérence scientifique et pédagogique. Chaque UE correspond à un nombre de « crédits ». Chaque semestre correspond à trente crédits.
³ Le système européen de transfert et d’accumulation de crédits (ECTS pour European Credit Transfer System) « exprime le volume d’apprentissage sur la base des résultats d’apprentissage définis et la charge de travail qui y est associée », selon le Guide officiel ECTS édité par l’Union européenne. Il permet de faire valoir des équivalences entre différentes formations reconnues en Europe.
⁴ Voir par exemple le tableau 11, p. 123, « Capacités d’accueil et étudiants admis en deuxième année MMOP par la voie des passerelles » dans le rapport de la Cour des comptes de 2024 L’accès aux études de santé – Quatre ans après la réforme une simplification indispensable. https://miniurl.be/r-5vd6
⁵ https://miniurl.be/r-5vd7
Une étude de cas du LAS – PASS : l’Université de Franche-Comté
Sylvie Bepoix, université de Franche-Conté, co-responsable du secteur formation du SNESUP-FSUEn février 2024, la Cour des comptes a conduit une enquête sur la réforme des études de santé, qui témoigne de la grande hétérogénéité des choix d’organisation faits par les universités pour sa mise en œuvre. L’examen de la situation à l’Université de Franche-Comté (UFC) peut constituer une micro étude pouvant enrichir les rapports macro fournis par les enquêtes nationales.
Le principe des passerelles multiples peut être considéré comme un point positif pour les étudiants mais nécessite une importante « agilité » de la part des responsables de formations issus à l’UFC de composantes aux méthodes différentes. Outre l’accompagnement pédagogique, le tutorat devient essentiel pour que les étudiants prennent pleinement conscience de toutes les possibilités qui leur sont offertes.
Certaines licences accès santé (LAS) sont plus attractives que d’autres (voir le tableau ci-joint), les étudiants considérant sans doute qu’elles leur permettront d’acquérir des connaissances réutilisables s’ils intègrent rapidement le cursus santé : les LAS STAPS (sciences et techniques des activités physiques et sportives), SVT (sciences de la vie et de la Terre) ou encore psychologie. Mais les LAS peuvent être très diverses — droit, mathématiques, physique, philosophie, etc. —, l’objectif de ce système d’accès multiples aux études de santé étant d’augmenter les chances d’accéder à des études de santé.
Techniquement, la mise en place de la réforme d’accès aux études de santé conduit à un important accroissement de travail pour l’ensemble des personnels concernés. La réforme a nécessité d’accorder les calendriers de formation, ce qui est parfois difficile. Ainsi, les unités de formation et de recherche (UFR) de santé décalent parfois leurs congés pour des raisons qui leur sont propres mais cela génère d’importantes difficultés pour l’organisation des examens. En effet, l’ensemble des LAS doit passer la mineure santé à la date prévue en composante santé.
Les échanges sont à double sens. Les LAS doivent accueillir d’importantes cohortes de PASS pour leurs mineures. Or certaines formations rencontrant du succès, comme la psychologie ou les STAPS, sont des formations en grande tension pour encadrer leurs propres étudiants. Cela aboutit à l’organisation de groupes de travaux dirigés (TD) supplémentaires et d’examens pour un nombre extrêmement important d’étudiants, nécessitant de multiplier les lieux pour les accueillir et posant des problèmes de surveillance. Et cela dans la composante santé comme dans les composantes comptant des LAS. Il faut encore ajouter le nécessaire alignement sur les périodes de rattrapage, ce qui n’est pas toujours le cas entre UFR : ainsi à l’UFC, l’UFR des sciences de l’homme, du langage et de la société (SLHS) a maintenu la totalité de ses rattrapages en juin contrairement à l’UFR santé.
Il s’agit là d’un florilège des problèmes rencontrés à l’UFC qui peuvent sembler purement techniques et secondaires face à l’importance de la réforme ; pour autant, ils contribuent à une forte dégradation des conditions de travail de tous ceux en charge des étudiants en santé. En effet, les compensations, en poste comme en prime sont très en-deçà des besoins engendrés par cette réforme.
À l’UFC, le bilan pour les résultats des LAS2 et LAS3 en 2023-2024 montre que, sur 217 inscrits au total dans les diverses licences, 111 ont finalement été admis, soit 51,2 %.
De façon concrète, on constate donc que certains étudiants parviennent à intégrer santé via une LAS1 mais cela représente moins d’un sur quatre à l’UFC. On peut donc concevoir qu’une enquête soit nécessaire pour connaitre la portée de la réforme PASS et LAS à l’échelle nationale.
Même si l’on peut se réjouir de voir certains étudiants réussir à rejoindre des études de santé malgré les difficultés, la somme des inconvénients que cela représente, autant pour les étudiants, les enseignants que les administratifs, justifie la nécessité de réfléchir à améliorer le système mis en place par cette réforme du premier cycle des études de santé.
Cet article est tiré du n°439 de notre revue la Vie de la Recherche Scientifique (VRS). Retrouvez l’ensemble des numéro dans notre rubrique VRS.