Budget 2025 : une mobilisation partielle, tardive mais bienvenue
En 2024, huit universités sur dix devraient terminer l’année en déficit. Le budget de 2025 s’annonce encore plus désastreux, compte tenu de l’augmentation de nombreuses dépenses non compensées par l’État – inflation, revalorisations salariales, augmentation des cotisations retraite « employeur » … – à la charge des établissements « autonomes ». Face au désengagement de l’État, les présidents d’université ainsi que les syndicats de personnels et d’étudiants se mobilisent.
Hervé Christofol
Membre du bureau national du SNESUP-FSU
C’est par une journée pluvieuse, le jeudi 21 novembre 2024, que nous avons été informés, par la presse, d’un rassemblement spontané (sauvage ?) de présidents d’université devant le ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche pour protester contre le projet de budget 2025, notamment contre le projet de création d’un fonds de solidarité entre établissements d’enseignement supérieur publics (EPSCP). Ce fonds de solidarité aurait conduit à prélever 1 % du budget de chacun pour venir en aide auprès de ceux qui n’auraient pas suffisamment de réserves pour faire face au sous-financement de l’État en 2025.
Après qu’une délégation de dix d’entre eux ait été reçue par le ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche (ESR) aujourd’hui démissionnaire, Patrick Hetzel, celui-ci a renoncé à la création de ce fonds mais sans remettre en cause le sous-financement historique programmé pour l’année à venir. Dès la publication du projet de loi de finances pour la mission interministérielle pour la recherche et l’enseignement supérieur (MIRES), le SNESUP-FSU avait dénoncé ce sous-financement et avait notamment publié une alerte le mardi 19 novembre pour dénoncer les conséquences de ce désengagement de l’État.
RÉSERVE DE PRÉCAUTION
La mobilisation des présidents d’université a été décidée alors qu’ils étaient rassemblés en assemblée générale¹. S’ils étaient unanimes pour dénoncer l’insuffisance des financements, ils étaient plus partagés pour s’opposer à la création du fond de solidarité. En effet, dans tous les ministères, il existe une réserve de précaution qui gèle entre 0,5 % et 1 % des crédits de paiement accordés par le Parlement pour faire face aux dépenses imprévues au niveau ministériel comme au niveau interministériel. Le budget 2025 avait déjà prévu d’en préempter l’intégralité pour réduire le déficit prévisionnel…
Sans réserve de précaution, comment faire face aux demandes de financements exceptionnels ? Le fonds de solidarité devait être une réponse à cette question. De plus, rappelons que les inégalités de dotation de la subvention pour charge de service public (SCSP) par étudiant sont très importantes puisque celle-ci varie du simple au double entre universités pluridisciplinaires (avec et hors santé), et même du simple au triple entre universités tertiaires² et universités de sciences et technologies. À cela s’ajoute des inégalités de réserves (fonds de roulement) qui, elles aussi, sont diversement distribuées sans véritable corrélation avec le sous-financement des établissements. Aussi, ce fonds de solidarité pouvait-il également être perçu comme un mécanisme de convergence au même titre que les mille emplois annuels accordés sous le ministère de Geneviève Fioraso ou le « dialogue de gestion stratégique (DGS) » et les « contrats d’objectifs, de moyens et de performance (COMP) » mis en place par les derniers ministères de Frédérique Vidal et Sylvie Retailleau.
Disons que celles et ceux qui auraient dû être contributeurs ont été « vent debout » contre la réserve de précaution et que ceux qui auraient dû en être bénéficiaires ont été solidaires pour ne pas « déshabiller Paul pour habiller Jacques ». Comme l’explique le biologiste Pablo Servigne dans l’ouvrage co-écrit avec Gauthier Chapelle en 2017, L’entraide, l’autre loi de la jungle, en situation de pénurie les comportements d’entraide prennent le dessus sur les comportements compétitifs ; disons qu’il était temps !
Car, avec le sous-financement de 2024 qui a conduit à réduire de 46 % les fonds de roulement des établissements publics à caractère scientifique, culturel et professionnel (EPSCP), il ne reste plus que deux milliards de réserves pour faire face à un sous-financement 2025 d’un montant comparable… À l’heure où nous écrivons ces lignes, seule la loi spéciale a été votée. Le budget 2025 n’est qu’une reconduction du budget 2024 et les budgets initiaux des établissements n’ont pas encore été tous votés. Mais, à ce jour, la plupart sont en déficit de plusieurs millions à plusieurs dizaines de millions d’euros. Si certains établissements dont les fonds de roulement sont suffisants (supérieur à quinze voire trente jours de fonctionnement) pourront piocher dans ces économies pour boucler leur budget en déficit, d’autres pourraient être en cessation de paiement !
La mobilisation des présidents d’université a donné lieu à une importante campagne de communication. En quinze jours, ce sont plus de soixante-dix articles dans la presse nationale et la presse quotidienne régionale qui ont rendu compte de la situation de chacune des universités.
Le 10 décembre, à l’occasion du vote au Conseil national de l’enseignement supérieur et de la recherche (CNESER) sur la répartition entre CSCP (reporté en 2025) et à l’appel d’une très large intersyndicale, quatre cents militants, étudiants et personnels se sont rassemblés devant le ministère pour alerter et protester contre l’insuffisance du budget 2025 et les conséquences qu’aurait cette politique. La presse s’en est à nouveau fait échos. Or, à ce jour, nous n’avons toujours aucune réaction de la part ni du président de la République, ni du Premier ministre et du ministre de l’ESR démissionnaires, ni du nouveau Premier ministre lui aussi interpellé à ce sujet, le jeudi 20 décembre lors d’un entretien télévisé avec Sophie Binet, secrétaire générale de la CGT…
Car, qu’en est-il dans nos universités ? Quelles décisions des gouvernements précédents ont conduit à la dégradation des finances des établissements de l’enseignement supérieur ? Quelles conséquences celles-ci ont-elles sur la qualité de la délivrance du service public de l’enseignement supérieur et de la recherche ?
Dans le quotidien Ouest-France, le 3 décembre 2024, neuf présidents d’universités de l’Ouest³ « tirent un puissant signal d’alarme […] : l’obligation d’appliquer ces coupes budgétaires drastiques conduira irrémédiablement au recul de notre système d’ESR, et à terme, à son décrochage sur le plan international. Il marquera aussi l’affaiblissement de son maillage territorial,
au détriment des étudiants et de la démocratisation de l’enseignement supérieur ». Au niveau national, ils chiffrent à 180 M€ supplémentaires l’augmentation des cotisations retraites inscrites et non financées dans le projet de loi de finance 2025. Le coût de la non-compensation intégrale de l’augmentation du point d’indice en 2022 et 2023 dans le cadre des mesures Guérini s’élèvera, en 2025, à 140 M€ et le sous-financement de la loi de programmation de la recherche (LPR) se montera à 410 M€ (90 M€ de moyens nouveaux budgétés pour initialement 500 M€ programmés). Aussi menacent-ils : « sans mesures immédiates, un grand nombre d’universités pourraient refuser de participer au processus Parcoursup… ».
Dans plusieurs académies, les recteurs ont refusé la présentation au vote des conseils d’administration de budgets très déficitaires et imposent ainsi aux universités des mesure d’austérité pour réduire les coûts salariaux, de fonctionnement et d’investissement. Dans cette situation alarmante, les universités pourraient être amenées à :
- réduire de 20 % le fonctionnement et l’investissement dans toutes les unités de formation et de recherche (UFR) et des services communs de l’université (Aix-Marseille, Angers, Reims, …) ;
- diminuer les budgets de tous les laboratoires et des équipes de recherche (Aix-Marseille, Angers, Reims, Toulouse 2…) ;
- baisser le nombre de contrats doctoraux qui ne dépendent pas des appels à projet (Reims…) ;
- fermer les bibliothèques, réduire le fonctionnement et l’investissement des services communs ainsi que les services aux étudiants de l’université (Aix-Marseille, Angers, Clermont, Lorraine, Reims, Toulouse 2…) ;
- fermer, dès la rentrée 2025, certaines formations à faible effectif ainsi que des filières ou des sites universitaires délocalisés (Clermont, universités de l’Ouest, Lorraine, Montpellier 3, Reims, Sorbonne Université…) ;
- limiter, voire réduire, les capacités d’accueil sur Parcoursup (Brest, Clermont, Lorraine, Montpellier 3, Sorbonne Université, Universités de l’Ouest, Toulouse 2…) ;
- réorganiser les groupes d’enseignement pour limiter le nombre d’heures ;
- diminuer les volumes horaires des maquettes de formation et supprimer certains cours ;
- limiter les cours en présentiel durant la période hivernale (Clermont…) ;
- arrêter complètement les activités pendant les congés avec une période de fermeture d’une semaine par période scolaire – vacances de février, de printemps et Toussaint (Angers, Reims…) ;
- ne pas renouveler le personnel en CDD ainsi que certains départs en retraite (Angers, Reims) ;
- mettre en place des frais différenciés pour les étudiants étrangers non communautaires (Strasbourg…) ;
- stopper ou décaler les projets d’investissements, de mise aux normes d’accessibilité ou de rénovation énergétiques des bâtiments (Reims, Lorraine, Toulouse 2…).
… la créativité austéritaire n’a pas de limites !
Et une fois que toutes ces mesures auront suffisamment dégrader le service public de l’ESR au bénéfice des formations privées, comme c’est le cas depuis maintenant plus de sept ans, et après avoir instaurer systématiquement les frais différenciés pour les étudiants étrangers, il ne restera plus, comme l’évoque certains présidents d’université, qu’à multiplier par dix ou vingt les frais d’inscription ! C’est déjà le cas dans certaines écoles d’ingénieurs publiques et dans les formations sélectives de plusieurs grands établissements⁴. C’était la volonté du ministre démissionnaire Patrick Hetzel d’aborder ce sujet « sans aucun tabou » lors de la présentation de sa feuille de route le 19 novembre. L’accepterons- nous ? D’autres financements sont possibles ! Le service public est le patrimoine de toutes et tous. Jusqu’où allons-nous le laisser se dégrader ?
À Brest (2 300 agents et 24 000 étudiants), l’université baisse ses capacités d’accueil en STAPS et en psychologie car, déclare Pascal Olivard, président de l’université de Bretagne-Occidentale (UBO), « à l’impossible, nul n’est tenu » (Le Télégramme, 26/11/2024).
À Lille (8 000 agents pour 80 000 étudiants), le comité de direction a validé, le 27 novembre, un projet de budget 2025 lourdement déficitaire, de l’ordre de 25 millions d’euros. C’est à ce prix, défend son président, que l’université pourra « maintenir l’essentiel (sic) de ses projets et de ses actions » (France Bleu, 29/11/2024).
A Montpellier (53 00 agents et 46 000 étudiants pour un budget de 500 M€), le président de l’université, Philippe Augé, annonce à l’AFP (le 29/11/2024) un déficit prévisionnel 2025 de 17 M€, tandis que la présidente de l’université Montpellier 3 Paul Valérie, Anne Fraisse, (1 500 agents pour 23 000 étudiants) alerte, dans le Midi-Libre (26/11/2024), qu’« Il faudrait multiplier les frais d’inscription par dix en 2025 si l’État ne fait rien ».
A l’Université de Lorraine (7 000 agents pour 60 000 étudiants), c’est un déficit compris entre 16 et 21 millions d’euros auquel il faut s’attendre en 2025 : « une situation financière intenable » pour la présidente Hélène Boulanger (France 3, 26/11/2024).
A Poitiers (2 800 agents encadrant 28 000 étudiants), depuis 2020, la présidente de l’université, Virginie Laval, explique qu’elle a dû absorber plus de 25 millions de charges supplémentaires non compensées par l’État dues à la hausse des coûts de l’énergie, des matériaux de construction et des mesures salariales décidées par l’État. Le déficit prévisionnel pour 2025 devait être de 6 millions d’euros (La Nouvelle République, 08/12/2024). Dans une motion votée en décembre, le conseil d’administration de l’établissement demande la compensation intégrale de ces charges afin, notamment, de maintenir l’investissement dans la recherche et de permettre, au niveau national, une réforme des bourses d’études, pour sortir les étudiants de la précarité.
A Reims (2 500 agents et 24 000 étudiants ; 246 M€ de budget 2024), le président, Christophe Clément, déclare qu’il manque 6 M€ pour boucler le budget 2025 de l’université, dont 3,3 M€ de mesures salariales non compensées par l’État en 2024 (Le Monde, Soazig Le Nevé, 3/12/2024).
A Rouen (2 700 fonctionnaires encadrant 35 000 étudiants), le déficit prévisionnel 2025 de l’université s’élèverait à 13,5 millions d’euros dont 7 millions dus à l’augmentation du point d’indice en 2022 et 2023 dans le cadre des mesures Guérini (Paris Normandie, 27/11/2024).
A Toulouse, « la situation financière des universités est devenue intenable », alerte Emmanuelle Garnier, présidente de l’Université Toulouse-Jean-Jaurès (l’Opinion, le 29/11/2024). Les mesures de revalorisation salariales dites Guérini, mises en place en 2022, devraient peser à hauteur de 1,2 millions d’euros sur le budget 2025 et la mesure portant sur le compte d’affectation spéciale pour les pensions (CAS Pensions), qui ne serait pas compensée, engendrerait une charge supplémentaire de 2 millions d’euros pour l’établissement.
A Clermont-Ferrand, les diverses mesures salariales non compensées depuis 2022 représentent un reste à charge annuel de 12,6 millions d’euros pour l’Université Clermont Auvergne. Et Mathias Bernard, son président, précise que « si le gouvernement maintenait son projet d’augmenter, sans compensation, le Compte d’affectation spéciale pension (CAS) — destiné à la gestion financière des retraites de l’État —, cela entraînerait un surcoût supplémentaire estimé à près de 3,1 millions d’euros pour son propre budget 2025 » (La Montagne, le 27 novembre 2024).
¹ En janvier 2022, la Conférence des présidents d’université (CPU) est devenue France Universités qui rassemble les dirigeants exécutifs de plus de 120 établissements d’enseignement supérieur. Elle représente l’ensemble des universités françaises et de nombreux autres établissements d’enseignement supérieur et de recherche. Lien dédié aux actualités et communiqués de presse sur la mobilisation des présidentes et présidents d’université : https://franceuniversites.fr/actualite/universites-attention-danger/
² Les universités tertiaires sont les universités de droit, économie et gestion et celles d’arts, lettres, langues, sciences humaines et sociales.
³ Lamri Adoui, président de l’Université Caen Normandie ; David Alis, président de l’Université de Rennes ; Carine Bernault, présidente de Nantes Université ; Virginie Dupont, présidente de l’Université Bretagne Sud ; Vincent Gouëset, président de l’Université Rennes 2 ; Pascal Leroux, président de Le Mans Université ; Pascal Olivard, président de l’Université de Bretagne Occidentale ; Laurent Yon, président de l’Université de Rouen Normandie ; Pedro Lages Dos Santos, président de l’université Le Havre Normandie.
⁴ Voir les dossiers des VRS 416 « Etudiant·e·s extra-européen·ne·s : bienvenue en France ? » (https://miniurl.be/r-5vgv) et 438 sur les « Établissements expérimentaux : des universités sans personnalité » (https://miniurl.be/r-5vgw).
Cet article est tiré du n°439 de notre revue la Vie de la Recherche Scientifique (VRS). Retrouvez l’ensemble des numéro dans notre rubrique VRS.