Les scientifiques sont mal traités depuis trop longtemps
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Quels que soient les domaines du savoir, la recherche est indispensable pour repousser les limites de la connaissance. Et il va de soi que nos sociétés ont besoin plus que jamais d’apporter des réponses aux questions considérables que posent la démocratie, la santé, la transition socio-écologique, l’innovation responsable… Et pourtant, malgré leur rôle essentiel pour la société et surtout son avenir, la recherche publique et les scientifiques sont particulièrement mal traités par l’État, et ce depuis plus de 20 ans.
La France s’était engagée au niveau européen à consacrer dès 2010 au moins un pourcent de son produit intérieur brut (1% du PIB) à la recherche publique. Or, non seulement les gouvernements successifs n’ont pas tenu cet engagement mais, pire encore, ils ont imposé toute une série de réformes à contre sens qui auront particulièrement dégradé les conditions de travail des scientifiques. La dernière d’entre elles, la loi de programmation de la recherche du 24 décembre 2020, promettait – encore une fois – le respect de cet engagement : prenant acte du décrochage de la recherche, le fameux « 1% du PIB » pour la recherche publique était enfin « programmé » ! Cependant, dès l’examen du projet de loi de programmation de la recherche, le SNCS-FSU, et d’autres organisations, avait montré que cette programmation pluriannuelle du budget de la recherche était insincère. La preuve hélas est là.
Outre le handicap que représente pour la recherche publique la dégradation des moyens de travail des scientifiques – il s’agit des femmes et des hommes chercheurs, enseignants-chercheurs, ingénieurs et techniciens de recherche ou en soutien à la recherche, qu’ils soient fonctionnaires ou contractuels – nous voulons pointer ici un aspect rarement évoqué : à savoir le fait que le sous-investissement chronique dans la recherche publique se traduit aussi par des rémunérations et des carrières indignes au regard des responsabilités, formations et diplômes de ces scientifiques. C’est particulièrement flagrant pour ceux recrutés après un doctorat. A titre d’exemple, pour « rattraper » la rémunération des agents des catégories comparables de la fonction publique d’État (1) ou atteindre la moyenne de l’OCDE (2), les rémunérations des scientifiques titulaires d’un doctorat ou équivalent devraient être revalorisées de 60% ! Faut-il ajouter – puisque c’est d’actualité – que ces derniers sont recrutés à un âge moyen situé entre 34 et 36 ans, après souvent des années de recherche à l’étranger qui ne sont toujours pas prises en compte dans le calcul de leur future pension de retraite ?
Face à ces questions structurelles majeures, le gouvernement ne propose rien, ou juste des pansements. Et les soi-disant « revalorisations des rémunérations » prévues pour 2027 dans le cadre de la dernière loi de programmation de la recherche sont déjà anéanties par l’inflation.
Jusqu’à présent, les gouvernements successifs se sont permis d’ignorer la chute d’attractivité en France des métiers de la recherche publique, regardant « ailleurs », comme s’ils espéraient que l’effondrement de notre industrie pourrait être évité en accordant l’aide publique à la recherche privée la plus généreuse du monde, via le crédit d’impôt recherche (CIR). Seulement, la chute de l’attractivité de la recherche publique est bien là. En témoigne la dernière édition de l’État de l’emploi scientifique en France (3) parue le 15 mars 2023, qui montre une baisse régulière et continue, depuis 10 ans, du nombre de doctorats délivrés, du nombre de thèses en cours, et aussi du nombre de primo-inscriptions en doctorat : à chaque fois la chute des effectifs est de l’ordre de 10% sur les dix dernières années où les chiffres sont connus. Pourtant le vivier est là, comme en témoigne l’augmentation du nombre d’ingénieurs diplômés et de celui des inscrits en master, sauf que le taux d’étudiants diplômés d’un master 2 poursuivant en doctorat a été divisé par trois entre 2006 et 2020, passant de 10,9% à 3,6%. Le nombre de diplômes de doctorat délivrés est quant à lui tombé sous la barre de 14 000 par an depuis 2019 alors que la stratégie nationale de l’enseignement supérieur de 2015 (4) fixait l’objectif de 20 000 docteurs à former par an… en 2025.
Il ne faut pas s’y tromper : la baisse du nombre de doctorants n’est pas que le symptôme de la chute de l’attractivité de la recherche publique, elle va aussi accélérer le décrochage de toute la recherche en France. Une génération entière a déjà été perdue depuis le début des années 2000, et le risque est à présent de perdre au moins une deuxième génération s’il n’y a pas de prise de conscience de la gravité de la situation.
Il est impératif de rétablir l’attractivité dans la recherche publique, de restaurer des conditions de travail permettant une recherche de qualité dans un environnement favorable. Il est urgent de revaloriser les rémunérations des scientifiques en les portant au niveau de celles des corps comparables de la fonction publique d’État. Pour ce, il faut revoir la trajectoire budgétaire de la loi de programmation de la recherche en passant à des marches de deux milliards d’euros par an jusqu’en 2027 : c’est la condition pour respecter à la fin de ce quinquennat l’engagement de la France d’investir 1% de son PIB dans la recherche publique.
Ce n’est qu’à ce prix que les métiers de la recherche retrouveront leur attractivité. Lorsqu’on forme moins de chercheurs, il y a moins d’actifs dans le monde du travail qui ont été formés par la recherche et à la recherche ; il y a moins de science dans les secteurs public et privé, moins d’irrigation de l’enseignement par la recherche ; il y a moins de science dans toute la société…
Syndicat national des chercheurs scientifiques (SNCS-FSU)
(1) Rapport annuel sur l’état de la fonction publique – édition 2022
(2) Rapport du groupe de travail sur l’« attractivité des emplois et des carrières scientifiques » du 23 septembre 2019 en préparation de la loi de programmation pluriannuelle de la recherche
(3) L’état de l’emploi scientifique en France – édition 2023
(4) Pour une société apprenante – Propositions pour une stratégie nationale de l’enseignement supérieur. Rapport du 8 septembre 2015