Au risque de la destruction d’un service public, la direction générale choisit d’humilier la majorité de ses scientifiques
Communiqué en interne de l’intersyndicale de l’Inria (Sgen-CFDT, SNCS-FSU, SNTRS-CGT), 18 octobre 2022
Lors de la dernière réunion DRH-Organisations Syndicales, la DRH a présenté à l’intersyndicale (SGEN-CFDT, SNCS-FSU, SNTRS-CGT) le projet de la Direction Générale (DG) de revalorisation du salaire des futurs ISFP (CDI chercheurs). Ce projet a suscité de nombreuses remarques des organisations syndicales, mais a néanmoins été présenté sous la même forme pour information en CTI le 11/10/2022.
Non seulement ces revalorisations sont en total décalage avec la filière CR/DR, mais en plus leur mise en place en elle-même créé des inégalités graves entre les ISFP selon leur historique.
Retour quatre ans en arrière : La motivation annoncée des postes ISFP était la suivante : les salaires de CR sont trop bas, ils n’attirent pas. Des nouveaux postes en CDI avec un salaire plus attractif peuvent attirer un profil « différent », mais en revanche l’idée n’est pas d’inscrire les salaires dans une évolution salariale au cours du temps. Si les ISFP veulent rester dans le temps à l’institut, ces dernièr·e·s doivent candidater à des postes de fonctionnaire.
Les trois dernières périodes de recrutement ont démontré les multiples erreurs de cette analyse initiale de la Direction Générale :
- à une écrasante majorité, les candidat·e·s sont les mêmes,
- le vivier de candidatures ne s’est pas élargi, le nombre de candidatures baisse,
- et surtout les admis·es qui ont le choix entre des postes CRCN ou ISFP choisissent très majoritairement les postes de CRCN.
Depuis quatre ans, plusieurs effets combinés ont permis de revaloriser les salaires des CR débutant·e·s : la légère augmentation du point d’indice, l’amélioration des conditions de reclassement des CR, l’augmentation de la prime de recherche, et enfin l’attribution d’une prime RIPEC C3 pour les nouveaux recrutés, prime qu’ils conservent 3 ans.
Plutôt que de se féliciter simplement de cette amélioration des conditions de recrutement CRCN, l’institut propose de revaloriser les futurs contrats ISFP pour qu’ils soient largement plus avantageux que les postes de CRCN. Par cela, elle admet que son but n’est pas d’attirer à l’Inria, mais bien de rendre les postes de fonctionnaires moins attractifs.
Qui plus est, la comparaison justifiant cette revalorisation est faite en regard de la rémunération d’un CRCN nouvellement recruté qui bénéficie de la prime C3. Celle-ci est bien entendu temporaire, et il est insincère de comparer ainsi un complément de rémunération temporaire des CRCN avec une rémunération pérenne pour les ISFP. Rappelons que la DG s’est opposée à l’attribution de cette prime à une très large majorité de scientifiques comme la loi l’y autorisait.
Sur la base de la revalorisation proposée, le salaire nouvellement proposé aux ISFP peut très légitimement être perçu comme humiliant pour les agents déjà en fonction, y compris jusqu’au niveau CRHC, DR2 et au delà. On peut par exemple établir les profils suivants (en annuel brut, sauf erreur ; détails disponibles sur demande) :
- Aicha, PhD 2008, CR2 2010, REP, DR2 depuis 2018 => rémunération = 56106€ en 2023
- Bertrand, PhD 1998, CRCN depuis 1998, CRHC depuis 2018 => 52106€ en 2023.
- Cindy, PhD 2016, CRCN depuis 2018 => 43783€ en 2023.
- Damien, PhD 2020, CRCN depuis 2022 => 44371€ en 2023. Sa rémunération chutera probablement à 42873€ dans trois ans.
- Eugénie, PhD 2019, ISFP depuis 2021 => 45258€ en 2023.
- Fabrice, PhD 2019, ISFP depuis 2022 => 56512€ en 2023.
La proposition qui est faite entraînerait que ces postes soient mieux payés qu’un poste de DR2 responsable d’équipe avec 15 ans d’expérience !!! En outre, Eugénie, qui était en thèse en même temps que Fabrice et a réussi le concours plus tôt grâce à son meilleur dossier, perçoit presque 1000€ bruts par mois de moins.
Alors que l’âge de passage DR recule face au manque de postes, mais que les postes de jeunes recrutés attirent de moins en moins (nous rendons cette année plusieurs postes sur divers concours), ce n’est pas ce dont l’institut a besoin.
Nous assistons à une dérégulation sans précédent, réalisée en dépit du bon sens. Une dérégulation sans projection, au mépris de tous les chercheurs et chercheuses et d’un cadre de travail sain. Nous sommes loin de ce qu’on pourrait attendre d’un management compétent.
Nous demandons à la direction générale:
- de reconsidérer, en vraie concertation avec les organisations syndicales, ce projet de revalorisation hors-normale, humiliant pour les scientifiques en poste dans l’institut.
- d’ouvrir largement des postes de DR2, pour permettre à tous les personnels scientifiques d’envisager une trajectoire salariale meilleure, ISFP comme CR. À coût quasi identique, l’Inria pourrait plutôt ouvrir ces promotions DR2 ; c’est donc un choix politique de la direction de ne pas le faire. La possibilité d’avoir une promotion rapidement rendrait l’institut vraiment plus attractif !
- de mettre un terme à cette multiplication chaotique des types de statuts pour un même emploi. Les corps de CR et DR doivent absolument rester la pierre d’angle des emplois scientifiques dans un EPST, et tous les chercheurs doivent appartenir à ces corps ou bien (pour les ISFP, SRP, SRP4ERC, ARP, CPJ, …) pouvoir les rejoindre rapidement, dans des conditions justes pour tous.
— L’intersyndicale, SGEN-CFDT, SNCS-FSU, SNTRS-CGT
Appendice : Calculs des rémunérations
Pour simplifier, toutes les thèses sont supposées soutenues au 30/09, et les recrutements au 01/10. On suppose qu’entre PhD et recrutement, les gens sont en post-doc. On suppose que les personnels n’ont pas le bonheur de toucher la prime C3 (à l’exception des jeunes CR bien sûr), mais par contre ils touchent C1 (barème 2023) et (pour les REP) C2.
Les salaires sont donnés en Brut, mais le passage Brut-Net est quasi identique entre fonctionnaires et CDI.
Aicha, PhD 2008, CR2 2010, REP, DR2 depuis 2018 => rému = X en 2023
- ancienneté au recrutement: 2/3 de 3 ans thèse = 2ans, 2ans post-doc, 1 an de bonus PhD. Total 5 ans, donc ech5 avec 8 mois résiduels.
- Promotion CR1, disons, 2 ans plus tard. Passage de CR2E6+8mois à CR1E3+8mois.
- 6 ans plus tard ça fait du CR1E5 (devenu CRE6 entre temps)+20mois.
- Passage DR2 à ce moment là, DR2E2+20 mois qui fait DR2E3+0.
- 4 ans et 3 mois plus tard (au 01/01/2023), Aicha est donc DR2E5(échelon de la mort)+18 mois, avec donc encore 24 mois dedans.
- Aicha sera donc rémunérée à l’indice 830 pendant toute l’année 2023. Sa rému sera de
56106€ = 830*58.2004+3800+4000
Bertrand, PhD 1998, CRCN depuis 1998, CRHC depuis 2018
- 5 ans retenus au recrutement (voir Aicha). E5+8.
- 2 ans plus tard (01/10/2000), CR1E3+8.
- au 01/09/2017 (203 mois plus tard) plus tard, CR1E9+24 = CRE10+24.
- 13 mois plus tard, CRHCE6+37, avec donc encore 23 mois à courir. Bertrand sera rémunéré à l’indice 830 pendant toute l’année 2023. Sa rému sera de
52106€ = 830*58.2004+3800
Cindy, PhD 2016, CRCN depuis 2018
- (je prends en compte la modif de reconstit récente). Au recrutement, il y a 3 ans (PhD) + 1 an (bonus PhD) + 2 ans (post-doc), donc six ans. Ce qui fait CRE4+9 mois
- 4 ans et 3 mois plus tard (au 01/01/2023), ça fait CRE6+0.
- Cindy sera rémunérée à l’indice 687 pendant toute l’année 2023. Sa rému sera de
43783€ = 687*58.2004+3800
(il n’a plus la C3)
Damien, PhD 2020, CRCN depuis 2022
- 6 ans de service antérieurs retenus (3+1+2), donc E4+9 au recrutement,
- E4+12 au 01/01/2023.
- Indice 594 pendant toute l’année 2023.
- Damien aura une C3, aussi. Sa rému sera de
44371€ = 594*58.2004+3800+6000
- Dans trois ans, au 01/01/2026, E5+18. Rémunération
42873€ = 637*58.2004+5800
Eugénie PhD 2019, ISFP depuis 2021
- Moins de deux ans d’xp au recrutement ISFP.
- Sa rému est à
45258€ = 43728 * 1.035
.
Fabrice, PhD 2019, ISFP depuis 2022
- Trois ans d’xp au recrutement ISFP.
- Sa rému est désormais à 56512€ (proposition DG)