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Académie : les docteurs Folamour de la bibliométrie ! : SNCS-HEBDO 11 n°02 du 10 février 2011

VRS10 février 2011


Dans un rapport ambigu livré le 17 janvier 2011, l’Académie des sciences laisse percer sa fascination pour le nouveau joujou à la mode : la bibliométrie. Elle met certes en garde contre sa « mauvaise utilisation » et certaines de ses observations sont judicieuses, mais quelle cohérence y a-t-il, après une longue série d’avertissements, à bâtir une véritable ode à la bibliométrie, débouchant sur des recommandations qui font froid dans le dos ? L’idée qui eût justifié que l’Académie prît la parole : le retour, soutenu par son autorité morale, à une évaluation véritablement scientifique parce que débarrassée de la bibliométrie, n’est même pas examinée. Au contraire : saisis d’une véritable fièvre numérophile, les académiciens préconisent de systématiser l’utilisation de la bibliométrie pour « déblayer » (sic) les candidatures, « écrémer » (resic) les dossiers. Le port de l’épée fait-il perdre la tête ? Sabrez, sabrez dans les dossiers, vous réfléchirez après ! Voilà le message de l’Académie des sciences. Académiciens, pour vous Vermeer, avec à peine 37 tableaux cités, n’aurait jamais été promu DR1.

Christophe Blondel, trésorier national du SNCS-FSU



L’abondance de formes négatives utilisées dans le discours de l’Académie des sciences sur la bibliométrie (la bibliométrie ne doit pas faire ceci, ne doit point être cela…) ne laisse pas d’évoquer une forme de déni freudien. « Non, non, docteur, je ne suis pas atteint par la mania bibliométrique ! » C’est au moins un bien étrange parti pris que de tirer, de l’observation des mille et un défauts de l’outil, la conclusion qu’il faut l’utiliser plus intensément encore…

L’enfer est pavé de bonnes intentions. Conseiller de « ne pas se contenter d’utiliser la bibliométrie » et d’étudier aussi le fond du dossier paraît une recommandation de bon sens que l’on pourra répéter. Mais l’écrire ainsi n’est déjà pas neutre. « Ne vous contentez pas de » vaut en effet injonction de le faire, sinon on aurait écrit seulement – ce qui eût été sage – « Étudiez avant tout le fond du dossier ».

Certains avertissements, tel « Le calcul des indices ne doit pas être laissé à des non-spécialistes (notamment l’administration) », peuvent aider les évalués dans leur légitime résistance face au rouleau compresseur bibliométrique et on a certes besoin, pour faire pièce quotidiennement à la tentation de l’évaluation technocratique, de tels arguments.

Mais cette consolation risque de n’être que de courte durée. L’Académie n’est pas seulement favorable à la bibliométrie, elle est carrément emballée ! Avec un luxe de détails effrayant, elle préconise de multiplier les indicateurs (mérites quantifiés des auteurs, ratios entre taux de citations, « mise au point de critères », « établissement de règles… ») ad nauseam. Pis : elle écrit, horresco referens, que « la bibliométrie peut devenir une aide pour déblayer le terrain en éliminant [les candidats] dont les performances sont manifestement trop faibles ». Déblayer –  c’est très clair – avant même de commencer à réfléchir ! Et la phrase « Dans le cas où la décision finale ne correspondrait pas aux indices bibliométriques, une argumentation explicite des raisons de cette décision devrait être fournie » signifie bien a contrario qu’aux yeux de l’Académie, un classement purement bibliométrique serait une justification en soi.

« Nier l’intérêt de la bibliométrie est inutile car elle continuera à être utilisée ». Quelle abdication ! Tout ce qui est utilisé serait donc utile ? Cette capitulation aveugle devant une tradition (pourtant si récente !) on a envie de la traiter par les mots de Churchill : « le rhum, la sodomie et le fouet ».

Déblayer… Chercheurs qui cultivez encore l’amour de la découverte rare, du travail patient qui demande des années pour porter ses fruits, vous n’êtes, aujourd’hui, pour l’Académie, que du « déblai » ! Si ce honteux mot d’ordre (qui exempte on ne sait pourquoi les mathématiciens et eux seuls de la peste bibliométrique) n’est pas lui-même déblayé, l’avenir n’appartiendra bientôt plus qu’aux auteurs répétitifs, coupeurs de cheveux en quatre et encombreurs d’étagères.

Quant à nous, nous continuons à croire que l’avenir de la recherche scientifique n’est envisageable que si sont respectées la liberté intellectuelle, l’originalité et la méthode de travail de chacun. L’évaluation des chercheurs ne peut procéder que par l’analyse individualisée et suivie de leur recherche et de leurs travaux. Ce n’est pas une affaire de chiffres – la qualité n’est pas une propriété émergente de la quantité (1) – révérence gardée aux mathématiciens.

1. Selon la belle formule de Barbara Cassin. SNCS-HEBDO 11 n°02 du 10 février 2011



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