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CA des 18 et 19 mars 2005 : Motion Recherche et projet de Constitution Européenne

mmSNCS-FSU22 mars 2005

I. Les domaines d’intervention du SNCS-FSU concernent les services publics et leurs modes de gestion, les droits et les statuts des personnels chercheurs, ingénieurs et techniciens des organismes de recherche (EPST, EPIC) ainsi que les rapports entre recherche scientifique et société. C’est à ces titres que le SNCS entend se positionner par rapport aux conséquences des politiques publiques, y compris européennes. Le SNCS rappelle qu’il élabore ses propres analyses syndicales, indépendamment de celles développées par les partis politiques, et qu’il est fondamentalement attaché à la construction d’une Europe :

· économique et sociale des peuples, où les valeurs de solidarité supplanteront celle de compétition et où l’objectif de services publics accessibles à tous sera considéré comme prioritaire par rapport à celui visant à « offrir un marché intérieur où la concurrence est libre et non faussée » (article I-3-2 du projet de constitution)

· basée sur la réalisation de l’égalité des droits fondamentaux des individus tels que :
o droits à l’emploi non précaire, à une pension de retraite et aux allocations chômage prévus par la déclaration universelle des Droits de l’Homme de 1948
o droits à vivre sans violence, au divorce, à la contraception, à l’avortement et à l’orientation sexuelle de son choix
o droits d’être protégés contre toute forme de traite des êtres humains à des fins de prostitution ou de travail servile.

· où la Recherche scientifique sera d’abord au service du progrès de l’humanité, en particulier par le développement des connaissances et de libres coopérations s’étendant bien au delà des frontières de l’Europe, à l’opposé des objectifs de compétitivité économique et financière et de mise en concurrence des individus et de leurs structures de travail

· de la sécurité mutuelle qui rejette la guerre comme instrument de résolution des conflits internationaux et donc réduise les dépenses monstrueuses consacrées à la recherche militaire et à la production d’armes de destruction massive

· promouvant un nouvel ordre mondial basé sur la démocratisation de l’ONU, la coopération internationale, le développement durable et la préservation de l’équilibre écologique.

II. Le SNCS considère de sa responsabilité d’alerter les personnels de recherche des EPST et des EPIC sur les aspects critiquables du texte de projet de la constitution, en le replaçant dans le contexte

· du mode non démocratique de construction de l’Espace Européen de la Recherche (EER) dont la démarche « managériale » caractérise celle mise en œuvre par Larrouturou dans sa « réforme » du CNRS

· des politiques néo-libérales qui ont conduit à la désindustrialisation, aux délocalisations, au chômage, à la privatisation d’entreprises publiques et à la remise en cause de droits sociaux (retraite, assurance maladie, etc.) et qui se concrétisent dans la création par le gouvernement d’agences (ANR), de fondations et dans son projet de LOPRI

· en particulier des conséquences désastreuses qu’entraînerait l’application de la directive Bolkestein de libéralisation des services, commanditée à la Commission par le sommet européen de Lisbonne (mars 2000). Si cette directive était appliquée, elle instituerait le dumping social soit via le « principe du pays d’origine » soit via les délocalisations vers les pays du « moins disant » social et fiscal. « Elle est un point essentiel de la relance de la stratégie de Lisbonne sur la compétitivité de l’Union » (Commissaire Barroso 4/02/05). Elle est une conséquence logique de la « liberté d’établissement » inscrite dans les articles III-137 & 138 du projet de Constitution. Elle en reprend le credo : c’est au marché et à lui seul que doit revenir le soin d’harmoniser les dispositions sociales et fiscales des Etats membres. C’est le problème central que pose le projet de constitution et le fonctionnement de la commission : ne voulant pas gérer la transition entre l’état très inhomogène actuel des 25 pays et l’objectif final, elle ne vise pas à réduire partout les inégalités, mais d’abord à en permettre la libre mise à profit.

· Si le lien de la recherche avec la société civile (pas seulement sa partie financière) est important, la politique de recherche a une dynamique propre à la connaissance elle-même, et donc interne à la communauté scientifique concernée. Ceci justifie des systèmes de représentation importants au sein de la communauté et des organisations scientifiques. Ceux-ci sont menacés par les réformes et les projets européens actuels, tout comme plus largement la démocratie qui est mise à mal par la logique du grand marché omnipotent. Il devient par exemple impossible de mener des politiques locales pour compenser les effets destructifs de la mise en concurrence dans des conditions de salaires, de fiscalité et de droits sociaux très inégales, puisque les aides sont interdites (article III-167), hors perturbations graves (articles III 167-3 b, III 168-2, III-131: incitation à la révolte ?).

III. Le projet de Constitution aurait pu porter les valeurs de progrès social et de paix, les droits fondamentaux des individus, les droits collectifs des salariés ainsi que l’organisation démocratique du fonctionnement des institutions. En lieu et place, le SNCS constate que la partie III du projet décline de façon répétitive (68 fois) et inquisitoire la généralisation d’une « concurrence libre et non faussée ». Erigée en principe absolu dominant toute autre considération, cet objectif interdira de fait aux peuples européens leur droit souverain de choisir l’orientation idéologique de leur gouvernement.
Quant à la Charte des droits fondamentaux (partie II du projet), qui n’est pas une nouveauté puisque déjà présente dans le traité de Nice, elle ne constitue pas une avancée et la FSU l’a considérée lors de son dernier congrès comme « pas acceptable en l’état ». Elle est en effet en retard sur des chartes sociales déjà existantes dans certains pays européens. De plus, elle risque de rester un vœu pieu, puisqu’elle n’implique pas de mise en œuvre ni « ne crée aucune compétence ni aucune tâche nouvelle pour l’Union » (II-111-2).

Concernant la France, elle apporte une régression dans deux domaines :

· celui de la laïcité, principe qui est remplacé par « la liberté de manifester sa religion … en public ou en privé, par le culte, l’enseignement, les pratiques etc. » (II-70). De surcroît, le préambule du projet de Constitution déclare s’inspirer « des héritages culturels, religieux et humanistes de l’Europe », alors que les compétences qu’il retire aux parlements nationaux ne sont pas reconnues au parlement européen.

· celui des services publics : alors que l’article 16 du traité de Nice confirmait le traité d’Amsterdam en inscrivant ces derniers dans les valeurs communes de l’Union, le projet de Constitution ne le mentionne plus que concernant les transports : à propos des « aides qui correspondent au remboursement de certaines servitudes inhérentes à la notion (sic) de service public » (article III-238). Les services publics, en tant que tels, sont ainsi ignorés du projet de Constitution et remplacés par des Services d’Intérêt (Economique) Général. Ces SI(E)G ne sont conçus que pour « promouvoir la cohésion sociale et territoriale » (article II-96 & III-122), leurs « missions pouvant être exercées aussi bien par l’Etat, une collectivité territoriale ou une entreprise privée ou publique » (directive-cadre toujours en instance de rédaction définitive). Bien que l’article III-122 prévoit que les états membres ont compétence pour fournir et financer les SI(E)G, elle ouvre la voie de la dissolution des services publics, contraints à faire des bénéfices puisqu’ils devraient respecter la constitution et notamment l’article III-167 qui interdit les aides. La « modernisation » actuelle en France met en place des indicateurs de performance et des fonctionnements plus hiérarchiques et sur objectifs qui sont déjà dans la ligne de cette gestion concurrentielle des SI(E)G et de la sous-traitance et bientôt de l’AGCS, au détriment des missions de service public. Pour la recherche, la LOLF accorde par exemple une importance excessive aux brevets et au suivi des priorités.

Dans de nombreux domaines sociaux, le projet de Constitution est notoirement insuffisant :

· droit à l’emploi, remplacé par « droit de travailler » et « liberté de chercher un emploi »

· baisse du taux de chômage, remplacée par « niveau d’emploi élevé » (article III-205)

· plusieurs droits sociaux (retraite, allocations chômage, etc.) non reconnus

· refus de mentionner l’égalité des droits entre les sexes parmi les valeurs « de respect de la dignité humaine, de liberté et de démocratie, etc. », qui fondent l’Union (I-2).

· Ce droit à l’égalité, affirmé comme principe dans la Charte (II-83) et à l’article III-116, est minoré par l’article III-124 qui préconise qu' »une loi cadre – votée à l’unanimité par le Conseil – peut établir les mesures nécessaires pour combattre toute discrimination etc. » mais « à l’exclusion de toute harmonisation des dispositions législatives et réglementaires » des Etats (cf. directive Bolkestein). « Réduire les inégalités » : l’objectif affiché n’est pas la diminution du chômage ou des inégalités (article III-116), mais seulement chercher à atteindre un niveau d’emploi élevé ou de donner des droits équivalents d’atteindre les positions privilégiées, indépendamment du genre (sexe), ethnie, âge ou autre qualité (compte en banque exclu ?). Cette lutte contre les discriminations (art III-124) est bien sûr nécessaire, mais « l’égalité des chances » (un groupe de travail de la commission) seule n’est pas suffisante car elle peut mener à l’augmentation des inégalités : c’est la conséquence logique de la libre concurrence non faussée au détriment des politiques sociales. Il faut donc affirmer la réduction de toutes les inégalités comme objectif.

· droits des immigrés méconnus

Faut-il enfin rappeler qu’une directive en préparation sur le temps de travail prévoit :

· de porter de 48 à 60 heures la durée maximale hebdomadaire du travail et

· de généraliser l’individualisation des contrats de travail, réduisant ainsi à néant toute possibilité de i) convention collective (pourtant reconnue à l’article II-88 du projet de Constitution) et ii) d’entrée sur concours à la Fonction publique, dont les personnels verraient leurs statuts alors profondément fragilisés.

IV. Concernant la Recherche scientifique (dont la fonction de service public n’est pas reconnue), l’article II-73 de la Charte proclame que « les arts et la recherche scientifique sont libres » et que « la liberté académique est respectée ». Mais ces libertés sont sérieusement écornées par l’article III-252-1, qui stipule que « pour la mise en œuvre du programme-cadre pluriannuel, la loi européenne établit les règles applicables à la diffusion des résultats de la recherche », ainsi que « les règles de participation des entreprises, des centres de recherche et des universités » (notez la hiérarchie !).

S’il peut être positif économiquement d’augmenter l’innovation et donc son interface avec la recherche fondamentale, il faut développer cette dernière et protéger sa logique propre par des services publics et des instances scientifiques représentatives (élues) telles que le comité national de la recherche scientifique ou le CNU. L’interface entre la recherche publique et la société doit aussi comprendre des représentants d’associations de citoyens, pas seulement les acteurs économiques ou institutionnels.

Le SNCS constate que le projet de Constitution ne parle du rôle de la recherche que par ses applications technologiques, en associant systématiquement tout au long du texte Recherche et développement technologique, et en asservissant la recherche aux demandes des entreprises. Ainsi (article III- 248), « L’action de l‘Union vise à renforcer ses bases scientifiques et technologiques, …, à favoriser le développement de sa compétitivité, y compris de son industrie, … ». Nulle part il n’est question de recherche fondamentale (et encore moins de Sciences humaines et sociales) ayant pour but de développer les connaissances, de produire et transmettre de nouveaux savoirs. La recherche fondamentale constitue un socle essentiel du développement durable et sans elle innovation et technologie ne peuvent d’ailleurs simplement pas se développer. C’est très probablement parce que ses bénéfices ne sont pas à court terme que l’intérêt de la recherche fondamentale n’apparaît pas dans le texte du traité, et son développement est menacé par la logique de rendement a court terme et de pilotage qui se met actuellement en place à travers les projets de réformes qui privilégient l’innovation (LOPRI).

Le SNCS affirme que les chercheurs, de par la nature même de leur métier, n’ont pas attendu qu’un texte constitutionnel leur attribue « un espace européen de la recherche dans lequel les chercheurs, les connaissances scientifiques et les technologies circulent librement » (article III-248). Mais, restreindre cette liberté à l’espace de l’Europe, d’une part, et ne la concevoir que pour « favoriser le développement de sa compétitivité, y compris celle de son industrie », d’autre part, sont la signature d’une méconnaissance profonde de l’universalité de l’acte de chercher et de découvrir, qui n’est pas réductible à celui d’innover et de développer pour satisfaire les besoins des marchés, notamment financiers.
Le SNCS salue les améliorations visant à supprimer les obstacles (visa, etc..) s’opposant à des mobilités volontaires résultant de collaborations librement développées. Par contre la mobilité n’est pas une fin en soi et ne doit pas être artificiellement forcée (cf. III-249-d) et créer ainsi de nouvelles lourdeurs administratives.

Le SNCS souhaite que tous les chercheurs européens puissent bénéficier du statut qui assure aux chercheurs CNRS une sécurité d’emploi pérenne leur permettant de prendre des risques, en lieu et place de CDD successifs travaillant sur des projets de courte durée. Il ne s’agit pas seulement de ne pas abuser des jeunes doctorants et post-docs en situation précaire comme le défend la charte européenne de l’emploi de chercheur, mais d’aller plus loin en organisant une embauche jeune sur postes permanents. Ceux-ci sont le meilleur support de la liberté de recherche et des perspectives de carrière que la charte défend. Dans le processus de construction de l’EER, s’il est bon que la charte précise que cela ne doit pas conduire à une remise en cause des meilleures conditions qui peuvent exister dans certains pays, cela devrait être un principe central général et non une mention annexe.

Compte-tenu des finalités et des lourdeurs bureaucratiques légendaires des PCRD européens, le SNCS dénonce la teneur de l’article III-250 qui prévoit que « la Commission peut prendre des initiatives en vue d’établir des orientations (de recherche) et des indicateurs, d’organiser l’échange des meilleures pratiques (de recherche) et de préparer les éléments nécessaires à la surveillance et à l’évaluation périodiques ». Déniant (avec les Etats généraux de Grenoble) tout rôle de pilotage de la recherche par le Ministère en France, le SNCS ne peut que condamner une telle orientation du projet de Constitution, d’autant qu’il prévoit que le Parlement européen ne sera même pas consulté, mais juste « pleinement informé ».

L’EER ne doit pas consister à substituer une organisation européenne aux organisations nationales mais de permettre une coordination entre elles

 ne coordonner au niveau européen que ce qui relève de cette dimension,

 confier la mise en œuvre à des organismes nationaux

 s’appuyer sur les instances nationales pour l’évaluation, y compris de la politique scientifique

 renforcer partout la représentativité démocratique des instances scientifiques, se défier des indicateurs qui ne peuvent fonder que des politiques de court terme et doivent être interprétés (quand ils sont pertinents…)

Ceci ne s’oppose pas au développement progressif de structures européennes, mais évite de surajouter inutilement des superstructures technocratiques. Il faut favoriser le maximum d’autonomie à la base, et à chaque niveau pour ce qui lui est pertinent, tout en restant dans un système public et cohérent. Comme cela a été souligné lors des états généraux de la recherche, il est essentiel de redonner des moyens propres (« récurrents ») au système de recherche public : organismes, laboratoires, équipes. Au moins 70% des moyens propres hors salaire des laboratoires doivent représenter des crédits récurrents au sein des organismes concernés, et non pas provenir d’appels d’offres externes (régionaux, nationaux, européens ou contrats privés). L’augmentation des moyens de la recherche ne doit donc pas correspondre à une augmentation des moyens d’agences nationales ou européennes ou fondations au détriment des organismes publics et de leurs missions de recherche qu’ils doivent pouvoir exercer dans la durée.

Enfin, le SNCS s’inquiète de la création d’une « Agence européenne de défense dans le domaine du développement des capacités de défense, de la recherche, des acquisitions et de l’armement … » dont une des « missions est de soutenir la recherche en matière de technologie de défense, de coordonner et de planifier des activités de recherche conjointes etc. » (article III-311-1d). L’Europe ne doit pas stimuler l’utilisation des armes et au contraire œuvrer au désarmement de la planète et à la paix.

V. Aussi, la CA du SNCS réunie le 19 mars 2005 :

1. souhaite que se réalise une Europe des peuples progressiste et un EER démocratique,
affirme son profond désaccord avec l’orientation néo-libérale du projet de constitution,

2. appelle les syndiqués à informer leurs collègues de l’appréciation négative qu’elle porte,

3. appelle donc les personnels de la recherche à voter « non » lors du referendum du 29 mai 2005.



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