Sciences de la Vie ou surVie des sciences ? : SNCS-HEBDO 06 n°28 du 13 novembre 2006
Les déclarations de C. Bréchignac présentent un triple aspect : des divergences profondes mais prévisibles avec notre conception de la recherche (salaire à la carte, rôle des « experts », recrutement), des dérapages inacceptables sur « le rapport qualité-prix » des sciences de la vie et surtout, seul aspect que nous discutons ici, la volonté de ne « retenir que deux priorités » dans ce secteur, sans accroître le poids de la biologie au CNRS.
Henri-Edouard Audier et Jean-Luc Mazet, membres du bureau national du SNCS-FSU
En révélant que le CNRS n’a plus les moyens de remplir ses missions, C. Bréchignac démontre ce que nous affirmions sur le « Pacte pour la recherche ». Et cette mutilation, au profit de l’Agence nationale de la recherche, n’est qu’une première étape dans le remodelage du CNRS.
Certes, il y a un problème de financement global de la recherche publique et particulièrement dans le secteur des sciences de la vie, d’où est parti le mouvement de l’année 2004. C’est pourquoi nous demandions « un doublement des crédits de base des établissements et un triplement pour la biologie », qui vit une explosion semblable à la physique du début du siècle dernier. Mais l’enjeu transcende la France. Si cette année tous les prix Nobel scientifiques sont allés à des Américains, c’est que l’ensemble de l’effort de recherche européen marque un décrochage depuis les années 90. La recherche publique n’est pas la seule touchée. En France, les seuls grands succès de la recherche industrielle proviennent d’entreprises nationales. Depuis 20 ans, les firmes pharmaceutiques se sont plus intéressées à leurs OPA réciproques qu’à la recherche. Le chiffre d’affaires des biotechnologies est de 53 milliards $ aux États-Unis contre seulement 2,5 milliards € pour toute l’Europe. Et cela, ce n’est pas de la faute du CNRS et des EPST.
La qualité de la recherche américaine est incontestable mais elle n’est pas sans effets de modes, qu’elle propage dans le monde au travers du mimétisme des choix thématiques et des critères quantitatifs (citation index, classement de Shanghai). Cette recherche américaine n’en laisse pas moins à l’écart de larges pans de la science. Elle garde son avance en attirant de jeunes chercheurs porteurs d’idées nouvelles, dont la plupart prennent leurs sources dans les laboratoires européens. Pour la France, le CNRS et l’Inserm représentent une véritable chance car leurs équipes, travaillant dans le cadre du programme à terme d’un laboratoire, ont la possibilité de s’engager dans des voies inexplorées, de prendre le risque d’être premières sur une recherche originale plutôt qu’épigones dans les sentiers déjà balisés. Et il est bien connu que nul ne peut prévoir d’où viendront les percées de demain, ni leurs retombées appliquées.
Par ailleurs, chacun sait ce que la médecine moderne doit (IRM, laser, épidémiologie, etc.) aux apports de diverses disciplines ayant toutes contribué à ses progrès, aux côtés de la biologie. D’Allègre jadis à Sarkozy aujourd’hui, en passant par l’Inspection des Finances, le reproche au CNRS est récurrent de ne pas avoir accru la part des SDV. C’est ignorer qu’une part importante et croissante de ses laboratoires de physique, de chimie ou d’informatique travaillent en relation avec la biologie ou en amont de celle-ci. Le rôle pionnier du CNRS, c’est précisément d’insérer la biologie dans l’ensemble des sciences et de promouvoir les coopérations interdisciplinaires nécessaires. Il est bien sûr nécessaire d’accroître le poids de la biologie dans la recherche publique, au CNRS et ailleurs, mais cela ne peut se faire à budget constant. Il n’est pas responsable de déshabiller des secteurs disciplinaires pour en habiller d’autres, alors que l’ensemble de la recherche doit être développé pour construire une véritable société de la connaissance.
Enfin, pour sortir du désastre attendu, il faut certes un effort financier considérable, mais il faut aussi favoriser les coopérations et non la concurrence entre laboratoires, entre organismes, entre organismes et universités, entre public et privé, et entre disciplines. Cette coopération ne peut que s’appuyer sur une évaluation contradictoire et crédible, et surtout pratiquée collectivement par des représentants de la communauté scientifique avec le souci de soutenir les unités de recherche. En tout cas, il nous faut sortir du système dirigiste de l’ANR qui contraint les chercheurs à faire des demandes supplémentaires de crédits pour combler l’insuffisance des moyens de base, en leur disant où ils doivent chercher et ce qu’ils doivent trouver.
Cet enjeu-là, s’il concerne aussi les SDV, ne concerne pas que les SDV.SNCS-HEBDO 06 n°28SNCS-HEBDO 06 n°28