Déclaration FSU au CNESER du 8 octobre 2024
DÉCLARATION LIMINAIRE
Monsieur le Ministre,
Monsieur le Directeur général,
Mesdames et Messieurs
Monsieur Hetzel,
Alors que la déclaration de politique générale du premier ministre Michel Barnier n’a fait aucune place à la thématique de l’enseignement supérieur et de la recherche, vos premières interventions se sont portées sur un rappel à l’ordre dans nos établissements laissant sousentendre qu’ils seraient à la dérive. Cette entrée en matière est très problématique pour la FSU, au moment où les choix des gouvernements de ces dernières années amènent l’ESR au bord du précipice budgétaire et mettent en péril nos métiers et le service public.
Avant toute chose, l’ESR doit disposer d’un budget ambitieux. Nous n’avons pas le choix. Vous devez obtenir les moyens budgétaires permettant à l’ESR de remplir ses missions, et en particulier de réussir la démocratisation de l’enseignement supérieur et le développement d’une recherche libre et indépendante des lobbies.
La quasi totalité des universités est aujourd’hui dans une situation préoccupante, voire alarmante, et il manque des milliards pour assurer nos missions de service public. La coupe annoncée du budget d’au moins 400 millions d’euros est catastrophique et la part du budget de la MIRES dans le budget de l’État n’a jamais été aussi faible. En effet, pour la cinquième année consécutive, elle est inférieure à 6 % alors qu’elle était de 6,8 % en 2011. La bonne volonté des fonctionnaires du MESR ne saurait suffire. Ils et elles sont épuisé·es par la surcharge de travail, leur déclassement salarial, les attaques dont ils et elles sont l’objet et la perte de sens de leur métier à laquelle la dérégulation de l’ESR n’est pas étrangère.
Parmi les priorités budgétaires, nous pouvons citer l’augmentation des salaires, la création et la non suppression de postes de titulaires, l’augmentation des heures de formation pour notamment améliorer l’encadrement des étudiant·es et limiter le décrochage ou l’échec, l’augmentation des subsides pérennes pour la recherche, la transition écologique avec en particulier la rénovation des bâtiments, etc.. L’État doit préserver les budgets qu’il consacre à la recherche, que ce soit dans les universités ou dans les EPST. Le soutien apporté aux entreprises via le crédit impôt-recherche n’a jamais fait la preuve de son efficacité et ressemble plus à une subvention déguisée. Si un effort doit être fait pour rétablir les finances publiques, après les années Covid où la collectivité a, « quoiqu’il-en-coûte », soutenu le secteur privé, cet effort doit protéger l’investissement public dans la recherche scientifique, seul à même de produire innovation et progrès sur le moyen et long terme.
En cette rentrée universitaire nous alertons également sur la crise du recrutement qui, après l’enseignement scolaire, touche maintenant l’enseignement supérieur avec 18 % de postes non pourvus en 2024. Le rehaussement des bourses des étudiant·es est également un sujet d’importance : il est crucial que les jeunes inscrit·es dans nos universités puissent se concentrer sur leurs études, ce qu’ils ne peuvent pas faire sereinement quand ils ou elles ne mangent pas à leur faim, dorment dans la rue ou manquent de l’essentiel – les représentant·es des étudiant·es en parleront mieux que nous.
En deuxième lieu, l’ESR nécessite un cadre réglementaire protecteur qui permette l’exercice de nos missions de service public. Depuis plus d’une dizaine d’années, ce cadre réglementaire est attaqué et grignoté, par la LRU d’abord, et maintenant dynamité par l’action conjointe de l’ordonnance de 2018 sur les regroupements expérimentaux et l’acte II de l’autonomie. Cette dérégulation de l’ESR se traduit par un éclatement du paysage universitaire, au point que l’appellation d’université recouvre désormais des réalités extrêmement diverses. Certain·es ne comprennent même plus la nécessité de démocratie et de collégialité universitaires, réduites à l’état de vestiges, comme en témoignent exemplairement certains statuts des établissements publics expérimentaux qui nous sont soumis pour avis au fil des mois – quatre aujourd’hui, au lieu de cinq grâce à la pugnacité de nos collègues de Lyon 1 qui ont réussi à faire entendre le danger pour la communauté universitaire que constituait le projet d’EPE présenté. Or, démocratie et collégialité sont indispensables pour faire vivre un enseignement et une recherche dynamiques, qui prennent en compte les besoins de la société mais aussi ceux propres à l’exercice de ces deux activités tout en préservant la qualité de vie au travail des personnels – que l’on piétine allègrement aujourd’hui en laissant à quelques-un·es le pouvoir de fabriquer un ESR à deux vitesses dont les effets à moyen et long termes seront délétères pour la société.
À cet égard, nous rappelons que l’indépendance des enseignant·es-chercheur·es (EC), principe consacré par le Conseil constitutionnel, est un des fondements de leur capacité à produire du savoir et à le diffuser. Nul ne saurait le remettre en cause. La FSU veillera à ce que la liberté d’expression et des libertés académiques des EC soient préservées. La circulaire que vous avez envoyée aux présidences à la fin de la semaine dernière et dont le contenu, partiel sans doute, nous est connu par le relais qu’en a fait la presse spécialisée, est dans cette perspective pour le moins inquiétante. La-FSU souhaite rappeler que le savoir et sa production ne sont pas neutres et qu’ils nécessitent des débats ! Le code de l’éducation précise d’ailleurs que le service public de l’ESR « tend à l’objectivité du savoir ; il respecte la diversité des opinions. Il doit garantir à l’enseignement et à la recherche leurs possibilités de libre développement scientifique, créateur et critique. » (Article L141-6)
Produire du savoir, le diffuser, est par essence subversif. C’est aller contre les évidences et les croyances personnelles et institutionnelles, contre les conservatismes, cela demande de prendre parti : le parti du savoir, de la façon de le produire, de ce qu’il produit notamment dans la déconstruction des évidences et des croyances. Il est nécessaire de lutter par le débat d’idées pour faire connaître le savoir produit et la façon de le produire comme pour mettre en évidence ce que la connaissance favorise, permet, ou au contraire gêne voire interdit dans nos sociétés. Il ne peut y avoir de sujets tabous.
Pour avoir le calme dans les universités, au lieu d’essayer d’étouffer les avis considérés comme divergents, d’interdire des manifestations pour une paix juste et durable et un cessez- le-feu immédiat et de qualifier d’antisémitisme toute solidarité avec les Palestiniens et Palestiniennes – ce qui ne marche qu’un temps et a des conséquences funestes –, nous devons y maintenir des lieux de débats pluriels, ouverts, dont aucun sujet n’est exclu, dans le respect de la loi – sans sur-interprétation partisane – en mettant en place les conditions pour que les opinions et les connaissances puissent s’exprimer, se confronter, être mises à l’épreuve des sciences que nous produisons – voire les enrichir en produisant par exemple des questions vives auxquelles nous ne pouvons pas encore apporter de réponses ou des conditions que nous n’avons pas encore prises en compte. « Il faut oser tout examiner, tout discuter, tout enseigner même » disait Condorcet (Condorcet, Mémoires sur l’instruction publique). Cela est essentiel dans la perspective de former des citoyens et citoyennes éclairé ·es, aptes à prendre des décisions scientifiquement fondées et à se déprendre des bulles créées notamment par les réseaux sociaux et nombre de médias.
C’est d’ailleurs ce que le conseil d’état a exprimé dans la décision rendue le 7 mai 2024 autorisant la tenue d’une conférence à l’Université PSL organisée par le comité Palestine de l’Université. Sa conclusion en résume le fondement : « La seule circonstance que les communications des deux conférenciers s’inscrivent de façon engagée dans un débat politique n’a pas pour effet d’excéder le cadre des missions d’un établissement d’enseignement supérieur et ne constitue pas un manquement à l’impératif d’indépendance intellectuelle et scientifique de l’établissement ». La FSU rappelle que ce droit doit être protégé par les franchises universitaires que les présidences doivent assurer et non empêcher par le recours à la force.
La supposée neutralité que l’on nous brandit régulièrement comme un totem pour étouffer le débat a des racines profondes que nous pensions, à tort, arrachées. Ainsi Jaurès déclaraitil : « La plus perfide manoeuvre du parti clérical, des ennemis de l’école laïque, c’est de la rappeler à ce qu’ils appellent la “neutralité” et de la condamner par là à n’avoir ni doctrine, ni pensée, ni efficacité intellectuelle et morale. En fait, il n’y a que le néant qui soit neutre […] ». Et pour conclure ce point, citons encore Jaurès : « La neutralité scolaire ne pourrait donc pas, à moins d’aller jusqu’à la suppression de tout enseignement, retirer à la science moderne toute son âme de liberté et de hardiesse ». Nous avons là matière à réfléchir.
Enfin, la FSU demande depuis plusieurs années une remise à plat de la formation des enseignant·es (FDE) et l’ouverture de réelles concertations avec les acteurs et actrices de la formation. Il ne se satisfait pas de la situation actuelle, très largement dégradée depuis la réforme Blanquer. Cependant, il n’adhère pas à la réforme FDE envisagée par le MEN en 2024 et que Madame Genetet veut remettre à l’agenda.
Au-delà de l’aspect brutal et méprisant de la méthode employée jusqu’à aujourd’hui, le SNESUP- FSU refuse une réforme qui vise à minorer la dimension universitaire de la FDE (en imposant des maquettes sans concertation, en outrepassant le recrutement par l’université) ; qui vise à imposer la création de licences « PE » sans prise en compte des licences pluridisciplinaires existantes, sans moyens et sans ambition (et notamment en ce qui concerne le lien avec la recherche et la dimension didactique) ; installe une entrée dans la formation et le métier par la contractualisation ; utilise les étudiant·es comme des moyens d’emploi et ne prévoit pas une entrée dans le métier réellement progressive ; ne projette pas les moyens pour une formation et un accompagnement à la hauteur des besoins.
Nous espérons que le MESR pèsera pour que soient satisfaites les exigences d’une formation de qualité s’appuyant en premier lieu sur les formateurs et formatrices qui accompagnent chaque jour les nouvelles générations enseignant·es et CPE dont notre système éducatif a cruellement besoin.
Notre déclaration est un peu longue, mais les sujets ne manquent pas et il y a urgence à reprendre l’agenda social du ministère. La FSU a des propositions pour l’ESR et souhaite qu’elles ne restent pas lettre morte.