Le sénateur Berson découvre que quand on prive une puce de ses pattes elle devient sourde !
Les héros qui ont travaillé jusqu’à fin juillet n’auront pas manqué d’emporter, pour se distraire pendant les vacances, le beau rapport* que le sénateur Michel Berson a rendu le 26 juillet « au nom de la Commission des finances » du Sénat sur l’Agence nationale de la recherche (ANR) et le financement de la recherche sur projets. C’est une ode magnifique à l’ANR revitalisée par le décret n° 2014-365 du 24 mars 2014 (une date manifestement historique), qui en a transfiguré la gouvernance, et au financement de la recherche sur projets. Elle débouche sur un appel généreux à confier à l’agence la distribution impériale d’un pactole encore amplifié !
Bien que n’en étant pas à son premier parti politique – et ayant donc, en principe, un certain recul – le sénateur Berson oublie un détail historique d’importance : la recherche scientifique française marchait très bien, naguère, sans l’ANR ! La carrière de tous nos prix Nobel s’est construite avant l’invention de ce parasite de notre paysage institutionnel. En laissant entendre, tout au long de son rapport, que la recherche scientifique sérieuse a commencé, en France, en 2005 avec la création de l’ANR, le sénateur Berson donne la mesure de son inculture ou de son parti pris.
*https://www.senat.fr/notice-rapport/2016/r16-684-notice.html
Christophe Blondel, trésorier national du SNCS-FSU
Que le passé, que toute l’histoire des sciences avant 2005 soient ignorés du rapport Berson est consternant mais n’est, hélas, guère surprenant. Ce qui remonte à plus de douze ans, pour les hommes politiques, est un peu de la préhistoire … Plus choquante est l’absence, dans le tableau, d’une dimension essentielle et bien actuelle : la situation du petit peuple des chercheurs scientifiques, des ingénieurs, des techniciens qui font la recherche au quotidien, qui ont vraiment les idées nouvelles et qui sont réduits à n’être, en l’occurrence, que les cobayes de la merveilleuse agence en question.
Car, bien plus que les hommes et les femmes, ce sont les structures qui passionnent M. Berson. Il n’est que de lire le rapport enthousiaste qu’il a produit en mai 2016 sur le grand Paris-Saclay (GPS qu’on peine à localiser mais qui constitue aujourd’hui la mère de tous les appareils proliférant dans le secteur de l’enseignement supérieur et de la recherche). Certes, en examinant le fonctionnement de l’ANR, le sénateur Berson s’inquiète un peu de la démotivation que peut susciter chez les chercheurs la faiblesse du taux de succès de leurs réponses aux appels d’offre de l’agence. Souci humain ? Non, cette démotivation n’est considérée en l’occurrence comme un risque que pour l’agence : « L’ANR est aujourd’hui terriblement fragilisée par la faiblesse de ses moyens ». Pauvre agence fragile ! On va pleurer.
Et les équipes, et les chercheurs, et leurs étudiants ? Ils ne sont pas fragilisés, eux ? Non. Ils sont – c’est tout juste si on ne le leur reproche pas – en état de « perte de confiance » et un peu « découragés ». Comme des souris dont on n’aurait pas bien rempli la mangeoire … Mangeoire qu’il suffirait donc de réalimenter un petit peu. Cette ignorance volontaire des problèmes humains engendrés par la prédominance, entretenue par les politiques, du financement sur projets est proprement monstrueuse.
Tel est l’aveuglement des zélotes de la « culture de projet » qu’ils en oublient que le chercheur n’est pas une espèce dont la graine est capable de fleurir dans le désert, après avoir attendu des années, au premier coup d’arrosoir. Un chercheur s’instruit, fait une thèse, s’insère dans une équipe, se nourrit continûment et c’est s’il a été ainsi bien préparé qu’il peut parfois, moyennant une énergie farouche et favorisé par le hasard, faire de grandes découvertes. Tous ceux dont la carrière est couronnée par un prix insistent sur ce constat : leurs succès ne se sont pas construits en un an, ni même en trois mais le plus souvent au prix de trente ans, ou plus, d’une ténacité indomptable. La recherche n’est féconde que dans la continuité et sans le harcèlement permanent du projet-à-trois-ans ou l’exigence du « transfert », hélas sacralisé par la loi de 2013 …
Niant ainsi l’évidence, M. Berson affirme que « Le financement de la recherche sur projets permet de renforcer la compétitivité du système de recherche d’un pays en concentrant les moyens sur les meilleurs projets, en orientant les travaux des chercheurs sur les grands enjeux scientifiques et sociétaux … » L’ignorance de ce qu’il faut laisser de liberté aux chercheurs pour que le progrès des connaissances soit encore possible, la myopie intellectuelle qui fait dire que la recherche doit être orientée (sic) pour fournir des réponses sur mesure s’affichent ici ouvertement.
Comme ces considérations fumeuses ne suffisent pas, M. Berson, lors de l’ « examen en commission », en rajoute dans la désinformation. Se veut-il rassurant en affirmant que « les crédits récurrents des organismes de recherche demeurent largement majoritaires » ou lorsqu’il compare les 670 M€ de l’ANR aux 3,2 G€ du « budget » du CNRS ? Il nous roule dans la farine ! La subvention d’État du CNRS – c’est elle qu’il faut comparer à la dotation de l’ANR – n’est que de 2,6 G€. Il faut avec cela payer le personnel permanent – la catégorie la plus nombreuse étant celle les ingénieurs et techniciens sans qui il n’y aurait pas de recherche possible – faire vivre les grandes infrastructures de recherche, assurer les « fonctions supports », fournir l’environnement sans lequel il n’y aurait, même avec un courage sublime, plus personne pour répondre aux appels à projets. Une fois l’indispensable assuré, il ne reste au CNRS de sa « subvention pour charges de service public », pour ses unités de recherche, que 243 M€ … Même avec les autres EPST, on va avoir du mal à trouver que les crédits récurrents soient encore, face aux 670 M€ de l’ANR, « largement majoritaires » !
L’expérience est donc faite : en rabotant les crédits des organismes au point qu’ils ne peuvent plus assurer que leurs « dépenses de fonctionnement » – ce que M. Berson a, in fine, le toupet de leur reprocher ! – on a délibérément organisé la casse de l’outil national de recherche. A la puce on en est presque arrivé à couper les six pattes … et M. Berson voit bien qu’il y a un problème, même s’il ne l’interprète pas très bien. La conclusion à en tirer est, pour nous, très différente de ce que préconise le sénateur. Le choix ne doit pas être de s’acharner à faire survivre une agence superflue, mais de rendre aux organismes de recherche les moyens d’assurer leurs missions.