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Note relative à l’appel « attentats-recherche » transmise à Alain Fuchs le 10 janvier 2016*. CSI de l’InSHS le 1er février 2016.

mmSNCS-FSU4 février 2016

* Texte envoyé simultanément à Patrice Bourdelais et Sandra Laugier (InSHS). Le texte adopté à l’unanimité par le CSI de l’InSHS comprend la formalisation de la dernière proposition sous la forme d’un Groupement d’intérêt public.

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Les attentats qui ont touché Paris le 13 novembre 2015 ont suscité de très nombreuses réactions de solidarité avec les victimes et leurs familles de la part des présidents des universités et des grandes écoles. Le président du CNRS, dans un courrier du 18 novembre adressé au monde de la recherche, a, pour sa part, voulu aller au-delà de cette expression de solidarité en lançant un appel à « propositions sur tous les sujets pouvant relever des questions posées à nos sociétés par les attentats et leurs conséquences, et ouvrant la voie à des solutions nouvelles – sociales, techniques, numériques ». Cet appel précise que « chaque projet sélectionné, selon une procédure rigoureuse, simple et rapide, sera doté de moyens de façons à pouvoir présenter des résultats dès 2016. »Les raisons d’un apparent succès

On ne peut que se féliciter de l’affirmation publique par le président du CNRS de l’apport de la recherche dans une double perspective de réflexion et d’action. Cet appel divise néanmoins la communauté scientifique. Nombreux sont les chercheurs, en particulier en sciences humaines et sociales ou sciences de l’informatique, qui y ont répondu sans délai. D’après ce que certain.e.s nous en ont dit, ces nombreuses réponses peuvent s’expliquer par la volonté de faire quelque chose suite aux attentats (qui, en ayant la possibilité, ne le souhaiterait pas ?) mais aussi par une autre raison tout aussi compréhensible, et non exclusive de la première. Il est en effet devenu bien rare que l’on puisse postuler sans trop de formes pour obtenir rapidement un petit financement d’amorçage, voire de complément, ce qui, dans nos disciplines, suffit parfois à rendre possible une nouvelle recherche. On peut dès lors faire l’hypothèse que ce qui semble constituer le succès de cet appel soit autant l’expression d’un réservoir de recherches en SHS utiles dans la perspective envisagée, que celle de la nécessité d’offrir à la communauté scientifique, sur ces thématiques comme sur d’autres, des modalités de financement modestes et aux procédures légères. En effet, les PEPS sont pour l’essentiel réservés à l’interdisciplinarité avec les disciplines non SHS, et les autres « guichets » concernent des sommes de plus en plus élevées. Le succès de l’appel « attentats-recherche » nous semble ainsi pouvoir aussi être lu comme l’expression d’une attente vis-à-vis de financements de type PEPS en SHS.

Les questionnements soulevés

Cependant, parallèlement à ce succès, l’appel a aussi fait l’objet de réactions critiques de la part de nos collègues. Il peut d’ailleurs s’agir en partie des mêmes qui se sont réjouis du principe de l’appel, notamment de sa large ouverture thématique (loin en particulier de tout amalgame entre Islam et terrorisme), tout en déplorant certaines modalités et formulations. Nous avons souhaité relayer ces réactions, dans la droite ligne des Notes adoptées à l’unanimité par le CS et par le CSI de l’InSHS en septembre dernier, notes qui portaient sur la réaction de l’Alliance Athena aux attentats de janvier.

Quels délais ?

Ces réactions sont de trois ordres. La première, sans doute la plus aiguë, porte sur le délai affiché, s’agissant de recherche, et même de recherche susceptible d’élaborer des solutions. La plupart de nos collègues estiment que la recherche ne peut porter ses fruits sur une échelle temporelle aussi courte : quelques mois. Nous nous doutons bien que les instances du CNRS partagent ce diagnostic, mais la formulation de l’appel risque de créer des attentes inadaptées de la part, par exemple, de la presse ou des décideurs politiques.

Quelles procédures d’évaluation ?

Un deuxième ensemble de questionnements porte sur les procédures prévues. L’afflux de projets individuels de manière désorganisée ne risque-t-il pas d’être contre-productif ? L’annonce, faite depuis, que l’on favorisera la mise en commun des projets est rassurante à cet égard, mais concrètement, quelles sont les procédures retenues ? Plus largement, comment les projets seront-ils sélectionnés, en particulier s’ils sont hétérogènes en termes d’objectifs (valorisation, amorçage de recherches nouvelles, renforcement de recherches existantes) et de calendriers, ou encore de caractère mono- ou interdisciplinaire ? Une demande de transparence des procédures, qui n’implique pas nécessairement leur alourdissement, est manifeste ; et il apparaîtrait logique, à cet égard, que l’évaluation et la sélection soient opérées par des instances émanant du Comité national ou du moins que plusieurs de leurs représentant.e.s y soient associés.

Comment améliorer la prise en compte des recherches par le politique ?

Enfin, les réactions à l’appel ont aussi porté sur les conditions nécessaires pour accompagner les recherches qui seront financées, tant du côté de la valorisation et du transfert que du cadre juridique et déontologique de la recherche sur les sujets dits sensibles. Une des principales raisons pour lesquelles l’appel a pu être mal interprété par une partie importante de la communauté des chercheurs en SHS est qu’il semble déplacer les causes du problème. Ce qui est en cause, c’est sans doute moins l’existence de recherches, déjà nombreuses, diverses et de qualité, que le politique et la manière dont les responsables publics font usage (ou plutôt non-usage) des conclusions de ces recherches. Divers collègues nous ont fait à ce sujet des suggestions qui rejoignent souvent celles des Notes du CS et du CSI. Nous reprenons et actualisons donc brièvement ci-dessous le propos de ces textes.

Les propositions existantes

Certains chercheurs en sciences humaines et sociales ont depuis longtemps mis en lumière nombre des mécanismes qui, sur un plan national comme international, sont à l’origine des attentats du 13 novembre. Outre des publications scientifiques, ces chercheurs ont déjà écrit des tribunes et biens d’autres textes pour le grand public en utilisant les médias les plus variés ; mais ce transfert reste le fruit d’initiatives individuelles et son impact apparaît limité.

L’importance de la dissociation entre la recherche et son « impact »

Un premier inventaire des travaux touchant à ces problématiques a été mené par l’Alliance Athena dès le début de l’année 2015, alors qu’Alain Fuchs, président du CNRS, prenait la direction tournante de cette Alliance. Cet inventaire a donné lieu à la rédaction d’une note « sur les recherches sur l’Islam, la citoyenneté et les processus de radicalisation ». En conclusion, cette note préconisait de « renforcer les dispositifs existants et transférer les résultats vers la société civile », ainsi que de « favoriser le développement de thématiques de recherche qui font aujourd’hui défaut », citant les recherches sur l’Islam contemporain, le risque qui concerne la sécurité humaine, toutes les formes de terrorisme et de violence, l’islamologie et l’histoire des pays arabes. En réponse à ce document, le Conseil Scientifique du CNRS rappelait l’importance d’une recherche en SHS « non orientée », position qui a également fait l’objet d’une recommandation du Conseil Scientifique de l’InSHS. Celle-ci rappelait avec force qu’une recherche de qualité, celle qui permet de découvrir ce qu’on ne sait pas déjà, ne doit pas voir sa dynamique entravée par une politique scientifique qui privilégierait et financerait une recherche en fonction de son supposé « impact » social. Cela, non pas parce que cet « impact » ne nous préoccupe pas, mais parce qu’il ne peut pas être décrété en amont.

Un ensemble de solutions déjà formulées qui restent à mettre en oeuvre

Dans sa note, le Conseil Scientifique du CNRS déconseillait de travailler sur le court terme et notamment d’utiliser le fléchage des recrutements comme levier ; il préconisait en revanche de financer des thèses, des réseaux de recherche impliquant les UMIFREs, des bibliothèques spécialisées, de proposer des recherches transnationales, d’encourager mobilité thématique et formation linguistique, et surtout d’ouvrir un chantier, en association avec les services de communication du CNRS, sur le transfert et la valorisation des recherches en SHS. Pour ce faire, plusieurs pistes étaient proposées, comme un soutien encore accentué au libre accès aux productions scientifiques des chercheurs ou la mise en place d’un conseil scientifique pour les CNRS Éditions.
En septembre 2015, le Conseil Scientifique de l’InSHS, tout en s’associant à la note du Conseil Scientifique du CNRS, ajoutait trois priorités : renforcer l’enseignement dès le second degré des civilisations antiques du Proche-, Moyen-Orient et du Maghreb, renforcer la production et la diffusion de connaissances sur l’Islam (sa diversité, ses multiples ressources normatives propres, le regard du monde de l’Islam sur le monde non-islamique, articulation entre normes religieuses, lois et institutions des Etats) et, enfin, favoriser un débat entre les différents acteurs publics ouverts aux associations promouvant les échanges interculturels.

De nouvelles propositions

Les réactions autour de l’appel attentats-recherche permettent de formuler d’autres propositions encore, qui visent à mieux prendre en compte les enjeux actuels, sans pour autant donner l’impression de subordonner la recherche à l’actualité, ou bien risquer de donner à espérer des recherches nouvelles produisant des solutions en six mois. Le CSI de l’InSHS nous semble particulièrement bien placé pour avancer, avec la direction du CNRS, dans la mise en oeuvre de ces propositions comme des précédentes :

La nécessité d’un cadre juridique adapté

Pour que les recherches nouvellement financées puissent effectivement porter leurs fruits, et ne pas exclure des méthodologies qui ont depuis longtemps fait la preuve de leurs apports, en particulier les enquêtes de terrain de long terme, il est nécessaire de clarifier, en concertation avec les chercheurs concernés, les conditions juridiques et déontologiques du travail dans les milieux susceptibles de se radicaliser. Sans quoi, comme cela s’est déjà produit, les notes de chercheurs pourraient être saisies par les forces de l’ordre et perdues pour la recherche. Un des types de recherche susceptibles d’éclairer la situation actuelle est par ailleurs la recherche sur le travail des forces de l’ordre et des services de renseignement, dont il faudrait également éclairer les conditions de possibilité. Enfin, se pose la question des possibilités actuelles de recherche au Moyen-Orient, ainsi que de l’aide que nous pouvons apporter aux chercheurs et centres de recherche actuellement touchés dans cette zone.

La reconnaissance des travaux existants et de l’épistémologie des SHS

Chaque section du Comité National pourrait être invitée à dresser rapidement un bilan complet et détaillé des connaissances sur tous les aspects qui lui semblent pertinents pour éclairer la situation actuelle. Cette procédure aurait l’avantage de ne pas limiter par avance les thèmes à prendre en compte et de rappeler que le propre de l’épistémologie des sciences humaines et sociales est de permettre la comparaison et de sortir du particulier. Il est à cet égard surprenant de lire que les chercheurs se sont peu intéressés aux « comportements humains, individuels et collectifs », en d’autres termes sociaux, dans son lien à la violence alors même que les études sur les génocides et les violences extrêmes en histoire, sociologie ou psychologie sociale, pour ne citer que quelques disciplines, se sont penchées depuis longtemps et avec perspicacité sur de tels objets et qu’elles auraient beaucoup à nous apprendre sur ce dont il est question aujourd’hui. En un mot, un tel bilan dressé par les sections, dans le respect de ce qui fait les sciences humaines et sociales, permettrait d’engager la réflexion sur des financements à long terme, au-delà de l’effort sur l’amorçage ou la valorisation permis par l’appel actuel.

Une politique éditoriale innovante

Récemment, les PUF envoyaient un message à leurs lecteurs : « Pour contrer la barbarie, les Puf vous présentent une sélection de titres permettant à tous de mettre à distance l’horreur tout en en décryptant avec recul les causes profondes. », message suivi d’une vingtaine de titres liés à ces thèmes. Après les attentats de janvier, OpenEdition avait, un peu de la même façon, proposé une page d’accueil thématique. CNRS Éditions, qui dispose déjà de collections d’ouvrages courts et grand public (comme Biblis), pourrait profiter de l’occasion pour en commander de nouveaux sur les thématiques pertinentes et/ou valoriser ceux qui existent déjà, en particulier en les diffusant en libre accès. De même, le CNRS, ou du moins l’InSHS, pourrait rejoindre le groupe des institutions de recherche qui soutiennent des initiatives de transfert des résultats de la recherche comme le site internet The Conversation qui, en France mais également dans plusieurs pays anglophones, a vocation à donner la parole aux chercheurs sur des sujets brûlants et ainsi éclairer les politiques, en quelque sorte en temps réel (http://theconversation.com/fr).

Un encouragement au transfert

Une réflexion est nécessaire, en lien avec les sections, sur une meilleure prise en compte dans les carrières des efforts de valorisation et transfert, par exemple des formations données aux enseignants du secondaire ou directement à leurs élèves, ou encore à des responsables administratifs, associatifs ou politiques ; le CNRS pourrait aussi apporter d’autres formes de soutien à de telles opérations.
Alors que l’open access des publications scientifiques fait actuellement l’objet d’une réflexion, il convient d’oeuvrer à une meilleure sensibilisation des ministères sur la qualité de telles ressources, par exemple celles offertes par revue.org. Un correspondant pourrait être nommé à cette fin dans chaque ministère et une lettre d’information en interne sur les parutions pouvant intéresser le personnel du ministère pourrait être diffusée. Une formation pourrait également avoir lieu en amont, auprès des futurs hauts fonctionnaires, afin de les sensibiliser à la recherche de qualité faite en France dans les domaines concernés et à ses conclusions. Les chercheurs pourraient ainsi proposer des conférences ou d’autres formes d’actions à l’ENA mais aussi aux instituts de formations des fonctionnaires territoriaux.

Un think tank du CNRS ?

En effet, pour conclure sur un élément fondamental resté implicite dans l’appel « attentats-recherche », les chercheurs auront beau travailler et mobiliser les énergies, si un effort particulier n’est pas fait pour que leurs voix portent, leur mobilisation sera vaine. De manière isolée, notamment en section 36 et 40 mais pas exclusivement, il est fréquent que des chercheur.e.s soient contacté.e.s par tel ou tel think tank ou fondation pour produire un rapport sur une question de société. Force est de constater que l’écho donné aux travaux des chercheur.e.s est alors nettement amplifié et que, parfois même, des décisions sont prises. L’émoi suscité par les attentats et le fait que la recherche française ait déjà beaucoup à dire, et bien dire, sur ces questions pourraient offrir au CNRS l’occasion de devenir un véritable acteur de ce débat public en donnant forme à un rapport clair et circonstancié dont le lancement public pourrait, au besoin, être fait en collaboration avec des acteurs extérieurs à la recherche.

Non-réductible à une opération de communication supplémentaire, cette expérience initiale pourrait constituer une première étape pour l’institutionnalisation au sein de l’InSHS, ou plus largement du CNRS, d’un espace qui permette un dialogue constant, et efficace, avec le politique. La forme concrète de cette interface entre la recherche et le politique est encore à imaginer. Parmi d’autres précédents, les Groupements d’Intérêt Public pourraient servir d’inspiration. En se référant notamment à l’expérience de plus de 20 ans du GIP « Droit et Justice », pourquoi ne pas envisager la constitution d’un GIP sur des thématiques en lien avec les récents événements ? Ce Groupement d’intérêt public aurait pour objectif général la constitution d’un potentiel de recherche mobilisable sur l’ensemble des questions en jeu, quel que soit le champ disciplinaire concerné. Il serait certainement important que dans la définition de sa mission, voire dans son intitulé même, apparaissent l’attention non seulement aux rapports entre sécurité et libertés mais également les enjeux pour la sécurité des politiques d’intégration, de non-discrimination, en clair l’objectif d’oeuvrer au progrès de l’égalité réelle.

La formule aurait l’avantage pour un temps déterminé, renouvelable par convention, d’associer le CNRS, ses chercheurs spécialisés et, via ses UMR, un tissu national de compétences universitaires avec, notamment, les ministères ou instances des ministères directement concernés (intérieur, défense, mais aussi culture, éducation nationale, travail et solidarités,…) au sein d’un conseil d’administration et d’un conseil scientifique. Parmi les ministères éminemment concernés, certains développent déjà des programmes d’études ou de recherches (ex. défense), soit réfléchissent très activement à cette heure à la mise en place de leur propre structure de financement d’études et de recherches (ex. intérieur). Le fait pour le CNRS d’avoir l’initiative de proposer la constitution d’un GIP aurait d’une part l’avantage de lui voir jouer un rôle de premier plan, en créant pour ses chercheurs un cadre de collaborations fructueuses, d’autre part de saisir l’opportunité des nécessités actuelles pour mutualiser des moyens financiers et humains permettant l’engagement d’une activité de recherche à la fois fondamentale et appliquée.

Si nous n’en méconnaissons pas les possibles écueils, il nous semble évident que l’aventure de la mise en place d’une structure de ce type pourrait par ailleurs contribuer à redonner espoir aux chercheurs concernés, qui ont parfois l’impression, amplifiée par plusieurs réactions gouvernementales post-attentats, qu’ils prêchent dans le désert. Comme les forces vives de la recherche française, les membres du CSI de l’InSHS et du CS sont à la disposition du CNRS pour participer à la réalisation d’un tel rapport et à la mise en place d’une telle structure.

 

Texte adopté à l’unanimité du CSI de l’InSHS le 1er février 2016
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