Loi sur le numérique : un recul pour le libre accès aux productions scientifiques ? SNCS Hebdo 15 n°10 du 08 octobre 2015
Disons-le d’emblée, la science est un bien commun de l’humanité et ne saurait souffrir de captation par des intérêts privés ou nationaux. La diffusion des résultats de l’activité scientifique doit être la plus libre possible, en tant que bien commun, car la circulation des savoirs est essentielle au développement de la science.
Aucune loi n’affirme ces principes actuellement. Le projet de loi « pour une République numérique » se réclame de cette ambition, mais sa formulation actuelle est une régression par rapport aux pratiques existantes.
Pour soutenir l’ambition d’une véritable loi en faveur du libre accès aux productions scientifiques, le SNCS-FSU vous appelle à :
signer la pétition proposée par le conseil national au numérique (1) ;
exprimer vos opinions contre la vision restrictive de l’article 9 du projet de loi sur la plateforme de coécriture de la loi (2). Attention : clôture de la plateforme le 18 octobre !
Ensemble réclamons :
l’interdiction des cessions exclusives aux éditeurs,
des durées d’embargo réduites,
l’accès non entravé aux données.
Patrick Monfort, secrétaire général du SNCS-FSU
Le gouvernement s’enorgueillit d’avoir lancé, pour le « projet de loi pour une République numérique », « une plate-forme inédite de coécriture de la loi » (2). Un gadget participatif de plus ? Le site n’est ouvert que jusqu’au 18 octobre et le gouvernement fera bien sûr son choix parmi les contributions. Mais il est important de s’en saisir et de faire connaître plus largement nos positions sur les articles de ce projet qui concernent la recherche. En effet, une phase de lobbying intense a déjà eu lieu, avant l’ouverture de la consultation publique. Elle a donné l’avantage aux éditeurs sur les scientifiques. Elle se poursuit aujourd’hui avec la plaquette de Richard Malka, La gratuité, c’est le vol, tirée à 50 000 exemplaires par le Syndicat national de l’édition (SNE). Ce sont les éditeurs français qui ont convaincu le ministère de la Culture et c’est ce dernier qui a jusqu’ici été favorisé par les arbitrages, contre la Recherche. Ce qu’ils demandent viendra encore plus favoriser les multinationales anglaises et néerlandaises de l’édition, qui réalisent des profits inouïs depuis des années en faisant payer les bibliothèques, puis les auteurs eux-mêmes.
Sur quoi porte la controverse ? Elle se cristallise sur deux aspects de la nouvelle loi, portant sur le droit pour les auteur.e.s de mettre eux-mêmes en ligne publications et données produites sur financement public (article 9), et sur les possibilités de fouille de données (« text and data mining »). Depuis plusieurs années, la captation des fruits de la recherche publique réalisée par les grands groupes d’édition est devenue manifeste : les contrats que l’on doit signer pour publier dans les revues les plus prestigieuses interdisent régulièrement de réutiliser ses propres illustrations, voire ses propres données lorsqu’elles ont été publiées à l’appui de l’article, et plus encore de rendre son propre texte librement disponible dans une archive ouverte. Cela va évidemment à l’encontre de la démocratisation des savoirs comme de l’avancée de la recherche elle-même. Et les restrictions mises par les portails au téléchargement massif de texte ou de données, indispensable à la fouille de textes, limitent les possibilités d’études secondaires, toutes les formes de revisite des matériaux scientifiques. Les chercheur.se.s se trouvent obligé.e.s de frauder, ou de limiter leurs recherches. En réaction, le droit a déjà été adapté dans de nombreux pays (Allemagne, Canada, Etats-Unis, Royaume-Uni, etc.) pour permettre aux auteur.e.s, quels que soient les contrats signés, de mettre leurs résultats en ligne dans une archive ouverte après une période d’embargo courte (6 à 12 mois au maximum) et pour faciliter la fouille de données. Au contraire, dans l’état actuel du projet de loi, plus rien n’est prévu pour la fouille de données. Les délais d’embargo envisagés (12 à 24 mois) sont deux fois plus longs que ce que recommande l’Union européenne (3) et de multiples détails de formulation soulignent une volonté plus générale de limiter le libre accès aux résultats de la recherche.
Le 25 septembre, le Conseil scientifique du CNRS a voté unanimement la réaffirmation des principes essentiels que « i) la science est un bien commun de l’humanité qui ne saurait souffrir de captation abusive par des intérêts privés, ii) le libre accès aux résultats de l’activité scientifique (publications, données de la recherche, métadonnées, services à valeur ajoutée) ne saurait être entravé sans remettre en cause le développement même de la science. Ce principe de libre accès est bénéfique autant pour les auteurs et la communauté scientifique, que pour les organismes de financement et plus largement l’enseignement supérieur. » La recommandation du Conseil scientifique demande aussi que le projet de loi, comme dans les autres pays, permette la fouille de données, limite au maximum les délais d’embargo et s’oppose aux contrats exclusifs.
Si on laisse aux éditeurs le monopole de la mobilisation, la loi consacrera leurs principes, qui représentent un recul par rapport aux pratiques présentes. A nous de faire entendre la voix des scientifiques.
(1) Pétition proposée par le conseil national au numérique en faveur d’une loi ambitieuse (ce qui était le cas de la première mouture du texte connu au lancement de la pétition): https://secure.avaaz.org/fr/petition/Le_Premier_ministre_Manuel_Valls_Consacrer_les_biens_communs_de_la_connaissance_1.
(2) Plateforme de coécriture de la loi : www.republique-numerique.fr (Titre I, Chapitre 2, Section 2, Article 9). Quel que soit l’amendement exact pour lequel on vote, l’essentiel est de mettre en avant le principe du libre accès aux résultats de la recherche.