Emmanuel Macron invente le délit de découverte scientifique. SNCS-Hebdo 15 n°3 du 30 janvier 2015.
Les journalistes se sont émus, ces jours-ci, de l’introduction subreptice, par le maintenant célèbre amendement SPE1810, du concept de « secret des affaires » et d’un cortège de dispositions pénales menaçant leur profession, dans le projet de loi Macron. Les journalistes voient évidemment midi à leur porte. Nous devons, pour notre part, nous inquiéter que la définition proposée du « secret des affaires » recouvre aussi, tant elle ratisse large, tous les cas de découverte scientifique susceptibles de valorisation …
Merveilleux gouvernement ! D’une main, il nous met le couteau sous la gorge pour que nos laboratoires visent, de façon obsessionnelle, le « transfert ». De l’autre il nous menace, si nous découvrons des secrets pouvant conduire à innovations, de sept ans de prison … sans préjudice des indemnités monumentales que chacun d’entre nous pourrait avoir à verser, au civil, à toute multinationale dont nos recherches auraient pu léser les chatouilleux intérêts !
Peut-être les meilleurs chercheurs ont-ils donc vocation (on ne nous avait pourtant pas prévenus …) à finir immolés sur l’autel de la « destruction créatrice ». On craint surtout, à constater l’absurdité des lois qu’il échafaude en catimini et en désordre, que le gouvernement n’ait décidément rien compris à l’innovation.
Le dossier législatif du « Projet de loi pour la croissance et l’activité », est encore en évolution. L’amendement adopté en commission des lois le 17 janvier est le suivant :
« Est protégée au titre du secret des affaires, indépendamment de son incorporation à un support, toute information :
1° Qui ne présente pas un caractère public en ce qu’elle n’est pas, en elle-même ou dans l’assemblage de ses éléments, généralement connue ou aisément accessible à une personne agissant dans un secteur ou un domaine d’activité traitant habituellement de ce genre d’information ;
2° Qui, notamment en ce qu’elle est dénuée de caractère public, s’analyse comme un élément à part entière du potentiel scientifique et technique, des positions stratégiques, des intérêts commerciaux et financiers ou de la capacité concurrentielle de son détenteur et revêt en conséquence une valeur économique ;
3° Qui fait l’objet de mesures de protection raisonnables, compte tenu de sa valeur économique et des circonstances, pour en conserver le caractère non public. »
Chercheurs, l’information que constituent vos découvertes était-elle « généralement connue ou aisément accessible » ? Non, ou alors vous auriez enfoncé une porte ouverte. S’analyse-t-elle « comme un élément à part entière du potentiel scientifique et technique » ? Bien sûr que oui, on ne vous paie pas pour des prunes ! Fait-elle « l’objet de mesures de protection raisonnable » ? Assurément. Nous sommes par nature des gens raisonnables et, comme nous avons tous vocation à être placés en ZRR (cf. Toute la recherche française derrière des barbelés ?), si nous ne prenions pas de mesures de protection raisonnables on en prendrait rapidement pour nous !
Par conséquent, attention : « Le fait pour quiconque de prendre connaissance ou de révéler sans autorisation ou de détourner toute information protégée au titre du secret des affaires (…) est puni de trois ans d’emprisonnement et de 375 000 € d’amende. La peine est portée à sept ans d’emprisonnement et 750 000 € d’amende lorsque l’infraction est de nature à porter atteinte à la souveraineté, à la sécurité ou aux intérêts économiques essentiels de la France. La tentative de ce délit est punie des mêmes peines. Les personnes physiques coupables de l’infraction prévue au présent article encourent également les peines complémentaires suivantes : 1° L’interdiction des droits civiques, civils et de famille … » etc.
Même si l’on admet qu’il faille défendre la « compétitivité » du pays, on reste bouche bée devant un tel déchaînement et tant d’aveuglement. La course au progrès – surtout dans le cadre d’un libéralisme non remis en question – ne procède pas au long du long fleuve canalisé d’un transfert feutré, depuis des laboratoires aux découvertes tranquillement programmées vers des entreprises éternelles. « L’ouverture de nouveaux marchés nationaux ou extérieurs et le développement des organisations productives [relèvent du] processus de mutation industrielle (…) qui révolutionne incessamment de l’intérieur la structure économique, en détruisant continuellement ses éléments vieillis et en créant continuellement des éléments neufs. Ce processus de destruction créatrice constitue la donnée fondamentale … »† Voulez-vous que nos entreprises restent dans la course ? Alors il faut accepter que leurs secrets obsolètes soient révélés comme tels et que des entreprises meurent pour être remplacées par d’autres. « Une telle affirmation n’est pas davantage paradoxale que celle consistant à dire : les automobiles parce qu’elles sont munies de freins roulent plus vite que si elles en étaient dépourvues »‡. Encore faut-il, pour obtenir l’accélération, ne pas rester debout sur les freins …
Assez, donc, de freins à l’information ! Assez de menaces contre ceux qui savent et voudraient faire savoir. Attention, chercheurs en climatologie, si ce projet de loi est voté, chaque fois que vous nous préciserez les dangers des combustibles fossiles, vous serez exposés désormais à rembourser sur vos deniers personnels, aux compagnies pétrolières, les milliards que vous leur aurez fait perdre ! La protection spécifique promise hier, en catastrophe, pour les lanceurs d’alerte n’est que faribole : que pèsera le pauvre petit lanceur d’alerte lorsque Total ou Monsanto aura mobilisé contre lui, à grands frais, des cabinets d’avocats entiers pour démontrer qu’il n’était pas un lanceur d’alerte, mais un imposteur, un misérable terroriste économique ? Cet article, qui doit permettre à des oligarchies égoïstes de broyer jusqu’aux personnes physiques qui pourraient contrarier leurs intérêts égoïstes est une horreur, un texte d’ignorants prônant, sous prétexte de modernité, le pire obscurantisme. Il n’est pas amendable. Le SNCS demande qu’il soit purement et simplement enterré.
† Joseph Schumpeter, Capitalisme, socialisme et démocratie, 1943 ‡ Ibidem