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Liberté de la recherche. SNCS Hebdo 15 n°2 du 27 janvier 2015

mmSNCS-FSU27 janvier 2015






Il y a un certain bonheur à entendre
une ministre de l’éducation nationale conclure un discours, comme l’a
fait Najat Vallaud-Belkacem le 13 janvier devant les recteurs, en
citant Rousseau. Cela donne, par contraste avec les anathèmes
gouvernementaux auxquels nous sommes habitués (contre le « caractère
endogène, voire incestueux »¹ de la communauté scientifique) un peu
d’élévation et une salutaire bouffée d’air frais.

Mais la seule manière d’unir les hommes évoquée, dans une phrase que
Rousseau n’a d’ailleurs pas gardée dans la version définitive du
Contrat social, reste mystérieuse. Apologie de l’école, comme le
suggère la ministre ? Dans Émile ou de l’éducation, le mot «ºécole »
n’apparaît que sept fois et encore, souvent dans un sens négatif, par
exemple : «º… les compagnies savantes de l’Europe ne sont que des
écoles publiques de mensonges»².

Il paraît donc hasardeux de prétendre que celui qui écrivit aussi « …
le luxe, la dissolution et l’esclavage ont été de tout temps le
châtiment des efforts orgueilleux que nous avons faits pour sortir de
l’ignorance où la sagesse éternelle nous avait placés »³ fût un
promoteur de l’école.

Il y a du détournement dans l’air. Le service public de l’enseignement
supérieur et de la recherche est, après l’école, appelé à son tour à la
rescousse et invité à se mettre aux ordres de … l’ANR. C’est là
dévoyer l’esprit de liberté qui portait la foule du 11 janvier. Halte à
la récupération !

Christophe Blondel, trésorier national du SNCS-FSU



SNCS Hebdo 15 N°2 – PDF






La demande de la ministre à
l’enseignement supérieur et à la recherche, dans son discours Mobilisons
l’école pour les valeurs de la République
, mérite d’être citée
intégralement : « Cinquième et
dernier axe de réflexion et de travail :
l’implication
de l’enseignement supérieur et de la recherche pour éclairer la Société
dans son ensemble sur les fractures qui la traversent et ces facteurs
de radicalisation est essentielle.

Dans ces moments difficiles que notre pays traverse, il est du devoir
citoyen et scientifique des chercheurs comme des intellectuels que de
nous aider à analyser ces phénomènes pour mieux y répondre. À cette
fin, je solliciterai, avec Geneviève Fioraso, l’agence nationale de la
recherche (ANR).
»

La déclaration – comme l’ensemble du discours – paraît pétrie de bonnes
intentions. Hélas, passées les intentions, la ministre donne tête
baissée dans les travers habituels d’une vision à courte vue de la
recherche et de l’enseignement supérieur. Bien sûr les universitaires
et chercheurs doivent se pencher sur les phénomènes dont nous avons
éprouvé la tragique manifestation les 7, 8 et 9 janvier derniers et en
analyser les ressorts. Mais il y a belle lurette qu’ils le font déjà !
Encore faudrait-il que les politiques écoutent (sur ce sujet comme sur
bien d’autres) ce que disent depuis longtemps les chercheurs. Le
sentiment d’une minorité opprimée « vue de l’intérieur » (en
l’occurrence celle des noirs aux États-Unis) était déjà décrit en 1903
par W.E.B. Dubois. Aujourd’hui, rien qu’au CNRS, maints laboratoires
sont au travail : Centre Maurice
Halbwachs, Groupe sociétés, religions, laïcités, Centre d’études et de
recherches internationales et Observatoire sociologique du changement

à Paris, Laboratoire d’études sur
les monothéismes
à Villejuif, Laboratoire
interdisciplinaire solidarités, sociétés, territoires
à
Toulouse, Politiques publiques,
actions politiques, territoires
à Grenoble, Institut de recherches et d’études sur le
monde arabe et musulman
à Aix-en-Provence, etc. L’Institut national des langues et
civilisations orientales

perpétue une tradition d’études qui remonte à la Renaissance. Ces
gens-là ont-ils besoin qu’une ANR vienne, comme le suggère la ministre,
jouer les mouches du coche ? Nullement. Ils ont seulement besoin qu’on
les écoute et qu’on leur donne, dans la continuité, les moyens de
travailler.

Hélas, les politiques persistent à ne concevoir la recherche que comme
une boîte à outils minimale, qu’on pourrait n’ouvrir que lorsque la
panne survient. Combien de fois faudra-t-il encore redire qu’au moment
où on a besoin d’experts, on ne peut les trouver – c’est vrai dans tous
les domaines – que si on les a laissés, peut-être sans utilité
évidente, pendant des décennies se former librement et repousser les
limites des connaissances dans leurs champs disciplinaires ? Les
savants ne sortent pas du sol comme une espèce de gazon dont l’ANR
pourrait, au gré de ses caprices, semer erratiquement les graines à
droite et à gauche. En travaillant seulement à la demande, on ne fait
pas de science, on ne fait que des cataplasmes. La science ne peut
exister et produire de la connaissance que vivante, donc munie des
moyens nécessaires à son évolution continue et au renouvellement des
générations.

Hélas le projet de contrat d’objectifs CNRS-État qui vient de nous être
dévoilé souffre des mêmes défauts. Il ne commande certes rien de précis
(à un point d’abstraction qui constitue en soi un problème …) mais il
ne démord pas – nous y reviendrons pour le démonter en détail – de
l’idéologie d’une science de commande. Telle ne devrait pas être la
démarche d’un bon gouvernement.

Citer le Contrat social tout
en étouffant institutions et services publics de contrats à tout bout
de champ est un abus du mot contrat,
un pur contresens. Le Contrat social
c’est le pacte unique qui garantit à tous, dans les limites posées par
la volonté générale, les libertés civiles et il n’y a pas d’autre contrat. Dans ce cadre « nul n’a droit d’exiger qu’un autre fasse
ce qu’il ne fait pas lui-même

». Des non-chercheurs n’ont donc pas à dire aux chercheurs ce qu’il
faudrait qu’ils fissent ! Qu’au secrétariat d’État à l’enseignement
supérieur et à la recherche on fasse ce que suggère madame
Vallaud-Belkacem : qu’on lise un peu Rousseau … et qu’on laisse aux
chercheurs cette liberté essentielle de décider eux-mêmes comment faire
leur métier.

Utopie ? Parfois l’aspiration générale au pacte social, garantie de la
liberté de chacun en son sein, apparaît directement palpable, ainsi le
11 janvier. On y a beaucoup célébré Voltaire ; on peut aussi y voir le
triomphe de l’idée de Rousseau. Rousseau irrécupérable, et surtout pas
pour la défense de l’école : « si
(…) je n’eusse ni lu ni écrit, j’en aurais sans doute été plus heureux

» ne craint-il pas de répondre à Voltaire*. N’en déplaise à madame la
ministre de l’Éducation nationale, ce n’est pas le mot école qui ressort comme lien
substantiel du Contrat social,
c’est, plus essentiel encore, le mot liberté.

1. G. Fioraso au Sénat le 5 juin 2013
2. J.-J. Rousseau, Emile ou de l’éducation, La Haye, 1762,
livre III
3. J.-J. Rousseau, Discours sur les sciences et les arts,
Genève, 1750
* lettre à Voltaire, 10 sept. 1755




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