Le Crédit impôt recherche et le fiasco de la politique de recherche industrielle. Sncs Hebdo 12 N°5 du 19 avril 2012
Par le Bureau national du SNCS-FSU
Sous Sarkozy, comme sous Chirac, les dépenses de la recherche publique ont stagné en volume et régressé en pourcentage du PIB. En revanche, l’investissement de l’État a été massif pour soutenir la recherche privée française. Alors que l’État finançait déjà directement 10 % de cette recherche, la réforme du Crédit impôt recherche (CIR) a porté l’aide fiscale de 1,5 milliard d’euros en 2007 à 5,1 en 2010 et pas loin de 6 aujourd’hui. C’est un montant équivalent au budget de tous les EPST, salaires inclus, plus le budget recherche universitaire, hors salaires des enseignants-chercheurs. Pour un résultat nul.
« Le CIR tricolore est le plus généreux au monde » d’après La Tribune (2). Certes le CIR français (5 milliards) est plus faible que le CIR japonais (6 milliards) ou états-unien (7 milliards), mais pour des volumes de recherche privée qui sont dans les rapports respectivement de 1 à 7 et de 1 à 10. Au total (aides directes + CIR), l’État en France finance 28 % de la recherche privée. Avec quels résultats ?
Tout d’abord, il convient de souligner que d’après l’OCDE (3), entre 2007 et 2010, les dépenses de recherche des entreprises (DIRDE) par rapport au PIB ont progressé partout du fait de la baisse des PIB. Elles sont passées de 1,31 à 1,38 % du PIB en France (+ 5 %), mais de 1,77 à 1,88 % en Autriche (+ 6 %), de 1,77 à 1,90 en Allemagne (+ 7 %), de 2,51 à 2,69 % en Finlande (+ 7%), de 2,45 à 2,80 en Corée (+ 14 %) et de 1,80 à 2,08 % au Danemark (+ 16 %). Notre progression est donc nettement moindre que celles de pays qui nous devançaient pourtant déjà et qui ne dispensent que de faibles aides de l’État. Désormais, les entreprises du Japon, de Finlande ou de Corée dépensent, proportionnellement, le double des entreprises françaises. Avec toutes les conséquences imaginables sur la désindustrialisation, le commerce extérieur, l’emploi et l’avenir des jeunes en France.
Dans les organismes de recherche et les universités, les précaires sont payés soit sur dotation d’État (budget attribué par l’État aux établissements), soit, dans leur grande majorité, sur ressources contractuelles (ANR, Régions, Europe, etc.). Pour proposer un CDI aux CDD remplissant les critères d’éligibilité, les établissements de l’ESR doivent puiser dans leur masse salariale sur dotation d’État : les CDD rémunérés sur les ressources propres des organismes sont ainsi en passe d’être exclus du dispositif. La direction du CNRS l’a reconnu devant les organisations syndicales lors d’une réunion préparatoire au Comité Technique Paritaire (CTP) du 9 septembre.
Alors où sont passés ces 3,5 milliards de plus ? Et d’abord de combien ont augmenté les dépenses de recherche des entreprises (DIRDE) entre 2007 et 2010 ? D’après le « Jaune » du budget 2012 (4), de 2007 à 2010 la croissance a été de 7,8 % en euros courants et de 3,8 % en volume, soit 1,26 % par an. En euros constants, les dépenses des entreprises ont progressé en tout de 500 millions. En d’autres termes, les entreprises n’ont pas investi plus (« effet de levier » où es-tu ?), mais elles ont converti 3 milliards de CIR en profits. Le CIR n’a pas joué de rôle « d’amortisseur de la crise » mais bien de stimulateur des profits.
Ceci n’a d’abord été possible que par la conception même du CIR. L’État rembourse 30 % du coût des « dépenses éligibles » au titre de la recherche, que leur montant soit en croissance ou pas, ce qui le conduit à financer des opérations que les entreprises auraient de toute façon prises en charge (« effet d’aubaine »). S’ajoute le truandage qui consiste en la création de filiales par les grands groupes pour bénéficier du maximum de dégrèvement (surtout ne pas dépasser le plafond de dépenses au-dessus duquel le dégrèvement chute) : c’est ce qu’ont souligné tous les rapports parlementaires. Enfin, il y a carrément de la fraude : le CIR étant calculé sur le nombre de chercheurs (salaires plus un pourcentage de celui-ci pour le fonctionnement), le nombre de chercheurs est gonflé dans les déclarations fiscales, comme l’a souligné depuis longtemps le Syndicat unifié des impôts. La preuve se trouve à nouveau dans le Jaune du budget 2012 : alors que les dépenses des entreprises ne se sont accrues que de 1,26 % par an en volume (voir plus haut), le document affirme aussi : « Après avoir progressé en moyenne de 1,9 % par an entre 2000 et 2005, les effectifs employés aux activités de R&D dans les entreprises augmentent plus fortement depuis 2006 (+3,8 % en moyenne par an) ». Comme les salaires constituent la part majoritaire du coût de la recherche, cherchez l’erreur !
Pour le SNCS-FSU, les aides à la recherche industrielle doivent s’inscrire dans un besoin affiché du pays, être transparentes, efficaces et donc évaluées. Elles doivent avoir un effet d’entraînement sur le financement des entreprises dans leurs propres recherches. Elles peuvent prendre notamment la forme d’aides fiscales ciblées (PME, recrutement de docteurs, programmes, voire pôles de compétitivité). Mais, dans tous les cas, le CIR, tel qu’il fonctionne depuis 4 ans, doit être supprimé.
(1) Le Monde du 28/03/2012
(2) La Tribune du 10/10/2011
(3) OCDE, « Principaux Indicateurs de la science et de la technologie »
(4) Annexe au projet de loi de finances 2012. Rapport sur les politiques nationales de recherche et de formations supérieures, p. 191