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Note pour le site des Assises de l’enseignement supérieur et de la recherche du C3N. (29/08/12)

mmSNCS-FSU4 septembre 2012

Note pour le site des Assises de l’enseignement supérieur et de la recherche,
suite à l’audition des représentants du C3N – Coordination des instances du Comité national de la recherche scientifique par le Comité de pilotage, le mercredi 29 août 2012.


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Résumé :

Les représentants des instances du Comité national de la recherche scientifique (C3N) estiment qu’il faut rompre avec l’empilement des structures de pilotage et de mise en compétition des personnels de la recherche qui ont été mises en place ces dernières années, ainsi qu’avec le déséquilibre très fort qui a été institué entre financement sur projet, individualisé et à court terme ; et financement des équipes de recherche dans la durée. L’AERES doit être profondément réformée, sinon supprimée : l’évaluation des unités doit être réalisée par les instances nationales associées aux divers types d’établissements, sur la base des valeurs d’indépendance, de compétence, de collégialité, de pérennité, de représentativité et de transparence. La baisse des budgets attribués à la recherche doit être stoppée et cesser d’être masquée par les financements attribués aux entreprises via le CIR. Le CIR doit, lui, être orienté en priorité vers les PME et faire l’objet d’une évaluation qui garantisse le caractère innovant des projets financés. Il doit être conditionné à l’embauche de docteurs en particulier. L’ANR doit perdre de son importance, sinon disparaître. Les financements qu’elle distribue doivent venir abonder la masse salariale des EPST et soutenir l’emploi scientifique pérenne, ainsi que leurs crédits de fonctionnement, lesquels seront attribués aux UMR en fonction de l’évaluation de leur activité et de la politique scientifique de leurs établissements de tutelle. Le CNRS et les organismes publics de recherche doivent constituer les opérateurs centraux de recherche, en collaboration étroite avec les universités, et cette collaboration doit passer d’abord et avant tout par les UMR. Les IDEX doivent disparaître et d’autres manières d’élaborer les politiques de site et de les mettre en cohérence au plan national doivent être mises en place.


Au cours de la dernière décennie, et sous couvert de permettre le développement, en France, de pôles de recherche et d’enseignement supérieur d’excellence, nous avons assisté à la multiplication de structures de financement et de pilotage qui sont en passe d’asphyxier durablement les capacités de recherche et d’innovation nationales.

Le financement de la recherche sur projet individuel à court terme, et le plus souvent sur appel d’offres fléché, est devenu systématique. L’ANR n’en représente que la source la plus visible, mais c’est devenu le fait de toutes les institutions soutenant la recherche, qu’il s’agisse des institutions supranationales, et notamment européennes, nationales (ANR, mais aussi ministères, associations, etc.), régionales et locales (régions mais aussi MSH par exemple), et maintenant « de site » (universités, PRES, Idex…). Ce mode de financement et d’évaluation a produit de multiples effets pervers.

Il oblige les chercheurs à réorienter en permanence leurs travaux pour les adapter aux priorités de tous ces acteurs, au détriment de la logique propre à leurs recherches. Le temps consacré à la réponse aux appels d’offres, à la gestion des contrats et à l’évaluation des projets représente désormais une part déraisonnable de l’activité des personnels de la recherche et exclut en pratique bon nombre d’enseignants-chercheurs. Les chercheurs, quel que soit leur statut, dépensent aujourd’hui une énergie considérable à tenter de comprendre et de s’adapter à un système de décision dont personne ne maîtrise la logique, mais dont on voit bien comment il est en train d’étouffer toutes les formes de démocratie au sein de l’Université et de la recherche.

Parallèlement, les financements réguliers des équipes de recherches, ceux qui permettent d’accompagner la dynamique des recherches collectives sur le long terme ou de réagir sans délai pour soutenir les intuitions des chercheurs, n’ont cessé de diminuer. Si les recherches menées dans les laboratoires du CNRS sont en partie financées par les contrats ANR obtenus par leurs chercheurs et enseignants-chercheurs, le CNRS, les universités et les autres organismes de recherche doivent y ajouter des sommes importantes, des coûts marginaux qui pèsent là aussi sur les crédits de base des laboratoires. A cela s’ajoute le fait que les règles de financement imposées par l’ANR en particulier sont souvent absurdes.

Par ailleurs, la multiplication des financements sur projets a également conduit à une croissance très importante de l’emploi scientifique précaire. Les jeunes docteurs sont de plus en plus souvent contraints d’enchaîner, des années durant, des emplois d’assistant de recherche d’une part, et d’enseignement d’autre part, sous forme de vacations ou de contrats à durée très limitée ; ces emplois ne contribuent pas toujours à accroître leurs compétences et leur production scientifique et surtout, ils ne débouchent pas nécessairement sur des emplois pérennes. Cette recherche sur projet conduit également au recrutement de nombreux ITA en CDD dont l’avenir est précaire et dont le savoir-faire est perdu pour les laboratoires.

Spécificité française largement enviée par nos collègues étrangers, le statut de chercheur à temps plein et à vie reste, malgré un niveau de salaire peu compétitif au niveau mondial, d’une grande attractivité en début de carrière, du fait de la liberté qu’il autorise dans la poursuite de ses recherches. La diminution de ces recrutements, qui coïncide avec l’assèchement pour dix ans du flux d’embauche par les universités, et la transformation des conditions de financement des recherches évoquée plus haut, risquent de porter atteinte à cette capacité du système de recherche français d’attirer à lui les jeunes chercheurs de tous les pays.

Le financement de la recherche française est en partie obéré par la part trop importante et mal contrôlée prise par le Crédit Impôt Recherche dans ces dernières années : le CIR coûte environ 5 Md € à l’État, soit le double du budget du CNRS, salaires et grandes infrastructures compris. Quand l’évaluation est devenue le maître mot de l’action publique en général et de la politique scientifique en particulier, le CIR continue d’échapper à toute forme d’évaluation scientifique. Il joue trop souvent le rôle de niche fiscale pour les grandes entreprises et n’est pas parvenu à combler le grave retard français en matière d’innovation industrielle.

Enfin l’AERES, dont la mission était d’organiser et de vérifier le bon fonctionnement de l’évaluation de la recherche, s’est posée elle-même en instance d’évaluation et a retiré au Comité national de la recherche scientifique et aux instances des autres EPST l’évaluation des unités. De fait, la seule vertu de l’AERES aura été de contribuer à élargir le champ des unités et structures évaluées. Pour le reste, elle a contribué à instaurer une gestion managériale, autoritariste et figée des unités de recherche ; elle a perdu la capacité à voir les évolutions à moyen terme du fait de la rigidité des notations quadriennales – maintenant quinquennales ; elle a découplé l’évaluation des chercheurs de celle de leur laboratoire, privant chacune d’elles d’une partie de leur substance. On a vu récemment comment elle s’est révélée incapable d’effectuer une évaluation intelligente et utile d’un organisme comme le CNRS. Les efforts récents de l’AERES pour répondre aux critiques qui lui sont adressées n’ont fait que rendre l’évaluation plus complexe et plus bureaucratique : les notations portent de plus en plus sur le projet en tant que dispositif stratégique de l’unité, tandis que les réalisations de l’équipe font de moins en moins l’objet d’une évaluation réellement scientifique, i.e. collégiale et délibérative, portant sur le contenu des travaux menés et publiés par l’ensemble des membres d’une équipe.

Il apparaît donc urgent de stopper ces dérives. Voici quelques propositions qui nous semblent prioritaires pour redonner à la recherche française sa capacité d’action :

1) Les personnels de la recherche sont persuadés de l’utilité d’une évaluation sérieuse, ce dont ils ont une pratique quotidienne, à l’échelle nationale et internationale. Que cela passe par une suppression pure et simple de l’AERES ou par sa réforme profonde, il faut introduire au plus vite de la transparence et de la représentativité dans la procédure d’évaluation et le choix des experts. L’évaluation doit être centrée sur le bilan des équipes et la notation périodique des unités doit disparaître au profit d’avis motivés et spécifiques à chacune d’elle. L’évaluation des UMR doit être confiée au CoNRS et aux autres instances nationales, tandis que la question de l’évaluation des équipes d’accueil doit être envisagée avec le CNU. Les valeurs qui doivent guider l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur, et que l’AERES ne pouvait incarner par construction, quelle que soit la bonne volonté des chercheurs qui s’y sont impliqués, sont l’indépendance, la compétence, la collégialité, la pérennité, la représentativité et la transparence.

2) La baisse des budgets attribués à la recherche doit être stoppée et ne plus être masquée par les financements attribués aux entreprises via le CIR. Ce dernier doit être profondément réformé afin de devenir proprement incitatif. Une partie substantielle des sommes correspondantes, celles qui servent de rente aux grandes entreprises, doit être consacrée à la recherche publique. Pour le reste, les financements attribués dans ce cadre doivent être orientés en priorité vers les PME et faire l’objet d’une évaluation visant à établir que les sommes conservées par les entreprises ont bien été consacrées à des travaux de recherche originaux et innovants. Ils doivent notamment être conditionnés à l’embauche, de docteurs en particulier. Une des grandes difficultés que rencontre la recherche française, par comparaison avec ce qu’on observe dans les pays anglo-saxons en particulier, est la forte limitation de la valeur du doctorat en dehors des fonctions liées à l’enseignement supérieur et à la recherche publique. L’incitation à la recherche passe nécessairement par une valorisation de ce diplôme dans les entreprises, pour laquelle le CIR a un rôle important à jouer.

3) L’ANR doit perdre de son importance, sinon disparaître. Son budget doit être rendu aux établissements et notamment au CNRS, et ce sans que cette redistribution des moyens de la recherche soit utilisée pour les diminuer. Les financements distribués par l’ANR doivent venir abonder la masse salariale des EPST et venir soutenir l’emploi scientifique pérenne, ainsi que leurs crédits de fonctionnement. Ceux-ci seront attribués aux UMR en fonction de leur évaluation par les établissements de tutelle, notamment le CNRS. Les EPST doivent pouvoir offrir à leurs jeunes chercheurs, notamment, les moyens de leur autonomie. Plus largement, c’est à eux de mettre en oeuvre les priorités de la nation. S’il est tout à fait légitime que le financement public de la recherche s’assortisse d’un contrôle national et de l’expression de priorités sociales et politiques, il ne s’ensuit pas que toutes les structures et instances participant au système de recherche doivent faire du pilotage. Une politique scientifique ne se résume pas à l’affichage de priorités thématiques et disciplinaires, surtout quand les acteurs et les structures ont été multipliés, de sorte que tous ces pilotages ne sont plus, nulle part, mis en cohérence.

4) De fait, et c’est essentiel, le CNRS et les organismes publics de recherche, bien identifiés au plan international, doivent se voir confier le rôle central de coordination et d’organisation de la recherche, en collaboration étroite avec les universités. Cette collaboration passe d’abord et avant tout par le copilotage des UMR. Il doit être mis fin à la multiplication des structures d’organisation de la soi-disant « excellence ». Les IDEX en particulier, dernière couche de ce qu’il est convenu d’appeler le « millefeuille institutionnel », doivent disparaître avant d’avoir pleinement produit les effets qu’on attendait d’eux : finir de casser l’université pour tous, finaliser la recherche au détriment de la recherche fondamentale, organiser la compétition généralisée entre les personnels de la recherche et les priver définitivement de toute forme de liberté et de participation à l’organisation de leur activité. D’autres manières d’élaborer les politiques de site et de les mettre en cohérence au plan national doivent être mises en place, qui conjuguent les dialogues organisme-université et État-région tels que pratiqués par exemple dans les CPER. Une telle articulation stratégique entre les tutelles locales et nationales pourrait être préparée par une organisation adaptée de l’évaluation.

Le C3N, en tant qu’instance représentative des composantes du Comité National de la Recherche Scientifique, demande que les principes, les structures et les valeurs qui ont été promus ces dernières années (culte et mesure du résultat et de la « performance », de l’utilité à court terme, agences de moyens ou d’évaluation, pilotage à toutes les échelles, notamment par de nouveaux outils managériaux et financiers, affichage de postes à profil, etc.) soient rapidement écartés. À l’inverse, il veut que les structures, les responsabilités et les valeurs propres à permettre aux scientifiques de conduire collectivement les projets qui découlent de l’avancée de leurs découvertes les plus prometteuses, soient mises en oeuvre au plus vite : pérennité des équipes et des projets grâce à la stabilité de crédits des laboratoires basés sur leur évaluation, simplification de la gestion, représentativité des instances, Unité Mixte de Recherche comme structure élémentaire de la recherche, diversité du recrutement, continuité thématique du CNRS, etc. La compétition est peut-être un moteur central de l’activité économique mais ce n’est pas le moteur de la découverte scientifique, laquelle exige au contraire avant tout confiance, collaboration et patience. Les individualisations des responsabilités par la contractualisation tout azimut des projets, et des rémunérations font peser de réels dangers sur la capacité créatrice des équipes de recherche en France. La Prime d’Excellence Scientifique pour les chercheurs, notamment, doit disparaître au plus vite et être remplacée par une amélioration des possibilités d’évolution des carrières. Utiliser au mieux les moyens consacrés à notre dispositif de recherche suppose non seulement de ne pas opposer les individus, les équipes et les sites les uns aux autres mais au contraire, de s’appuyer avec confiance sur les capacités de création, d’évaluation, d’action et de coordination nationale des équipes et des organismes comme le CNRS : il est temps de cesser de rougir de disposer d’une telle institution et de lui confier les moyens de contribuer pleinement au développement d’une recherche française dont la réputation et le rôle au niveau international n’ont, quoi qu’on ait voulu faire croire, jamais été mis en cause.

C3N, 2 septembre 2012.

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