A lire absolument : « Reconstruire l’enseignement supérieur et la recherche » par Christian Topalov (dans Médiapart) (21/06/11)
Dans ce remarquable article, le sociologue Christian Topalov fait le lien entre trois aspects : (i) « le champ de ruine » que laissent Nicolas Sarkozy et Valérie Pécresse dans l’ES-R ; (ii) l’analyse des conditions requises pour l’exercice de nos métiers ; (iii) « Le chantier de reconstruction » que doit prévoir la gauche. C’est une analyse fine, argumentée, vécue, où chaque mot est à sa place conduisant à une synthèse brillante, mais hélas exacte. Prendre absolument le temps de lire cet article.
Partant du cas des SHS, le sociologue Christian Topalov fait une analyse argumentée du « champ de ruines qui s’étend chaque jour » dans l’ES-R :
« Qu’est-ce qui, dans le cataclysme qui sévit actuellement en France dans l’enseignement supérieur et la recherche, fait courir de si graves dangers aux sciences humaines et sociales (SHS)? Les mêmes choses que pour les autres disciplines, mais de façon particulière. Trois malheurs: la précarisation des conditions de recherche, la destruction de la gestion collégiale des institutions, l’asservissement de la science ». Christian Topalov montre comment sont complémentaires et imbriquées des mesures instillées successivement depuis 6 ans : ANR, AERES, Grand emprunt, RGPP, etc., entraînant la démolition des structures, la destruction des solidarités, la main mise des gestionnaires et des technocrates sur l’ES-R. Aucune imagination en cela : c’est l’application bête et méchante du « dogme néo-libéral qui sévit aussi bien au Royaume-Uni qu’en Grèce ou en France, à l’hôpital, à la poste ou à l’école. C’est aussi l’idéologie des managers de la science, qui rêvent d’un personnel aussi flexible et malléable que possible ».
La force de l’article de Christian Topalov c’est qu’il analyse en quoi ces mesures sont contraires à l’exercice de nos métiers, par exemple :
« Tout cela a pour condition l’indépendance des savants vis-à-vis des autorités de toute sorte: administratives, politiques, économiques. Cette indépendance, il nous faut la mériter et ses résultats doivent être régulièrement évalués dans leurs contenus, mais elle doit d’abord être protégée par les institutions. La collégialité dans la gestion des institutions savantes est donc vitale non par simple souci démocratique – par ailleurs tout à fait légitime -, mais pour qu’elles produisent et transmettent efficacement les savoirs que la société est en droit d’attendre d’elles. »
« Mais les idéologues du ‘’new public management » sont des ignorants: ils n’ont pas compris que ce n’est pas l’argent qui nous fait travailler, c’est la quête du statut et la pression de l’opinion des pairs. En outre, tous ces systèmes d’individualisation des gains nient l’évidence que, dans l’enseignement et la recherche, l’efficacité des collectifs est à la base de celle des individus ».
« Les sections du Comité national de la recherche scientifique ou du Conseil national des universités ne sont certes pas sans défaut. Mais ces institutions ont ceci d’infiniment précieux qu’elles sont fondées sur la collégialité : les sections travaillent ensemble dans la durée, élaborent leurs propres critères avant de les rendre publics, prennent le temps de bien connaître les dossiers et de les suivre, généralement (pas toujours, hélas) elles prennent connaissance des travaux, elles délibèrent de façon contradictoire et répondent collectivement de leurs avis. J’ajouterai que la responsabilité collégiale est garantie par l’élection majoritaire des membres de ces sections par les communautés savantes concernées ».
Et tout cela débouche naturellement sur le futur : « Il est essentiel que le Parti socialiste et la gauche dans son ensemble se préparent à mettre en chantier une véritable reconstruction. Il est essentiel que chacune de ses composantes, et le PS en particulier, le dise dès à présent, puis que le futur gouvernement de gauche le fasse.
Des machines sont en marche, un génie est sorti de la bouteille qui ne cesseront de nuire que si une véritable volonté politique les arrête. Cela demandera une vaste consultation démocratique, cela demandera surtout un peu de courage.
Les forces qui se sont engagées dans le mouvement de protestation de 2009 sont toujours là, leur lucidité, leur intelligence collective et leur colère sont intactes -même si le découragement gagne devant l’entêtement de cette droite dure et l’absence d’une perspective politique claire pour l’après-Sarkozy. Le PS, je crois, serait bien inspiré de s’appuyer sur ce formidable potentiel plutôt que faire la cour à quelques présidents d’université (comme le 18 mai au ‘’Forum des idées » de Toulouse sur l’enseignement supérieur et la recherche) et en particulier à M. Axel Kahn, qui vient de signer un livre avec Mme Pécresse (Controverses. Université, science et progrès, ed. Nil). Le PS devrait plutôt consulter ceux qui on tant à dire et à proposer et qui ont déjà tant fait pour limiter les dégâts : Sauvons la recherche (SLR), Sauvons l’université (SLU) et les syndicats représentatifs de tous les acteurs de l’enseignement supérieur et de la recherche. Voilà ses alliés naturels et les forces qui se mobiliseront demain pour réussir les vraies réformes. (…)
Ce monde dans sa majorité n’a guère envie, je pense, qu’une gauche molle poursuive, en arrondissant un peu les angles, la politique de la droite dure. Socialistes, c’est d’une œuvre de reconstruction qu’il s’agit: aurez-vous la lucidité et le courage politique de l’entreprendre? »