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« L’excellence est le plan social de la science » par P. Büttgen et B. Cassin dans Libération. (02/12/2010)

mmSNCS-FSU2 décembre 2010

Par PHILIPPE BÜTTGEN et BARBARA CASSIN Chercheurs au CNRS

L’« excellence » est en train de tuer la science. Primes d’excellence, chaires d’excellence, équipements d’excellence, laboratoires d’excellence, initiatives d’excellence, périmètres d’excellence, pôles d’excellente. Attention, un « laboratoire d’excellence » n’est pas un laboratoire, c’est un monceau de laboratoires qui obéit à une logique de pouvoir maquillée en logique scientifique : la logique d’excellence. La manière forte a échoué ; ce dont le pouvoir ne voulait plus est toujours là. La manière douce va peut-être réussir. On finance, on arrose, en perpendiculaire aux anciennes structures, et on empile.

Prenons l’appel à projets qui promet des « initiatives d’excellence » pour les universités françaises. C’est à l’occasion d’un emprunt d’État, le « grand emprunt », à peu près aussi grand que notre président. Nous lisons des phrases insensées en novlangue, comme celle-ci : « Une Initiative d’excellence assure la promotion et le développement d’un périmètre d’excellence et impulse autour de lui une dynamique de structuration du site par la mise en œuvre d’actions de recherche et de formation innovantes dans le cadre d’une gouvernante renouée et performante. » Le bégaiement revient dans la célébration infantile du « niveau » : « Les candidatures, qui seront évaluées par un jury international de très haut niveau, devront faire la démonstration de leurs forces actuelles, mais également de leur niveau d’ambition pour l’avenir et de leur capacité à mettre en œuvre leur stratégie. »

Abîmes de l’intelligence gouvernementale : Valérie Pécresse confiait récemment à Libération que « l’excellence, c’est le meilleur ». L’excellence est le nom d’un truisme énorme et d’un désastre scientifique. De très bons laboratoires, d’excellents laboratoires, se sont déchirés, ont dissous leurs équipes, changé leurs programmes, exclu des chercheurs, en ont débauché d’autres, rien que pour entrer dans un « laboratoire d’excellence ». Pour le beau titre de « Pôles d’excellence », les universités se regroupent dans des monstres d’inefficacité qui n’ont rien à envier aux combinats de jadis. Les projets qu’elles rédigent ont la grâce d’un dictionnaire des idées reçues, on y parle de nanotechnologies et des défis du futur, des mots qui plaisent aux sous-préfets.

Tout cela se passe depuis moins de six mois, sous l’attentive férule des ministères, dans une panique et une opacité jamais vues : six mois pour préempter dix ans de recherche ; dix ans de hiérarchies figées. L’excellence s’expédie. Peu importe que les excellents d’aujourd’hui ne le soient pas demain. Ce qui compte, c’est que le pouvoir ait la haute main sur l’excellence. Les experts, les jurys, les critères et les grilles n’ont aucune importance ; personne ne fait semblant d’y croire. L’excellence se décrète là où il convient. On sait déjà à peu de chose près qui seront les heureux gagnants. La France sarkozyste est un pays où l’agitation du pouvoir crée la qualité de la science. Les scientifiques, transformés en hommes de dossiers inutiles pleins de Work package, Crack records, deliverables et dissémination, désespèrent, tandis que les officines de rédaction, traducteurs en globish et consultants managers, prospèrent.

L’excellence est un nom de code. On parlait déjà de plans sociaux pour ne pas parler de licenciements. L’euphémisme évolue. Il adopte maintenant le superlatif : excellent, le meilleur. Mais il ne s’agit jamais d’identifier des singularités, où qu’elles soient. Il s’agit de virer le grand nombre, downsizer. L’excellence est le plan social de la science.

La panique du grand emprunt part d’une histoire longue, celle de la mise en coupe de l’université européenne par l’ « économie de la connaissance ». On a persuadé les chercheurs et les universitaires qu’ils n’ont pas d’autre choix que de répondre à ces appels à projets qui opèrent, comme à l’école, comme à l’hôpital, comme ailleurs, la restructuration déstructuration de leur milieu de travail. Quand vous n’avez plus rien ou presque depuis longtemps, la loterie est votre dernier espoir. Bien sûr, la loterie appauvrit le gros des joueurs. Déjà, dans les laboratoires et les universités, les budgets baissent et les faillites commencent. Il faut rembourser un emprunt dont les revenus n’ont pas encore été versés. Les perdants de l’excellence cotisent pour les gagnants.

Ce qui est maintenant en cause, c’est notre métier de chercheurs et l’idée que nous nous en faisons. Ceux qui ânonnent « l’excellence, c’est le meilleur », ceux qui nous, font remplir à longueur de journée des grilles encore plus verrouillées qu’eux, ceux là ont-ils quoi que ce soit à nous dire de la science ? Quel rapport entre leur excellence et le travail, la découverte, la rigueur, l’ouverture, l’esprit et l’invention ? Combien de temps continuerons-nous à ne plus faire ce à quoi nous consacrons nos vies ?



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