Réponse d’un lauréat de l’ERC à l’invitation de Valérie Pécresse (16/10/09)
Je vous remercie de votre invitation à participer au cocktail que
vous organisez en l’honneur des lauréats du Conseil Européen de la
Recherche (European Research Council, ERC), et qui aura lieu le 22
octobre.
Je ne participerai pas à ce cocktail dont un des objectif est
manifestement de célébrer les « arbres qui cachent la forêt », alors
même que les réformes que vous mettez en œuvre déciment les arbres
de ces mêmes forêts. Comment célébrer la qualité de la recherche
française quand les discours officiels méprisent ouvertement les
chercheurs? Si vous croyez, madame la Ministre, que la recherche
n’avance que grâce à un nombre limité de chercheurs « excellents »,
j’ai le regret de vous dire que vous vous trompez: la recherche est,
par essence, une œuvre collective, de longue haleine, dans laquelle
tous les acteurs jouent un rôle fondamental, du technicien au
chercheur primé. Le gouvernement auquel vous participez, et vous
même, défendez une conception très hiérarchique, pyramidale de
l’organisation de la recherche, où seuls ceux qui sont au sommet de
la pyramide ont droit de cité.
Il est facile de voir que même ceux qui, selon cette conception que
je conteste, se tiennent au sommet de la pyramide n’y sont maintenus
que par la masse de ceux qui sont au dessous, les
« médiocres » (puisque non excellents) d’après vos critères. Supprimez
ces « médiocres », et toute votre pyramide s’écroule, précipitant à
terre les « excellents ».
Depuis des siècles, les scientifiques se définissent comme des
« pairs », c’est-à-dire des égaux, et la notion de hiérarchie, avec
des « bons » et des « mauvais », n’a jamais fait partie du vocabulaire
académique. C’est bien la sphère politique qui a introduit ces
conceptions dans le monde de la recherche afin d’y appliquer un mode
de gestion managerial et entreprenarial. Mais la recherche n’est
pas, et ne doit pas devenir, une entreprise, car elle a pour but,
non le profit, mais l’avancée de la connaissance pour le bien de
l’Humanité.
Il me semble, Madame la Ministre, que vous, et bien d’autres au
gouvernement, confondez les concepts d’excellence et d’élitisme. Il
ne fait aucun doute, ni pour moi, ni pour l’immense majorité de mes
collègues, que la recherche scientifique doit viser l’excellence, ne
serait-ce que parce que nous sommes financés par des fonds publics
issus de l’impôt, et que, plus que tout autre encore, cet argent
doit être utilisé à bon escient pour de la recherche de haut niveau.
D’ailleurs, et contrairement aux discours officiels, la recherche
française n’a pas à rougir de sa qualité: l’exemple des « ERC
Starting Grants » que vous voulez célébrer est de ce point de vue
très informatif: la France se classe 2ème au niveau européen en
terme de lauréats sur l’ensemble des disciplines, et première en
sciences de la vie. Qui disait, le 22 janvier dernier, que la
recherche française était de mauvaise qualité? Les experts européens
disent en tous cas clairement le contraire.
Mais ce n’est pas l’excellence qui est promue aujourd’hui, c’est
bien l’élitisme, ce qui est très différent. Dans cette conception
élitiste, on fixe, arbitrairement, que seul un certain pourcentage
de projets (ou de chercheurs, ou d’équipes etc…) doit être soutenu
et financé. Qu’importe que ceux qui se trouvent juste en dessous de
la barre soient, eux aussi, « excellents »: ils ne sont pas assez
excellents (vous m’accorderez que ce concept « d’excellents mais pas
assez » est pour le moins « étrange ») pour recevoir les lauriers de la
gloire. Ils resteront donc sans financement, ou quasiment, et ne
seront pas invités à vos « cocktails » de félicitations. Combien de
projets de recherche, excellents, ont ainsi été retardés, voire
abandonnés, faute de moyens?
Vous comprendrez donc, Madame la Ministre, que je ne peux pas
accepter de jouer, pour vous, la vitrine étincelante d’une recherche
que vos réformes méprisent. Je n’accepte pas que soit utilisée ma
réussite, ponctuelle, pour faire oublier que la recherche française
est mise à mal. Je ne peux accepter d’être utilisé pour promouvoir
un élitisme qui entrave le développement de bon nombre de chercheurs
et de projets excellents.
Cordialement,
Boris BURLE, Lauréat ERC Starting Grant,
Chercheur CNRS en Lutte, dans un Laboratoire en Lutte