Les SHS sont-elles les seules menacées ? : SNCS-HEBDO 08 n°6 du 03 avril 2008
La semaine dernière, la présidente du CNRS a fait craindre qu’à l’occasion du découpage en instituts la place des sciences humaines et sociales (SHS) au sein de son organisme ne soit drastiquement réduite, même si elle semble depuis être revenue en arrière en indiquant aujourd’hui que « les sciences humaines y ont toute leur place » (Le Monde, 02.04.08). Mais quelle place exactement ? Comment défendre en même temps la multidisciplinarité tout en réduisant le nombre de disciplines présentes au CNRS ? La réforme du CNRS, recentré autour de « grandes thématiques prioritaires », ne serait-elle pas le début de la vente à la découpe du CNRS aux universités ?
Bureau national du SNCS-FSU
AUCUN argument lié à une logique scientifique qui serait spécifique aux sciences humaines et sociales ne peut justifier leur sortie du CNRS. Tout comme en biologie ou en physique, la présence de chercheurs à temps plein (statutaires CNRS ou enseignants-chercheurs accueillis en délégation) et d’ITA au sein de laboratoires en SHS permet de prendre des risques intellectuels (et donc d’être innovant), d’avoir le temps et la possibilité d’intégrer des équipes internationales, voire de faire des séjours à l’étranger (essentiel pour ceux qui travaillent sur des aires culturelles données), de concentrer au sein d’un laboratoire des spécialistes d’un objet ou d’un paradigme ou d’une méthode et enfin d’aller explorer d’autres disciplines pour jeter des ponts entre elles (parfois via des réseaux tels les GDR). Tout cela, bien souvent, dans une vraie logique de complémentarité avec l’université permettant ainsi de proposer aux étudiants une offre large de formation. Les exemples pourraient être multipliés : la présence de chercheurs et d’ITA dans les universités à travers les UMR et, plus largement, l’existence de ces dernières sont en SHS, comme ailleurs, un vrai élément de dynamisme scientifique.
Dans les premières déclarations de Bréchignac, les laboratoires qui semblaient épargnés par cette vente à la découpe étaient apparemment ceux liés à un équipement lourd ainsi que les instituts français à l’étranger, tout le reste étant reversé aux universités. Comment expliquer ce tri sélectif ? Tout d’abord, avec un budget restreint, le CNRS se sent obligé de faire des choix, justifiés par l’idée de « grands thèmes » prioritaires, décidés sans concertation avec les chercheurs concernés d’ailleurs. Le gouvernement ne peut en effet habiller Paul (les universités, qui en ont bien besoin) qu’à condition de déshabiller Pierre (le CNRS). Après avoir mis en place des structures (ANR, AERES) qui doublonnent (mais avec une tout autre logique) le CNRS, le gouvernement passe donc désormais à l’étape suivante : asphyxier financièrement le premier organisme de recherches européen, qui avait le principal défaut de n’être pas étroitement contrôlé et instrumentalisé par le pouvoir politique.
L’accent mis sur les équipements témoigne également d’une réorientation stratégique générale de l’organisme qui aurait pour fonction principale de gérer de grands équipements et les personnels qui leur sont attachés, pour ne plus être que le prestataire de services d’instrumentation pour des recherches décidées ailleurs – car financées ailleurs. La menace d’être sorties hors du périmètre du CNRS vaut donc pour bien d’autres disciplines que les seules SHS, notamment celles qui ne sont pas assises sur des plateformes techniques lourdes, à l’image des mathématiques par exemple.
Mais pourquoi, après tout, serait-il dommageable que les chercheurs soient exclusivement rattachés à des universités à la vie desquelles ils participent déjà tant par le biais des UMR ? Car cela peut avoir des effets pervers dramatiques sur les recrutements des jeunes docteurs. Tout le monde reconnaît la nécessité d’augmenter drastiquement le niveau d’encadrement enseignant dans les universités, mais le gouvernement, comme l’a montré son timide « Plan licence », se refuse, pour des raisons qui ne sont que budgétaires, à créer les postes pour cela nécessaires. La solution au problème tombe alors sous le sens : faire assurer les enseignements par les chercheurs. La loi LRU a préparé le terrain avec la modulation de services, décidée arbitrairement par le conseil d’administration des universités. Ce reversement diminuerait automatiquement le recrutement d’enseignants-chercheurs dans ces disciplines dont le gouvernement a plusieurs fois critiqué directement l’utilité de l’enseignement, que ce soit dans le supérieur ou le secondaire – les enseignants de sciences économiques et sociales font d’ailleurs une pétition à ce sujet. La suppression des SHS du CNRS est donc aussi une menace pour l’ensemble des citoyens, car à travers elles, sont également visés la production d’un savoir potentiellement critique sur notre société, un éclairage autre que celui véhiculé par l’idéologie médiatique et ses relais politiques, un regard distancié des urgences de l’actualité. Supprimer les SHS au CNRS, pour mieux les affaiblir à l’université, c’est vouloir aveugler la société pour mieux pouvoir la contrôler.SNCS-HEBDO 08 n°6 du 03