Monsieur d’Aubert, soyez réaliste, demandez l’impossible !
Il faut mesurer l’ampleur du désastre démocratique en France. Aujourd’hui chaque phrase prononcée par Sarkozy, dans
les 236 discours de sa campagne électorale, devient vache sacrée, puisqu’il a été élu. Plus besoin du Parlement (IL a été
élu), plus besoin de partenaires sociaux (IL a été élu). Plus besoin de négociations, de discussions voire d’informations
puisqu’il y a le one-woman-show quotidien de la ministre à la télé. C’est dans ce contexte, que se pose la Mission
d’Aubert.
Depuis 2003, la droite tente de passer d’un système de recherche basé sur des structures ayant une vision à terme de la
recherche à un financement sur projets à court terme, souvent sur CDD. Elle veut passer d’un système où les
scientifiques avaient un rôle réel, à un système piloté par le gouvernement sur les thèmes et fonctionnant sur des
instances entièrement nommées (Haut conseil, ANR, Comités d’ANR, AERES, jury des RTRA ou des Instituts Carnot,
etc.).
Avec une élaboration bâclée, malgré l’opposition du CNESER, de tous les syndicats et de SLR, d’associations de
doyens, et même de la majorité des Conseils d’université, la LRU est venue compléter le Pacte pour la recherche. Elle
en devient même une pièce centrale.
Escroquerie médiatique sans précédent, le budget 2008 de l’enseignement supérieur et de la recherche est un budget-gruyère
: les 1,8 milliards se réduisant en fait à 100 millions de mesures nouvelles. Zéro emploi créé, des crédits de base
des établissements ne suivant même pas l’inflation.
Est-ce le tour des organisme d’y passer ? C’est bien cela qu’explique, en filigrane, la direction du CNRS dans sa lettre
aux personnels, où il est clairement dit que désormais l’action de l’organisme viendra en complément de l’ANR, pour
boucher les trous qu’elle laissera. Ce d’autant que l’unité du CNRS est en plus mise en cause, par le projet d’Institut de la
Santé qui menace tout autant l’INSERM dans ses finalités. Les craintes pour l’INSERM sont renforcées par le mystère
entourant la mission Syrota ou les déclarations d’Arnold Munnich (conseiller de Sarkozy) qui veut confier la recherche
médicale aux UFR. LRU es-tu là ? Sans doutes, car l’autonomie de carême imposé aux universités renforcera encore
leur dépendance de l’ANR. Simultanément l’ANR annonce qu’elle veut donner des contrats plus gros, moins nombreux,
pour structurer la recherche. Big Brother étend chaque jour ses tentacules. On va bientôt regretter l’Académie des
sciences soviétique.
Pour mettre en oeuvre sa politique, Sarkozy pratique à la fois une politique de mouvements et celle du saucisson :
tronçonner les problèmes, les parcelliser, ne les traiter que un par un, et dans le cadre de ce qui est déjà décidé :
contacts permanents avec la CPU sur la LRU, mission Syrota sur l’Institut de la Santé, réunion avec les Directeurs
d’unité, réunion avec les bureaux de sections CNU. Et bien sûr, mission d’Aubert. La mission d’Aubert est censée
examiner la gestion des UMR. Elle est composée de 5 présidents d’université de 5 directeurs d’organismes et d’experts.
Mauvaise nouvelle : ses conclusions seront connues en mars, après les municipales. Tiens !
Une première condition indispensable à un bon fonctionnement des unités est qu’on revienne à un financement principal
par les établissements (organismes et universités), une agence ne pouvant venir qu’en complément. Il faut multiplier par
deux, sur cinq ans, les crédits de base des établissements. Ils pourront ainsi, lors de la contractualisation, s’engager
financièrement à la hauteur nécessaire, pendant quatre ans, vis-à-vis des programmes des laboratoires (et en leur sein,
des projets des équipes) bien évalués. Débureaucratiser, c’est donc en finir avec les nombreux lotos, les dizaines de
milliers de projets qu’il faut penser, écrire puis expertiser, mais sans jamais les évaluer a posteriori. Il faut en finir avec
le pilotage décidé par une poignée de technocrates aux ordres, dont certains sont coupés de la recherche depuis des
décennies.
La deuxième condition est un plan pluriannuel de l’emploi scientifique, alors qu’aucune création d’emploi n’est prévue
dans les cinq ans à venir, que le nombre de chercheurs CNRS n’a pas bougé depuis 15 ans (oui, oui, 13500 ± 100). Sans
emplois nouveaux, pas de croissance, pas de décharges supplémentaires des Enseignants-Chercheurs mais que le
nombre de jeunes chercheurs en CDD a explosé. Le gouvernement, l’ANR, ont le devoir maintenant de trouver un
emploi stable à ces milliers de jeunes. On ne peut imposer une mission d’insertion aux universités et, par ailleurs,
envoyer des milliers de jeunes docteurs, parmi les plus brillants de nos étudiants dans le mur, et en s’en lavant les mains.
La troisième condition est de créer un nouveau partenariat entre organismes et universités. Oui, le redressement des
universités est une priorité. Elles doivent jouer progressivement un plus grand rôle dans la recherche, Mais cela ne doit
pas se faire en affaiblissant les organismes mais bien par des partenariats plus équilibrés et plus nombreux avec ceux-ci.
Ces partenariats visent à concilier la vision nationale d’une politique scientifique avec l’ancrage plus territorial des
universités. Ils doivent se négocier « d’égal à égal » et être réalisés à égalité de droits et de devoirs. Cela implique donc
que les universités ne soient pas en situation de faiblesse, qu’elles aient les moyens d’une politique, assez d’ITARF à
mettre dans les unités de recherche et que les enseignants-chercheurs aient beaucoup plus de temps pour faire de la
recherche.
Pour ce, une organisation des universités en réseau est nécessaire, soit par fusion pour avoir des universités
pluridisciplinaires et/ou par des PRES pour organiser la complémentarité de leur diversité, coopérer avec les écoles,favoriser le lien enseignement recherche. Les PRES (version Etats-généraux) peuvent être une inter-face avec les Pôles
de compétitivité, tout en protégeant les laboratoires publics d’une main-mise du privé. Coopération oui. Subordination
non.
La quatrième condition est de repenser la démocratie et l’évaluation. Contrairement à la LRU, rétablir l’équilibre des
pouvoirs dans les universités et notamment redonner tout son rôle au Conseil scientifique. Il faut revenir à des
commissions de recrutement avec des élus et des nommés extérieurs, en précisant un quorum quant à la présence de ces
nommés, comme a pu le suggérer la CPCNU, pour éviter les accusations d’endogamie.
Il faut dynamiter l’AERES et tout son appareil technocratique. Le problème n’est pas de savoir s’il faut la boycotter,
mais quand donner ce mot d’ordre. Il enlèvera une crédibilité scientifique à cette usine à gaz qui sabote l’évaluation. Il
faut que les candidats au Comité national annoncent la couleur : qu’ils feront fonctionner leur section en récupérant les
rapports des laboratoire et en les évaluant.
Faut-il une seule tutelle gestionnaire ? La contractualisation laisse déjà aux établissements la possibilité de garder des
formations « propres ». Il n’est interdit à aucune formation – fut-elle suicidaire vu les moyens des universités- de se
désassocier. Mais il faut absolument garder le principe des UMR, avec double tutelle scientifique, permettant une
double insertion scientifique de l’unité, nationale et régionale.
Certes, il faut limiter à deux, trois, exceptionnellement, le nombre de tutelles. L’allègement administratif pour supprimer
des UMR n’est qu’un prétexte et certains directeurs voient même dans la double tutelle une souplesse de gestion et une
garantie pour leur liberté. Pour « alléger la gestion » les mesures sont connues : avoir un seul système informatique entre
l’université et tous les EPST, alléger le système des marchés (aller jusqu’au contrôle a posteriori ?), permettre aux
laboratoires d’avoir des « reports » pour faire une politique à terme, surtout fonctionner d’abord sur crédits des
établissements et postes statutaires afin de limiter le temps perdu en rédaction puis évaluation d’un nombre totalement
excessif de « projets » à court terme. Et pour l' »overhead » ou « préciput » (ce que l’ANR restitue aux gestionnaires ou aux
labos), il suffit de décider a priori et nationalement (ou par contrat) dans quelle proportion les « overheads » seront
partagés entre les tutelles pour éviter la guerre entre celles-ci.
Alors, Monsieur d’Aubert, ou bien vous donnez demain votre onction à un rapport déjà écrit par d’autres et donc
l’extrême-onction à un organisme créé par Irène Joliot-Curie et développé par De Gaulle, et c’est vous qui porterez le
chapeau. Pour l’histoire vous resterez « le liquidateur ». Ou alors, vous pouvez aussi avoir du courage, partir de la réalité,
des vrais problèmes, des conditions qui nous sont faites, même si c’est difficile, très difficile, nous le savons par
expérience. Donc, un conseil : soyez réaliste, Monsieur le ministre, demandez l’impossible. Il vous restera au moins
l’honneur.
Membre du bureau national du SNCS FSU
soyez réaliste M.D’Aubert. par Henri Edouard Audier