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Inria, recherche, valorisation

web.inria10 janvier 2007

Extrait de la [VRS no 365 ->
http://www.sncs.fr/article.php3?id_article=77&id_rubrique=6]sur « Recherche et Innovation »

Inria, recherche, valorisation.

« Un exemple prometteur de collaboration entre l’Inria et
Microsoft Research: le théorème des 4 couleurs
entièrement démontré par ordinateur!! »

Cette annonce datée du 3 mai 2005 tombe à point nommé
pour justifier a posteriori la création du laboratoire
commun Microsoft-Inria en France, annoncée par une
fuite dans la presse le 23 avril, puis reprise
officiellement par l’Inria le 26 avril lors de la
signature du MOU (Memorandum Of Understanding) entre
Steve Ballmer, P.-D.-G. de Microsoft et Gilles Kahn,
P.-D.-G. de l’Inria.

Pourquoi cet accord a-t-il entraîné un malaise parmi
certains chercheurs de l’Inria alors que l’institut a
toujours travaillé sans problème dans des domaines de
recherche appliquée avec les industriels?

Au delà de la blague facile sur la thématique de
collaboration choisie (sécurité et fiabilité du
logiciel), nous proposons l’hypothèse que cette annonce
a mis en évidence une contradiction. Alors que de plus
en plus plane sur les chercheurs une pression latente à
la valorisation et à la recherche de contrats, on leur
oppose une vision libérée de la recherche – au final le
sujet choisi est la classification des groupes et la
vérification de la conjecture de Kepler, sans
application visible immédiate -, liberté aussitôt
tempérée par les dangers d’appropriation des résultats
par une entreprise connue pour la fermeture de ses
logiciels. La recherche publique en informatique
serait-elle donc condamnée à quémander des sous pour
des recherches à finalité immédiate, laissant le soin
aux riches industriels d’investir sur le long terme?

Historiquement, l’Iria, ancêtre de l’Inria, versant
académique avec le LETI du Plan Calcul initié en 1967,
était destiné à la recherche sur des outils de calcul,
avec la volonté de développer une industrie capable de
produire des ordinateurs pour permettre l’indépendance
de la France vis-à-vis des États-Unis. Comment
collaborer avec l’industrie? Jacques-Louis Lions, un
des directeurs historiques de l’Inria, s’est toujours
refusé à le voir devenir un laboratoire de
sous-traitance: les relations industrielles étaient
pour lui le moyen d’accéder à des problèmes
intéressants, pertinents et utiles. Au fil des temps,
la valorisation s’est organisée sous la forme de « clubs »
d’utilisateurs (Modulef, Modulopt…) – dont des
industriels – fondés sur la réciprocité et la gratuité.
Puis, les besoins de valorisation grandissant, la
première « start-up » de l’Inria, Simulog, va voir le jour
en 1984.

Valorisation des résultats de la recherche

Placées en première ligne face aux problèmes
industriels, les recherches en mathématiques appliquées
ont toujours pu trouver leur équilibre entre science et
technologie. Pour l’informatique, cette place est
beaucoup moins claire, tant chacun entend une multitude
de domaines sous ce vocable, aussi bien parmi les
chercheurs que parmi le public. Quelle est la place de
l’informatique dans les sciences et techniques? Outil
de recherche ou objet de recherche? Question exacerbée
par la généralisation de l’utilisation des ordinateurs
dans la société. Un logiciel peut être directement
utilisé par tout le monde, mais parfois au prix d’un
travail important de finalisation à partir d’un
prototype de recherche. Ainsi se sont créées de
nombreuses start-up (45 en activité aujourd’hui) de
finalisation et diffusion des logiciels ou autres
outils issus des recherches de l’Inria. Dans ce
contexte, la valorisation pose deux questions:
premièrement, les recherches de l’Inria ont un impact
direct sur la société et il semble important que
l’institut y soit attentif (au risque de remporter
comme en 2000 un prix au « Big Brother awards »);
deuxièmement, la frontière entre labo de recherches et
société de services devrait être bien cernée, en
distinguant par exemple dans les ressources propres ce
qui relève de ces deux catégories.

La recherche de la valorisation?

Aujourd’hui, à cause ou malgré le slogan « excellence
scientifique et transfert technologique » souvent
rabâché dans les discours, plusieurs indices nous font
craindre un retournement de cette logique de
valorisation de la recherche vers la recherche de la
valorisation. Comme par exemple le fait que, sur 31
indicateurs du contrat quadriennal destinés à mesurer
les « percées scientifiques », 27 sont relatifs aux
contrats et à la valorisation.

Thèmes prioritaires, guichets de financement de toutes
sortes, nombreuses sont les occasions de cadrer et
contrôler les orientations scientifiques vers des
thèmes à la mode. Les nombreuses structures mises en
place (PRES, pôles de compétences, pôles de
compétivité…) risquent de ne servir que d’instances à
labelliser: valorisation d’une image ? On se retrouve
dans la situation paradoxale où il faudrait promettre
que la recherche proposée est sans risque (?) pour
qu’elle soit financée. Extrait des modalités de
collaboration avec les industriels (site www.inria.fr,
11 avril 2005): « L’évaluation du risque sera un élément
important dans le financement demandé; plus le risque
est important et plus les montants demandés [à
l’industriel, nda] seront faibles ».

Or, la recherche a besoin de temps, et il est notoire
que les grands succès de valorisation de l’Inria sont
pratiquement toujours issus d’équipes stables et
pérennes, fruits de recherches qui ont pu prendre des
dizaines d’années (logiciel prouveur de théorèmes Coq,
logiciel libre de calcul numérique Scilab, mailleur
GHS3D pour la simulation numérique, langage de
programmation Caml…) et qui ont toujours largement
bénéficié de la confrontation entre recherche
fondamentale et applications.

Et Microsoft dans tout cela?

À l’opposé, Microsoft Research engage nombre de nos
collègues, connus et reconnus dans notre communauté;
par exemple, les présidents des deux principaux congrès
mondiaux en langages de programmation sont, en 2006,
des chercheurs de Microsoft. Il leur donne du temps,  »
des projets de recherche fondamentale non exploitables
commercialement à court terme » (G. Kahn, CTP du 15
novembre 2005). De quoi attirer les candidats à des
projets communs de collaboration en effet.

Oui, mais.

Les enjeux sont ailleurs et comme le note M. Alberganti
(Le Monde, 4 mai 2005): « On peut craindre que Microsoft
profite du prestige de sa puissance financière pour
entraîner l’Inria dans une démarche essentiellement
tournée vers la communication. Associée à un
laboratoire public, la firme de Bill Gates se retrouve,
en quelque sorte, dans la place. Il sera plus difficile
à un ministère, une administration ou une entreprise
publique d’opter pour le logiciel libre quand l’Inria,
créé en 1967 à l’initiative du général de Gaulle pour
garantir alors l’indépendance technologique nationale,
se sera intimement associé à Microsoft. Idem vis-à-vis
de l’Europe. » L’indépendance technologique prônée dans
le Plan Calcul est bien loin… Quant à l’excellence
dont la direction de l’Inria se targue ne serait-elle
que la valorisation d’une image acquise dans le passé
et que les orientations actuelles sont en train de
mettre à mal ?



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