Recherche et enseignement supérieur en Europe : Situations diverses, problèmes communs
- Parution
- 03/2023
- Numéro
- 432
Edito par Michel Maric et Chantal Pacteau
Après la déclaration de la Sorbonne en 1998, celle de Bologne signée en 1999 affirmait l’objectif de construire un espace européen de l’enseignement supérieur (EEES) en organisant, officiellement à partir de 2010, un processus de convergence des systèmes d’enseignement supérieur des pays européens et la construction progressive d’une Europe de l’enseignement supérieur et de la recherche (ESR). D’abord focalisée sur la reconnaissance des diplômes en Europe (réforme LMD) et la mobilité des étudiants (en particulier avec le système de « transferts de crédits » ou ECTS et les échanges Erasmus), la démarche répondait à l’objectif de « libre circulation des personnes et des biens » organisée par le traité de Maastricht de 1992.
Aujourd’hui, près de vingt-cinq ans plus tard, l’ESR reste organisé au niveau national, voire infranational. Ce qui reste commun, comme l’affirment dans ce dossier Susan Flocken, directrice européenne de l’Internationale de l’Éducation et Rob Copland, président du Comité permanent de l’ESR, ce sont les fortes pressions qui pèsent sur les personnels de l’ESR, la faiblesse des rémunérations ou l’accroissement de la précarité faisant de l’ESR en Europe « l’une des professions les plus précaires de notre époque ».
Et les pressions sur l’ESR ne cessent de croître : pressions liées à l’absurde volonté de mise en concurrence de tous contre tous alors même que nos professions sont organisées et structurées par des principes fort de coopération, pressions politiques qui deviennent si fortes qu’elles mettent en péril les libertés académiques et pourtant l’une des conditions essentielle à l’efficacité même du travail scientifique et pédagogique.
Car favoriser la « mobilité » des étudiants et des chercheurs au niveau européen, c’est s’interroger, par exemple, sur les conditions de la mobilité des personnels de l’ESR, sur la transférabilité des droits à la retraite, sur les conditions dans lesquelles les étudiants peuvent construire un parcours de formation entre les pays européens – y compris pour ceux qui sont socialement moins favorisés. Favoriser la construction d’un espace européen de l’ESR, c’est s’interroger sur le rythme de la convergence organisée, sur la place que l’on souhaite donner aux syndicats européens de l’ESR, et l’organisation – par exemple entre public et privé – de cet espace. C’est aussi avoir une connaissance suffisante de l’ESR pour ne pas détruire en chemin les fondements de son existence et les conditions même de son fonctionnement : les menaces qui pèsent désormais sur les libertés académiques sont, y compris sur ce plan, a présent particulièrement inquiétantes.
C’est ce que fait ce dossier.
En outre, il s’agit ici de pointer quelques dangers particuliers et les énormes difficultés qui subsistent : l’accès aux données pour les chercheurs dans le cadre du nouveau règlement sur les services numériques (DSA), la question des conditions de travail et le dialogue avec les syndicats qu’illustre magistralement la situation actuelle au Royaume-Uni, la fuite des cerveaux dans ce contexte qui s’affirme désormais dans certains pays, à l’instar de la Serbie, les questions de droit du travail des personnels de l’ESR qu’illustre ici le cas du Portugal, ou les conditions mêmes du recrutement étudiant par les universités, en particulier via les plateformes, qu’illustre tristement le cas français.
A l’heure ou d’inquiétants reculs démocratiques s’affirment en Europe, il devient sans doute urgent pour le projet européen de changer de voie, notamment pour l’ESR.