Établissements expérimentaux : des universités sans personnalité
- Parution
- 09/2024
- Numéro
- 438
Edito par Michèle Artaud et Hervé Christofol
L’ordonnance du 12 décembre 2018 a permis aux établissements de l’enseignement supérieur de se regrouper sous la forme d’« établissement publics expérimentaux » (EPE) en dérogeant à tout ou partie du code de l’éducation qui s’applique aux universités ; ce, en vue de devenir des « grands établissements », soit des opérateurs qui, à l’image des grandes écoles, ont des statuts qui s’éloignent des principes de collégialité et de démocratie universitaire.
Dans ces EPE, les universités perdent leur personnalité morale et juridique tandis que les écoles, les instituts publics ou privés qui les rejoignent gardent leurs noms et leurs prérogatives en matière budgétaire, de recrutement et de gestion. De plus, en participant aux conseils d’administration des EPE, les dirigeant·e·s et les personnels élu·e·s ou nommé·e·s des composantes non universitaires pèsent sur le sort de toutes les composantes de l’établissement, dont celles issues de l’université dissoute dans la nouvelle structure dont la représentativité des personnels élus a été systématiquement réduite. Ainsi, lors de ces transformations, c’est la vision utilitariste et managériale des grandes écoles, alignée sur les attentes des employeurs des milieux socio-économiques, qui s’impose.
Dans ce dossier, nous avons voulu décrire les processus en cours dans les établissements expérimentaux et les impacts qu’ils induisent sur la démocratie et la collégialité universitaires ainsi que sur les conditions de travail et l’organisation des unités de formation et de recherche. Des résistances s’organisent pour défendre les valeurs universitaires et alerter sur les impacts de transformations que la communauté universitaire, déjà en sur travail, peine à anticiper. De Paris-Saclay à l’Université de Lille, de l’Université Gustave Eiffel à Nantes Université, de CY Cergy Paris Université à l’Université Grenoble Alpes, de l’Institut polytechnique de Paris à la succession des initiatives de rapprochement au sein de l’espace de l’enseignement supérieur lyonnais, les syndicats luttent pour alerter et mobiliser la communauté universitaire. Avec une première victoire à Lyon, où une succession de votes défavorables de différentes instances de l’Université de Lyon 1 et de l’École supérieure de chimie, physique, électronique de Lyon (CPE Lyon, école privée) est parvenue à faire échec à la transformation en EPE.
Qu’en est-il dans les universités qui ne se sont pas engagées dans les regroupements sous la forme d’EPE ? À l’Université de Strasbourg et à Sorbonne Université, malgré un respect des règles du code de l’éducation, les témoignages décrivent un fonctionnement démocratique très dégradé en raison notamment de l’éloignement des instances de décision dans ces méga-structures. Et qu’en est-il dans les établissements qui anticipent les expérimentations de « l’acte II de l’autonomie » ? Les contournements du code ne semblent se faire ni au bénéfice d’un fonctionnement plus démocratique, ni au bénéfice des personnels, ni même pour améliorer la délivrance des missions de service public, mais pour mettre en place de façon plus « agile » une austérité budgétaire imposée par le ministère en charge de l’enseignement supérieur et la recherche.
Nous espérons que ce dossier contribuera à alerter notre communauté sur la dissolution en cours de l’« Université » dans des grands établissements où elle perd toute personnalité et à partager les actions locales de résistance et de défense du modèle universitaire de service public de l’enseignement supérieur et de la recherche.