Un nouveau plan pour la recherche biomédicale ?

SNCS-FSU27 mai 2025
Article de la VRS n°440 - Hors-Champ

Anne-Marie Armanteras et Manuel Tunon de Lara sont les co-auteurs du Plan de rénovation de la recherche biomédicale, commandé par le président de la République Emmanuel Macron. Après le dossier consacré à la réforme des études de santé de la VRS 439 de décembre 2024, il est apparu important de partager le constat des auteurs sur la recherche biomédicale en France et le plan de rénovation qu’ils proposent. Si le ­SNESUP et le SNCS sont en accord avec le constat du déclin de la recherche biomédicale française, ils ne partagent pas, pour autant, les propositions de ce plan, notamment sur les moyens, les conditions d’exercice et le déroulement des carrières des hospitalo-universitaires. Un débat à poursuivre.

Manuel Tunon de Lara
Professeur de pneumologie, praticien hospitalier
Président honoraire de l’université de Bordeaux
Anne-Marie Armanteras
Présidente du think tank Health & Tech
Ancienne directrice d’hôpital

 

L’essence même de l’Université est le lien qu’elle construit entre recherche et formation. Si dans son histoire, l’université française s’est un temps éloignée de ce principe, elle poursuit depuis des décennies cet objectif pour représenter aujourd’hui la première force de recherche du pays. Alors qu’on se penche légitimement sur l’état d’avancement des études de santé, il nous semble important d’analyser, en miroir, celui de la recherche dans le domaine.

Or, beaucoup d’observateurs convergent depuis plusieurs années sur un besoin chaque jour grandissant : rénover l’organisation de la recherche biomédicale dans le pays. Complexité et sous-financement, souffrance des hospitalo-universitaires, perte d’attractivité académique et industrielle, sont autant de constats partagés qui s’installent et caractérisent désormais la situation nationale. On peut s’y résoudre ou garder des œillères : la recherche biomédicale française perd du terrain depuis plus de dix ans et le développement de la recherche scientifique en Chine ou la suprématie américaine ne suffisent pas à l’expliquer lorsqu’on se compare à d’autres pays européens comme l’Allemagne ou le Royaume Uni, mais aussi désormais l’Italie ou l’Espagne. Il ne suffit pas, non plus, de sonner le tocsin sans proposer un chemin pour essayer d’inverser la tendance, non pas grâce à une impossible recette magique pour résoudre un problème complexe, mais un chemin qui tienne compte des observations extérieures et des nombreux travaux qui se sont penchés sur le devenir de la recherche dans notre pays, et de la recherche biomédicale en particulier.

Car la recherche biomédicale occupe une place unique en raison de son lien étroit avec l’amélioration de la santé des populations, en termes d’espérance et de qualité de vie, mais aussi sur un plan économique et social qui en font logiquement un objectif stratégique majeur pour de nombreux États, dont jusqu’ici la France. C’est dans ce contexte que les ministres de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche, de la Santé et de la Prévention et de l’Industrie nous ont chargés d’élaborer un plan de rénovation de la recherche biomédicale dont le président de la République avait souhaité qu’elle soit « plus unifiée, mieux dotée, en décloisonnant les dispositifs de financement, en raccourcissant encore les délais et en pariant sur la responsabilité des acteurs ». L’inspection générale de l’éducation, du sport et de la recherche (IGESR) et l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS) ont accompagné les différentes étapes de ces travaux, qui ont abouti à un rapport remis aux ministres le 23 mai dernier. Ses objectifs visent in fine à repositionner la France au premier plan dans ce domaine stratégique, en simplifiant, en renforçant et en améliorant l’efficacité des activités scientifiques.

La mission ne partait pas d’une feuille blanche puisque certains aspects de la recherche biomédicale ont pu faire l’objet de rapports plus ou moins récents, et que les constats sur la place de la France, ses atouts et ses limites dans le domaine sont assez largement partagés. Aussi, le but de la mission était opérationnel dans le contexte d’une réflexion plus large sur l’ensemble de l’écosystème de la recherche et de l’innovation.

Ainsi, face à l’essoufflement de la recherche biomédicale française depuis plusieurs années et à une forte compétition internationale, la mission a structuré un plan d’action autour de six axes associés à soixante-dix recommandations rapidement opérationnelles, dont très peu nécessitent un changement législatif et dont beaucoup sont à coût constant.

ASSURER LE POLITAGE STRATÉGIQUE AU NIVEAU NATIONAL AVEC L’INSERM

L’évolution de l’Inserm, récemment chargé d’animer une agence de programmes en santé, vers une agence de programmation et financement, inspirée des National Institutes of Health (NIH) américains, est une orientation essentielle pour une meilleure organisation nationale, déjà préconisée dans le passé. Pour l’agence, cela nécessite de réunir trois conditions : la capacité de piloter les financements en bonne articulation avec l’Agence nationale de la recherche (ANR), la mise en place d’un conseil scientifique extérieur de haut niveau, une étanchéité entre la mission d’agence et celle d’opérateur que ­l’Inserm doit par ailleurs profondément modifier. Cette évolution nécessite en effet de transférer en bonne intelligence la gestion des unités de recherche aux universités et ainsi simplifier le fonctionnement d’unités mixtes, l’Inserm conservant le pilotage des infrastructures nationales. La faisabilité de la mesure peut être testée sur quelques établissements pilotes. Par ailleurs, ­l’Inserm a vocation à jouer un rôle beaucoup plus stratégique, notamment au plan européen, cette échelle d’action devenant indispensable dans le contexte mondial de la recherche scientifique.

CONSTRUIRE UNE VÉRITABLE POLITIQUE DE SITE CONTRACTUELLE DE LA RECHERCHE BIOMÉDICALE

Au niveau des territoires, la construction d’une véritable politique de site de recherche hospitalo-universitaire contractuelle implique de donner un nouveau souffle aux conventions hospitalo-universitaires de 1958 sur la base d’un modèle national adapté aux besoins des hôpitaux universitaires de demain. Par ailleurs, notre rapport propose aux universités et aux centres hospitaliers universitaires (CHU) acteurs de chaque site de s’engager avec leurs partenaires publics et privés autour d’un contrat quinquennal de recherche et d’innovation biomédicale (C-RIB) ayant identifié des objectifs prioritaires communs, accompagné par un comité consultatif externe, et faisant l’objet d’une évaluation synchrone et unique par le Haut Conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur (Hcéres). Il appartient aux principaux acteurs de faire vivre ce contrat dans une dynamique réactive et partagée qui, aujourd’hui, fait souvent défaut.

RENFORCER L’ATTRACTIVITÉ DES CARRIÈRES HOSPITALO-UNIVERSITAIRES

Si ces questions d’organisation au niveau national et territorial sont essentielles, les résultats de la recherche biomédicale dépendent beaucoup des hospitalo-universitaires et de la possibilité d’exercer leur triple mission de soins, d’enseignement et de recherche. C’est pourquoi il est impératif de repenser les conditions d’exercice et le déroulement des carrières.

L’objectif prioritaire est de redonner du temps académique aux hospitalo-universitaires et ainsi stopper la spirale négative que l’on observe aujourd’hui, les jeunes médecins en formation se détournant des carrières universitaires qui ne laissent plus de place à la recherche. Cela doit être fait individuellement en aménageant et améliorant leurs conditions d’exercice, et collectivement par l’augmentation significative de leur nombre, a fortiori dans une perspective d’augmentation importante du nombre d’étudiants à former. La mise en place d’un nouveau cursus d’accès à la carrière hospitalo-universitaire, plus lisible et mieux accompagnée ainsi que la création d’un nouveau corps de professeurs d’université-praticiens hospitaliers (PU-PH) doivent pouvoir redonner à ce statut toute l’attractivité qu’il mérite et dont le pays a cruellement besoin.

CORRIGER LA TRAJECTOIRE DE FINANCEMENT

La question du sous-financement chronique de la recherche en France reste problématique, même lorsqu’elle est admise par les gouvernants. Il est impératif de combler le retard accumulé par la France dans le champ biomédical, tant pour le secteur privé que public. Il est proposé d’apporter des corrections sur la trajectoire budgétaire nationale, afin de le réduire et atteindre une dépense de recherche rapportée au PIB qui se rapprocherait de celle de ses voisins européens.

Pour être efficace, cet effort doit s’accompagner de deux préalables essentiels : (i) mettre en place un observatoire mesurant précisément la dépense actuelle (sans quoi il n’y a pas de réelle stratégie possible) ; (ii) optimiser les moyens actuels par une simplification de nos organisations et par une meilleure utilisation des fonds de recherche.

A cet égard, les financements en provenance de l’Objectif national de dépenses d’assurance maladie (ONDAM) méritent mieux ! Au niveau national, il est indispensable de mieux opérer le programme hospitalier de recherche clinique (PHRC) grâce à l’ANR et d’en optimiser les dépenses (seuls 25 % des études financées sont terminées à quatre ans et 17 % aboutissent à une publication des résultats). A l’échelle du site, il est proposé que 10 à 20 % des missions d’enseignement, de recherche, de référence et d’innovation (­MERRI) aillent réellement au financement des équipes de recherche pour financer les meilleurs projets.

Par ailleurs, une telle approche nécessite de repenser la nature de l’effort en question, qui apparaît trop souvent comme un coût supplémentaire à la charge d’un pays dont les finances publiques sont en difficulté, alors qu’il correspond à un investissement indispensable pour une nation qui parie sur le développement scientifique et le progrès qui peut y être lié.

ACCÉLÉRER ET SIMPLIFIER LA RECHERCHE CLINIQUE

Cette nouvelle organisation et les moyens envisagés doivent permettre de rehausser le niveau de la recherche en santé qui doit, par ailleurs, être facilitée par une simplification drastique des procédures de recherche clinique et, plus généralement, de la recherche chez l’homme et dans les populations, l’adoption de nouvelles méthodologies, une nouvelle approche liée à l’utilisation des données de santé et le développement de la recherche en santé publique et en prévention. Vingt-trois mesures opérationnelles sont proposées pour cela qui faciliteront par là-même les activités R&D des entreprises. La nécessaire simplification de la recherche en santé et l’impulsion d’une nouvelle dynamique en faveur de l’innovation font l’objet de développements et de propositions techniques pour rapidement faire bouger les lignes et retrouver le leadership que devrait avoir la France dans ce domaine. Certaines mesures très opérationnelles sont directement en lien avec des missions récentes conduites sur les aspects éthiques ou sur les données de santé. D’autres demandent un travail complémentaire et une appropriation par les acteurs mais sont tout aussi indispensables car elles permettront la modernisation des méthodes de recherche clinique, le développement de la recherche en santé publique ou la levée des obstacles que la recherche publique et privée rencontre autour de la défense de la propriété intellectuelle.

ACCOMPAGNER LA DYNAMIQUE D’ÉVOLUTION DES INNOVATIONS DANS LE DOMAINE BIOMÉDICAL

Le dernier axe du plan concerne l’innovation et les dispositifs de transfert qu’il faut rendre plus efficaces. La mission encourage à décliner une seule politique d’innovation sur les sites réunissant les acteurs, dont les CHU, autour des pharmacies à usage intérieur (PUI) et à poursuivre la dynamique du plan deeptech et des bioclusters. Cette démarche doit s’accompagner d’une réflexion autour des conditions qui favorisent les investissements dans ce domaine de l’innovation. Au niveau national, il est proposé de donner un statut à l’Agence de l’innovation en santé (AIS) en confirmant son caractère interministériel, de repositionner ­Inserm Transfert sur un rôle national indépendant de ­l’Inserm, et de travailler collectivement à une nouvelle approche, plus facilitatrice, concernant la défense de la propriété intellectuelle.

Les propositions portées par ce plan couvrent un large éventail de mesures dont beaucoup peuvent paraître techniques mais qui s’avèrent indispensables à un processus de simplification pour les acteurs de la recherche et une optimisation des moyens qui y sont consacrés. D’autres sont des mesures de fond qui visent à recentrer les acteurs institutionnels sur le rôle qu’ils devraient tenir pour permettre à la recherche biomédicale d’avancer. Et cette attente résonne dans le giron scientifique international.

 

Cet article est tiré du n°440 de notre revue la Vie de la Recherche Scientifique (VRS). Retrouvez l’ensemble des numéro dans notre rubrique VRS.



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