Syndicats et liberté académique : en direct des États-Unis

SNCS-FSU27 mai 2025
Article de la VRS n°440 - Dossier - Liberté académique : résister à la délégitimation du pouvoir

Lors de son intervention dans la conférence Savoir et pouvoir : luttes internationales pour la liberté académique, Jon ­Shelton a exposé les attaques de Trump contre l’enseignement supérieur et en a analysé les causes. Il propose ici son point de vue sur comment l’action syndicale dans les universités peut aider à construire l’infrastructure nécessaire pour résister à l’autoritarisme et sur la nécessité d’établir des liens au-delà des frontières.

Jon Shelton
Président de l’UWGB-United (syndicat de l’enseignement supérieur de l’Université de Wisconsin à Green Bay)
Vice-président de l’Higher Education for the American Federation of Teachers-Wisconsin

 

Depuis qu’il a repris le pouvoir en janvier, on assiste à un déluge de décrets signés par le président Donald Trump : suppression des droits des personnes transgenres, permission aux agents chargés de l’application des lois sur l’immigration de pénétrer dans les écoles afin d’y rechercher les enfants immigrés et suppression des financements dans l’éducation publique à moins que les districts scolaires n’acceptent de cesser d’enseigner l’histoire complexe des discriminations raciales. Alors que depuis les années 1860, toute personne née sur le sol américain a droit à la citoyenneté, un décret a même menacé le principe de la citoyenneté de naissance.

Même si ces décrets font ou feront l’objet de litiges et si certains seront annulés par les tribunaux, d’autres seront confirmés. Il s’agit là d’une tentative de circonscrire les paramètres de la citoyenneté américaine et de réécrire, d’un point de vue suprématiste blanc et hétéronormatif, l’histoire des États-Unis.

En ce qui concerne l’enseignement supérieur, M. Trump a recours à des décrets dans le but de modifier radicalement et soudainement les paramètres de financement des universités de recherche. Il menace de supprimer le ministère fédéral de l’éducation, ce qui mettrait en péril le financement des frais de scolarité des étudiants dans pratiquement toutes les universités du pays.
Si, pour M. Trump, la pensée indépendante et la liberté académique sont des menaces, c’est qu’elles offrent des alternatives à son récit mensonger sur la démocratie américaine. Il n’est donc pas étonnant qu’il s’en prenne aux enseignants, à l’instar de ce que font d’autres dirigeants autoritaires dans leur pays, tels que Victor Orban ou ­Vladimir ­Poutine.

ATTAQUES CONTRE LA LIBERTÉ ACADÉMIQUE : UNE LONGUE HISTOIRE

En ce sens, ces décisions représentent la « nationalisation » d’une stratégie que les républicains ont utilisée dans plusieurs États américains pour supprimer la liberté académique dans les universités américaines au cours des cinquante dernières années. Le gouverneur républicain de Floride, Ron Desantis, est probablement celui qui a fait le plus de dégâts. Outre la fameuse loi « Don’t Say Gay » pour l’enseignement primaire et secondaire, Desantis a œuvré à l’adoption de lois visant à affaiblir l’accès à la tenure et à remodeler des institutions entières de l’État qui adhèrent à une vision fondamentaliste de droite de l’histoire américaine.

Dans mon État, le Wisconsin, le pouvoir législatif républicain a tenté de faire de même avec plus ou moins de succès. En 2022, il a adopté un projet de loi qui aurait empêché nos universités publiques d’enseigner les questions liées à la « race » et au racisme, et seul le veto du gouverneur démocrate, Tony Evers, l’a empêché.

Fin 2023, le président du système des universités du Wisconsin, Jay Rothman, a conclu un accord avec le président républicain de l’Assemblée, ­Robin ­Vos, pour geler tous les postes liés à la diversité, à l’équité et à l’inclusion dans le système de l’université du Wisconsin, capitulant ainsi devant une manœuvre législative visant à détourner les fonds destinés à la construction d’un bâtiment d’ingénierie. Cette fois-ci, le conseil d’administration qui dirige le système universitaire, nommé par le démocrate Evers, a voté en faveur de la mesure, non pas parce qu’il était d’accord, mais parce qu’il craignait les représailles des républicains.

Ainsi, ce que fait Trump au niveau national n’est qu’une version de ce qu’ont fait les républicains au niveau des États, mais dopé à la testostérone. Juste avant l’investiture de Trump, une étude de l’Association américaine des professeurs d’université rapportait que « plus d’un professeur sur trois affirme avoir moins de liberté académique aujourd’hui lorsqu’il s’agit d’enseigner un contenu sans interférence, de s’exprimer librement en tant que citoyen et de participer librement à la gouvernance institutionnelle ».

ALORS QU’IL N’EST PAS POPULAIRE, POURQUOI TRUMP ?

Il y a cependant deux bonnes nouvelles. Tout d’abord, Trump n’est pas une figure populaire aux États-Unis. Loin de là. Alors qu’en 2016, il n’avait pas remporté le vote populaire pour son élection, en 2024, il ne l’a remporté que par environ deux millions de voix (soit seulement 1,5 % des Américains qui ont voté). En outre, il n’a obtenu qu’environ trois millions de voix de plus que lors de l’élection présidentielle de 2020, tandis que Kamala Harris en a perdu environ six millions par rapport au score de Joe Biden. Ce sont donc les démocrates qui ont perdu cette élection, et non Trump qui a gagné.

En 2024, ce n’était que la deuxième fois depuis 1988 qu’un républicain remportait le vote populaire (l’autre étant George W. Bush en 2004). Dans ce contexte, une victoire électorale sur le fil du rasoir, dans un climat économique très difficile, peut ne pas sembler être le signe d’un changement majeur dans la perspective des électeurs américains.

Et voici un autre chiffre : la cote de popularité de Donald Trump a déjà chuté de cinq points en l’espace de six semaines. Les Américains sont plus nombreux à le désapprouver qu’à l’approuver.
Mais alors, que signifie l’élection de Trump ? Pour répondre à cette question, au lieu d’examiner la question sous l’angle de cette élection, regardons les dernières élections présidentielles. En 2016, ­Hillary ­Clinton, qui avait été secrétaire d’État d’Obama, se présentait en tant que candidate sortante. Bien qu’elle ait remporté le vote populaire, elle a été battue par Trump au collège électoral. En 2020, bien sûr, Trump lui-même était le candidat sortant. Il a perdu. Puis, en 2024, Mme ­Harris était la candidate sortante effective. Elle a perdu.

Quel est le thème commun ? Les candidats sortants perdent les élections. Les élections sont compliquées et ne peuvent jamais être expliquées par un seul facteur mais, comme mon confrère Neil Kraus et moi-même l’avons récemment écrit dans The Nation, l’économie ne fonctionne pas pour la plupart des Américains depuis des décennies. Lorsque la moitié d’entre eux vivent au jour le jour, que des millions de personnes ne peuvent pas trouver de logement abordable et que les inégalités de richesses continuent d’augmenter de manière insoutenable, certains Américains votent par désespoir pour que quelque chose, n’importe quoi, change. Et c’est ainsi que Trump a été élu. Encore une fois.

Comme partout dans le monde, la sécurité économique des travailleurs est primordiale. Il est important que nous comprenions que la droite peut creuser un fossé entre nous et le reste des travailleurs que si nous la laissons faire. Nous devons considérer que nos droits en tant qu’universitaires sont liés aux droits du travail pour tous.

L’ACTION SYNDICALE À L’UNIVERSITÉ

Dans le même ordre d’idées, la seconde bonne nouvelle est, qu’aux États-Unis, l’action syndicale est un outil pour construire une politique de solidarité plus large. Nous nous organisons actuellement dans l’enseignement supérieur pour construire, comme le travail d’Erica Chenoweth et Zoe Marks nous le proposent, l’infrastructure nécessaire pour résister à l’autoritarisme. Il est essentiel d’établir des liens au-delà des frontières, comme ce fut le cas pour le mouvement anti-apartheid en Afrique du Sud.

Les États-Unis se trouvent dans une position très précaire qui risque de les faire basculer définitivement vers l’autoritarisme. Le fait de réduire au silence le corps enseignant et le personnel des universités peut largement contribuer à rendre ce basculement encore plus probable. Les perspectives à court terme sont désastreuses. Selon moi, si l’on avait disposé du type d’institutions capables de résister au trumpisme dans le court terme, il n’aurait pas été possible qu’un personnage autoritaire comme Trump soit élu une fois, et encore moins une seconde fois.

La tâche qui attend les universitaires est donc la suivante : la lutte pour la liberté académique non seulement aux États-Unis mais partout dans le monde ne suffit pas. Elle est nécessaire mais insuffisante. Alors, comment construire un écosystème où la véritable liberté académique existe ? Il faut construire le type d’infrastructure démocratique qui garantit la sécurité économique et la liberté de tous les travailleurs.

Cela signifie que les universitaires doivent s’organiser, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de l’université. Ils doivent se considérer comme des travailleurs et entrer en contact avec d’autres travailleurs. Et même s’il semble, qu’à une époque d’autoritarisme, il leur faudrait baisser la tête ou se cacher dans une « tour d’ivoire » en attendant que l’orage passe, c’est le contraire qu’ils doivent faire. Il faut qu’ils se fassent entendre le plus possible.

« Je suis profondément ému que des syndicalistes comme vous, en France, veuillent se solidariser avec nous aux États-Unis. Nous aurons besoin de votre soutien, et vice versa. J’espère donc que ce n’est que le début d’un mouvement transatlantique de lutte contre l’autoritarisme. »

PERSONNE NE PEUT PLUS RESTER SUR LA TOUCHE

Enfin, ils doivent s’organiser en collaboration avec les travailleurs en dehors de l’université ; construire leurs syndicats en établissant des liens avec d’autres personnes qui se battent pour construire des infrastructures locales afin de résister à l’autoritarisme. Aux États-Unis, cela signifie s’organiser avec les communautés d’immigrés, par exemple, mais surtout avec d’autres syndicats dans les secteurs non universitaires. La sécurité d’emploi des universitaires est leur sécurité d’emploi ; et vice versa. Leur droit à la parole est le droit à la parole des universitaires, et vice versa.

C’est la seule façon d’être plus forts face à l’autoritarisme du gouvernement Trump. Il faudra faire des efforts, créer des communautés intentionnelles, s’organiser et travailler tous les jours pour construire un monde fondé sur les liens humains et l’autonomisation. C’est le monde que les gouvernements autoritaires craignent le plus, car c’est le seul capable de les arrêter.

 

Cet article est tiré du n°440 de notre revue la Vie de la Recherche Scientifique (VRS). Retrouvez l’ensemble des numéro dans notre rubrique VRS.



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