Le déni de science en biodiversité
La science est attaquée partout, y compris en France. Florilège d’attaques contre celle-ci quand elle se mêle de donner des avis éclairés pour la pêche, la chasse, l’agriculture, la transition écologique…
Philippe Grandcolas
Directeur de recherche au CNRS Écologue
Le comportement du président des États-Unis et de son gouvernement sont effrayants. Destruction des agences fédérales et des budgets fédéraux consacrés à la connaissance, censure éhontée sur les sujets de recherche, etc. Tout ce qui se passe de l’autre côté de l’Atlantique nous semble délirant et il peut être facile de s’en émouvoir, tant nous voyons tout cela de loin, comme s’il ne s’agissait que d’un mauvais film hollywoodien. Même si ces destructions vont évidemment avoir des effets globaux ou inspirer ailleurs de très mauvais comportements, notre émotion nous vient à bon compte. Nous considérons un autre pays, vaste et coutumier de nombreux excès, un dirigeant dont les grotesques outrances sont bien connues et récurrentes. Rien de bien surprenant en somme, même si l’on pouvait espérer moins de destructions, malgré les résultats des élections américaines.
En somme, il est tellement facile de s’indigner, de plaindre nos collègues nord-américains et les citoyens de ce pays victimes d’une politique rétrograde dont les effets délétères vont se faire jour très rapidement. Mais n’avons-nous pas une indignation à géométrie variable, en matière de déni de science et de destruction institutionnelle ? D’autres pays ont été victimes d’outrances semblables, comme en ce moment l’Argentine dont on parle beaucoup trop peu en matière de destruction de science.
QUAND LA CRISE DE LA BIODIVERSITÉ EST NIÉE
Et surtout, des comportements politiques très semblables à ceux de Donald Trump sont déjà bien visibles dans notre propre pays. Des journaux nient la crise de la biodiversité, en interrogeant un activiste d’extrême droite. Tactique classique, on se rassure en regardant ce qui va bien et on oublie ce qui ne va pas bien du tout : on clame ainsi que la pêche des ports français est de plus en plus durable, alors que 48 % des tonnages débarqués sont en surpêche… On regarde l’espèce qui va bien et on oublie la masse de celles qui ne vont pas du tout. Le même journal, épinglé par Wikipédia pour ce type d’outrances, attaque personnellement les contributeurs de l’encyclopédie collaborative ouverte, les accusant de dérive gauchiste et wokiste…
Bien plus énorme, une présidente de région et un (ex-)ministre de la fonction publique se félicitent de la nomination d’Elon Musk… Quoi de plus normal que de féliciter un homologue… chargé de détruire une administration travaillant au service des citoyens ?!
Un florilège des énormités populistes se doit bien évidemment mentionner les nombreuses attaques directes venant d’élus du parti LR et, en particulier, d’un ex-président de région, par voie de presse ou par courrier aux agriculteurs, contre l’Office français de la Biodiversité (OFB), attaques basées sur des erreurs factuelles avec leurs innombrables conséquences dramatiques. Ces attaques sont ouvertement séditieuses, sachant que parmi les nombreuses et importantes missions de l’OFB, plusieurs sont menées sous l’autorité et à la demande du procureur de la République. Ces attaques sont tellement scandaleuses que la préfète de région elle-même s’en émeut et adresse un courrier contradictoire aux agriculteurs… Le Premier ministre lui-même fait l’erreur (?) de relayer publiquement ces attaques dans son discours de politique générale… puis assure, par courrier, les personnels OFB de son soutien.
Le président du Sénat lui-même (le deuxième personnage de l’État) et la présidente de la région Ile-de-France attaquent l’ADEME (Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie) au motif de son budget qui serait trop important, en oubliant (?) que l’Agence est opératrice pour distribuer les subventions de l’État pour la transition des entreprises et que ce n’est pas son propre budget de fonctionnement…
Toujours dans la même veine populiste et rappelant furieusement le comportement d’un certain Donald Trump lançant des fake news à tort et à travers, le maire de Cannes accuse à tort Météo-France de ne pas avoir lancé l’alerte quand sa ville aux substrats trop artificialisés est inondée suite à de très fortes pluies. S’ensuit d’ailleurs une polémique avec la ministre de la transition écologique qui rappelle que les causes du ruissellement (de l’eau !) sont bien connues. Mais me trompé-je ou bien la loi ZAN (zéro artificialisation nette) n’est-elle pas en train d’être encore assouplie ?!
Rappelant également l’arrêt immédiat des aides internationales par les États-Unis (qui vont causer des milliers de morts dans le monde), on pourra évoquer un très joli parallèle avec les critiques à l’Agence française de développement (AFD) d’une députée RN, aimablement relayées par le Journal du dimanche (JDD). Critiques qui confondent le budget propre de l’AFD et les prêts consentis à des partenaires (qui les ont remboursés !) dans le cadre de projets collaboratifs.
À titre personnel, je me rappelle aussi avec délices les propos de déni d’un élu en campagne pour des élections européennes (philosophe de formation) plaignant des pêcheurs pourtant dédommagés pour leur arrêt momentané d’activité et prétendant qu’aucun bénéfice n’avait été constaté pour les dauphins du Golfe de Gascogne… au mépris des chiffres académiques positifs et relayés par de nombreux organes de presse.
UNE LOI D’ORIENTATION AGRICOLE SANS AGROÉCOLOGIE
Enfin, en France, à propos de censure et des mots interdits dans les pratiques gouvernementales, on a pu observer récemment que le mot agroécologie a été supprimé de la loi d’orientation agricole après les lectures parlementaires. En France, comme le dit le célèbre adage, si nous n’avons pas de pétrole, nous avons des idées ! Nous n’avons même pas besoin d’un président populiste d’extrême droite pour censurer un des mots les plus importants du changement transformateur de nos textes de lois, nos parlementaires suffisent ; l’agroécologie transformatrice amenant co-bénéfices immédiats entre santé humaine, état de l’environnement, et activité économique agricole ne doit pas être citée. Trop révolutionnaire et trop woke !
Cette énumération de fake news lancées avec l’appui volontaire ou involontaire d’organes de presse relève bien du déni de science. Bien sûr, on ne contredit pas souvent un chercheur dans sa publication scientifique ou dans son travail au labo… tant que cela n’est pas directement lié au fonctionnement de la société ! Quand la science se mêle de donner des avis éclairés pour la pêche, la chasse, l’agriculture, la transition écologique etc., tout change et tous les coups deviennent permis. On observe alors la mécanique du déni – celle de Donald Trump, de Javier Milei, etc. – se mettre en branle, avec l’inévitable synergie entre les conflits d’intérêt et les représentations culturelles erronées. Conflit d’intérêt d’un lobby agrochimique ou pétrolier qui retarde d’inévitables transformations sociétales, mais aussi conflit d’intérêt d’un élu ou d’un candidat dont les électeurs sont d’emblée très sensibles à certaines fake news et qui aura donc intérêt à désigner des boucs émissaires ou à émettre des avis caricaturaux ou erronés afin d’engranger des succès électoraux.
Le populisme, c’est tellement facile ! Nos représentations culturelles sont tellement fautives en matière d’environnement qu’il suffit de dire quelques grosses bêtises pour gagner à tous les coups. L’environnement, la biodiversité, ces biens communs dont les fonctionnements complexes ne sont pas enseignés et restent mal compris, sont des cibles toutes désignées. En somme, encourager l’exploitation non durable, mépriser la gestion des biens communs, ignorer les externalités de nos comportements, c’est toujours gagnant. Qu’importe telle surpêche, telle pollution par pesticides, l’effondrement d’une ressource halieutique ou la toxicité chronique d’un pesticide sont des conséquences bien lointaines et peu visibles à chacun d’entre nous dans l’immédiat. Lorsque cela finit par arriver, on en parle un peu puis on oublie et on passe à autre chose, histoire de se rapprocher un peu plus des limites planétaires.
Les outrances de Donald Trump avec leurs innombrables conséquences dramatiques et la résistance opposée par des instances ou des citoyens aux États-Unis auront peut-être au moins cela de bon : elles nous feront peut-être réfléchir sur nos propres errements nationaux ou européens et sur les dangers de destruction sociétale qui nous guettent. La connaissance est un bien commun qui permet la prise de décisions éclairées. Le déni de science est donc un déni de bien commun et un déni de démocratie et de liberté de choix.
#Standupforscience !
Cet article est tiré du n°440 de notre revue la Vie de la Recherche Scientifique (VRS). Retrouvez l’ensemble des numéro dans notre rubrique VRS.