Hcéres : derrière le scandale, une nécessaire remise à plat
Les évaluations récentes des formations de premier et second cycles de la vague E de l’Hcéres ont délivré un taux très anormalement élevé d’avis défavorables, parfois pour plus de la moitié des formations d’un établissement. Cette attaque massive contre les formations de l’université publique a suscité une profonde colère chez les enseignants-chercheurs des universités concernées : leur mobilisation a conduit à ce que l’Hcéres retire ces avis défavorables. C’est une première victoire. Mais de profondes inquiétudes demeurent, et menacent les vagues suivantes.
Stéphane Bonnery
Professeur des universités en Sciences de l’éducation, Université Paris 8
Les résultats des évaluations des diplômes de licences et master de la vague E communiqués en février 2025 par le Haut Conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement (Hcéres) ont montré une proportion anormalement importante d’avis défavorables ou réservés (parfois près de la moitié des diplômes évalués). Ces résultats concernent des universités des régions Hauts de France, Île-de-France hors Paris, de la Réunion et de Mayotte.
PROCÉDURES MALTRAITANTES ET OPAQUES
Un premier scandale relève de l’évidente manipulation des rapports d’évaluation. L’analyse des rapports, dont le SNESUP-FSU a recueilli un grand nombre, montre une déconnexion flagrante entre l’argumentaire et la conclusion. Et il est utile de bien distinguer les deux.
Les collègues qui ont participé à ces évaluations ont, pour leur part, rédigé l’argumentaire qui est en général assez équilibré, prenant en compte les conditions de travail, la réflexion argumentée des équipes pédagogiques. Il ne s’agit pas de les mettre à l’index pour avoir participé à une instance d’évaluation des formations. Rappelons que le SNESUP-FSU revendique un cadre national des diplômes dont la mise en œuvre doit être garantie par une évaluation paritaire : il faut donc bien y participer.
Mais, à la différence des comités de visite d’unités de recherche, qui recrutent au sein des disciplines, des collègues qui connaissent le type de formation concernée, une certaine opacité règne sur les procédures de nomination des experts des formations de licence et master. Est-ce la présidence qui les recrute, elle-même nommée par le président de la République ? Ce serait assez contradictoire avec le principe d’une agence indépendante. Il est nécessaire de lever l’opacité sur les procédures de nomination des experts, dans le cadre d’une instance paritaire.
L’adoption, en 1999, de la déclaration de Bologne par les ministres en charge de l’enseignement supérieur de vingt-neuf pays du continent européen est à l’origine de la convergence des systèmes d’enseignement supérieur au sein de l’Europe. Les gouvernements s’engagent notamment à coopérer en matière de garantie de qualité des formations et des diplômes. C’est ainsi qu’en 2000, l’ENQA, « the European Network for Quality Assurance in Higher Education », est créée pour promouvoir le développement des procédures d’assurance qualité dans l’enseignement supérieur. En 2014, cette mission d’assurance qualité est remplie en France par le Haut Conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur (Hcéres) qui succède à l’Agence d’évaluation de la recherche de l’enseignement supérieur (AERES) en tant qu’agence d’évaluation indépendante. Comme pour l’agence précédente, le gouvernement décide que ce haut conseil sera composé de membres nommés et recrutés et non de membres élus par la communauté, comme c’est majoritairement le cas pour le CNU et le CoNRS qui évaluent les agents ou, pour le Conseil national de l’enseignement supérieur et de la recherche (CNESER), qui donne des avis sur l’accréditation de l’offre de formation des établissements. Le Hcéres évalue l’offre de formation des établissements tous les cinq ans au cours de cinq vagues successives.
Cette année, il a été constaté que des formations ont été évaluées par des universitaires qui ne connaissent strictement rien à la discipline concernée, en particulier dans les disciplines relevant des lettres, langues, sciences humaines et des sociétés (LSHS) et arts. Derrière ce constat, se révèle que le but réel de l’Hcéres n’est pas tant de vérifier la qualité de la formation intellectuelle que d’imposer des normes de formatage de futurs travailleurs aptes à répondre aux intérêts des seuls employeurs privés ; nous y reviendrons plus loin. Mais, malgré ces logiques imposées par la hiérarchie de l’Hcéres, les experts ont le plus souvent été sérieux, en lisant vraiment les dossiers et en pensant le pour et le contre.
Le scandale le plus flagrant tient à ce que ces argumentaires n’ont pas servi à formuler la conclusion. En principe, celle-ci peut être retouchée « dans un but d’harmonisation » : mais à partir de quel critère ? Décidé dans quelle instance collégiale ? Et cette année, les conclusions, qu’elles aient été modifiées ou ajoutées, ne sont pas celles des membres des comités de visite. Ces derniers ont même, après la révélation du scandale, reçu un courrier électronique intimidant, les enjoignant au silence, ce qui ne peut qu’amplifier le doute sur la sincérité des conclusions des évaluations. Car « harmonisation » il y a bien eu, pour imposer des critères qui n’étaient pas présents au début du quinquennal ; sans même parler de leur ineptie, et de leur nocivité pour l’enseignement supérieur public, il faut mesurer la violence que représente leur imposition en cours de contrat, les équipes pédagogiques étant censées deviner quels nouveaux critères d’évaluation intégrer : la seule façon de le faire serait-il d’écouter les déclarations ministérielles ? Où est l’indépendance de l’Hcéres si son équipe présidentielle prend ces déclarations comme référence ?
DES AVIS DONNÉS SUR LA BASE DE QUELQUES CASES D’UN TABLEUR DÉMESURÉ
Les conclusions de l’Hcéres se basent sur un tout petit nombre de cases de l’immense tableur que les équipes ont peiné à remplir pendant des mois. Cet immense tableur, aux cases minuscules, ne rentre pas sur neuf écrans juxtaposés trois par trois, imposant des conditions de travail que beaucoup de collègues jugent relever de la maltraitance au travail. Or, l’avis final est basé sur quelques cases seulement de ce tableur, ne tenant pas compte des autres cases, ni de la quarantaine de pages du texte argumenté. Plusieurs collègues ont été profondément atteints par ce mépris et ont déposé un signalement « Santé et sécurité au travail », mettant en cause le ministère de tutelle.
Si c’est pour ne tenir compte que du contenu de quelques cases, pourquoi donc accabler les équipes de tâches chronophages, avec des indicateurs malhonnêtes demandant, par exemple, d’argumenter comment l’équipe pense améliorer son taux de titulaires en premier cycle ? Vu que les contraintes budgétaires de la loi relative aux libertés et responsabilités des universités (LRU, dite loi Pécresse), qui a contraint les universités à devenir indépendantes financièrement, fixent des plafonds en emplois et en masse salariale qui empêchent de recruter des titulaires, la seule réponse (que l’Hcéres n’assume pas de formuler) est de réduire considérablement les effectifs étudiants pour ne plus avoir à recruter d’enseignants, qu’ils soient contractuels ou titulaires. On commence alors à comprendre que l’Hcéres opère un dévoiement de ses missions : il n’est pas une agence d’évaluation mais une agence de pilotage destinée à imposer une réforme de régression de l’enseignement supérieur public.
Dans une institution repensée, pour évaluer le respect du cadre national des diplômes, les conclusions ne doivent plus être imposées d’en haut, mais décidées par des organismes paritaires. Et la présidence ne doit plus être désignée par le président de la République, ce qui évitera qu’elle se sente en mission politicienne.
LES LOGIQUES DERRIÈRE LES ÉVALUATIONS
Les universités de la vague E sont celles des régions d’Île-de-France hors Paris, des Hauts-de-France, de Mayotte et de la Réunion. Ce sont des établissements qui accueillent la massification universitaire, c’est-à-dire les jeunes dont les parents n’ont pas pu faire des études supérieures ou dont les scolarités antérieures se sont déroulées dans les écoles des zones d’habitat populaire.
Le reproche des « taux de réussite » veut en réalité imposer une fermeture sociale des parcours des enfants des familles populaires. Et les déclarations de la nouvelle présidente de l’Hcéres, Coralie Chevalier, qui se veulent rassurantes, sont en fait inquiétantes : certes, elle reconnaît que l’application aveugle des mêmes critères d’évaluation à l’ensemble des établissements pénalise les étudiants issus de la massification universitaire ; mais elle répond en envisageant la mise en œuvre de critères différents. C’est exactement ce qui a conduit, pour le collège, à la catastrophe dans l’évolution des zones d’éducation prioritaire : il n’est pas mis davantage de moyens dans les quartiers populaires pour viser les mêmes objectifs partout. Ce sont d’autres objectifs qui sont visés, au rabais.
C’est précisément pour cela qu’il faut continuer à exiger un cadre national des diplômes, mais avec des moyens d’encadrement différents selon les conditions des établissements. Car, ce dont les étudiants d’origine populaire ont besoin, c’est de rattraper le retard imposé par les politiques précédentes dans le primaire et le secondaire, qui les ont privés de deux ans de scolarité (effet cumulé des réductions d’heures par les anciens ministres en charge de l’éducation, Xavier Darcos en primaire, Najat Vallaud-Belkacem au collège et Jean-Michel Blanquer au lycée). Ils ont besoin de faire davantage d’exercices, de corrections formatives, etc.
Or, c’est l’inverse que veulent imposer les « nouveaux » indicateurs de l’Hcéres, contradictoires avec une formation de qualité, avec notamment la validation de compétences : les formations passent de l’acquisition de contenus de savoirs qui permettent la réflexion à la focalisation sur la seule efficacité dans des situations données, donc sur l’objectif du rendement sur un poste de travail. La finalité est économique : évaluer en termes de compétences annule la reconnaissance commune du diplôme, qui, découpé en petites unités différentes selon les étudiants, ne constitue pas une garantie face à l’employeur et permet une négociation de gré à gré, tirant le salaire vers le bas.
L’indicateur de « l’insertion professionnelle » ne prend pas en compte le fait de candidater dans la fonction publique… ce que l’on retrouve dans l’évaluation des écoles doctorales : cet item est fait pour imposer que les formations se soumettent aux intérêts du patronat et des actionnaires du privé (ce n’est manifestement pas l’intérêt des travailleurs du privé qui est pris en compte par ces indicateurs car, alors, on renoncerait aux compétences pour garder de vrais diplômes). Et de toute évidence, l’idée est aussi d’imposer que la fonction publique n’est pas un débouché. Pour la recherche française, c’est suicidaire : le découplage progressif des contenus de formation en premier et second cycle d’avec les exigences à poursuivre en doctorat et l’imposition des compétences va affaiblir le niveau des étudiants. C’est le vivier de futurs chercheurs qui va ainsi être affaibli.
Curieusement, des instituts privés, gérés par des sectes intégristes, comme l’Institut Saint Pie X, dont le recteur a tenu des propos anti-républicains, ne semblent pas être inquiétés par les évaluations de l’Hcéres ; pas plus que nombre de nouveaux établissements privés aux frais d’inscription exorbitants. Si des indicateurs leur sont favorables, il est évident qu’ils ne satisfont pas à tous : pourquoi leurs évaluations ne sont-elles pas publiées sur le site de l’Hcéres ? Pourquoi une telle opacité ?
Quid de l’indicateur de « mobilité internationale » des étudiants ? Rappelons que les universités de la vague E sont implantées dans des territoires peu favorisés. Les jeunes qui y sont inscrits ont-ils les moyens de se payer des mobilités, de laisser leurs appartements inoccupés avec des loyers qui courent ou de quitter un emploi qui leur permet d’étudier, voire d’être soutien de famille ? Un tel indicateur cynique ne révèle-t-il une « chasse aux pauvres » ?
REPENSER L’INSTITUTION
Il faut aujourd’hui remédier aux procédures maltraitantes et opaques ainsi qu’aux conclusions d’évaluations entachées de biais et au manque de respect envers les experts et les équipes des formations évaluées.
Dans l’urgence, plusieurs mesures semblent salutaires :
- une enquête administrative doit faire toute la lumière sur ce qui s’est passé et qui discrédite une institution Hcéres qui n’évalue plus sur des critères officialisés en début de contrat quinquennal, mais qui prescrit des critères qui ne sont discutés dans aucune instance paritaire et punit de façon autoritariste ceux qui ne les intègrent pas d’eux-mêmes avant qu’ils ne soient officiels ;
- une concertation doit rapidement se mettre en place pour créer des modalités paritaires pour la désignation des experts et pour l’adoption des critères d’évaluation ;
- une enquête doit établir comment des établissements privés semblent curieusement « bien évalués » par l’Hcéres alors que la qualité de ces formations est effrayante.
Ces mesures sont indispensables pour rassurer les équipes pédagogiques de la vague A, afin de lever le climat de défiance. Plus largement, il s’agit d’autant de points nécessaires pour redéfinir l’instance dont la mission devrait d’abord être celle de leur futur en tant que travailleurs dotés de capacités d’analyse et de réflexion critique.
Cet article est tiré du n°440 de notre revue la Vie de la Recherche Scientifique (VRS). Retrouvez l’ensemble des numéro dans notre rubrique VRS.