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« Évaluer » à l’aveuglette : la nouvelle méthode du HCÉRES ?

mmSNCS-FSU15 septembre 2021
SNCS-Hebdo sur le projet d'abandon de la visite systématique des laboratoires pour leur évaluation.

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Après maintes péripéties, le Haut conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur (HCÉRES) a touché, en octobre dernier, un nouveau président. Il était temps ! Le poste, de façon pourtant très prévisible (le précédent président ayant simplement été atteint par la limite d’âge), était vacant depuis un an.

Ce délaissement donne une idée de l’importance que les princes qui nous gouvernent accordent à l’enseignement supérieur et à la recherche. En l’occurrence, le délai a été encore aggravé par l’entêtement mis par l’autorité de tutelle à nommer à ce poste- clé, malgré l’avis arithmétiquement défavorable des commissions parlementaires, le propre conseiller du président de la République, Thierry Coulhon. Cela pour présider une « autorité indépendante », naturellement !

On a craint un instant – il l’avait évoqué – que M. Coulhon ne rétablisse la notation des unités, chère à feu l’AÉRES. Ce n’était sans doute qu’une diversion. Bien réelle et carrément stupéfiante apparaît aujourd’hui, en revanche, la réforme que le président Coulhon vient de faire avaliser par son « collège » ; elle consiste à abandonner, pour l’« évaluation » des unités, le principe d’une visite sur place. Au fou !


Le coup, il est vrai, pourrait apparaître comme préparé de longue date (ce serait, en somme, un coup long). Nous avions bataillé, lors du Comité technique ministériel du 26 juin 2014, pour que ne disparaisse pas du décret mettant en place le HCÉRES l’obligation de visite sur place des unités de recherche à évaluer. L’administration, après avoir d’abord prétendu que le décret ne pouvait pas imposer au HCÉRES des choses que la loi n’imposait pas (mais pourquoi, alors, écrire des décrets … ?) s’était ensuite rabattue, après qu’on lui eut fait remarquer que telle était pourtant l’obligation faite précédemment, et dans les mêmes dispositions législatives, à l’AÉRES, sur l’argument que le HCÉRES devait être « encore plus indépendant que l’AÉRES » et que, donc, son conseil (devenu en 2017 son collège) jugerait. Même l’UNSA, lors de cette mémorable séance, s’était étonnée que l’indépendance consistât finalement, du point de vue du gouvernement, à laisser l’évaluation se faire n’importe comment …

Le risque, heureusement (mais de façon transitoire), est ensuite demeuré latent pendant sept ans. Raisonnablement, le prédécesseur de M. Coulhon à la tête du HCÉRES, Michel Cosnard, ne semble jamais avoir conçu que l’évaluation des unités de recherche pût être effectuée sans visite sur place. En témoigne par exemple la façon dont il en parlait lors de l’audition préalable à sa nomination, au Sénat, le 7 octobre 2015 : « Un comité de visite doit être accepté par les évalués … ». Comité d’évaluation et comité de visite c’était donc, dans l’esprit des acteurs de l’époque, tout un et peu importait alors qu’il n’y eût plus de garde-fou.

Hélas, lorsqu’on supprime les garde-fous, ce n’est qu’une question de temps : il finit toujours par se présenter un fou ! Selon ses déclarations même à TheMetaNews, en mars dernier, M. Coulhon pense du HCÉRES que « [son] rôle est de fournir aux tutelles des éléments d’appréciation utiles ». Et apparemment c’est tout ! L’évaluation n’aurait donc vocation de servir qu’à ceux qui sont du côté du manche ? L’implication et l’information des acteurs de terrain dans l’exécution de la mission de recherche ne seraient donc qu’éléments négligeables ? M. Coulhon n’a compris qu’une fraction de l’histoire. Essentiellement l’évaluation, pour contribuer à la fécondité de la recherche scientifique, doit d’abord parler aux chercheurs.

Incroyable, sans doute, par celles et ceux qui ne conçoivent l’administration de la recherche que comme l’exercice d’un pouvoir vertical, descendant et autoritaire : l’évaluation – la vraie, celle où l’on rencontre ses évaluateurs – est un événement attendu par les chercheurs, ingénieurs et techniciens de la recherche. C’est un temps important de la vie des laboratoires, qui ne doit pas être saboté. La présentation périodique in situ, à un comité d’évaluateurs, non seulement des résultats de la recherche mais aussi de ses objets, de ses outils et de toutes les conditions matérielles et humaines de ses progrès est à la fois un moteur et l’occasion de semer, via des échanges qui ne peuvent avoir lieu ni ailleurs ni à un autre moment, les germes de recherches et de découvertes nouvelles. Certains chercheurs isolés – assurément des exceptions – se contenteront peut-être de télé- rencontres (si on ose cet oxymore). Mais ce serait une erreur de vouloir décider, sur la base de ces cas particuliers, une dématérialisation – qui plus est définitive – de ce qui doit demeurer l’évaluation de collectifs de travail. Dans son discours à la remise de la médaille d’or du CNRS 2020, différée jusqu’ici pour cause de CoviD-19, le président du CNRS Antoine Petit saluait fort justement, mardi dernier, les vertus du « présentiel » comme condition de la vie scientifique retrouvée.

On invoque, bien sûr, la nécessité d’économies budgétaires. L’argument paraît bien dérisoire. Des 30G€ annuellement attribués à la mission interministérielle « recherche et enseignement supérieur » (MIRES), on peut bien consacrer le demi- millième à évaluer comment sont exécutées les missions correspondantes … Au CNRS, au temps (d’avant l’AÉRES) où l’établissement finançait lui-même la visite, par les comités d’évaluation, de ses unités, personne n’a jamais considéré que les quelques dépenses entraînées par ces visites fussent un mauvais investissement.

La question peut donc être posée aujourd’hui : le HCÉRES veut-il encore vraiment faire de l’évaluation ? Ou n’est-il plus préoccupé que de servir des prétextes de « serrage de vis » à une technocratie déconnectée ? Le virage brutal que vient d’imprimer au HCÉRES son président fait bien craindre le pire. L’évaluation de la recherche, à condition qu’elle soit menée selon les règles acceptées par la communauté scientifique, est une chance ! Son concept ne doit pas être dévoyé par un HCÉRES dont l’existence même est aujourd’hui, du fait des choix suicidaires de son président et de son « collège », remise en question.



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