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Thème 3 – Sciences et Sociétés – texte approuvé

mmSNCS-FSU22 décembre 2020
Sciences et sociétés : des rapports complexes et ambivalents en évolution constante. Analyse pour comprendre et préciser notre positionnement syndical. Texte approuvé au 47e Congrès du SNCS-FSU le 11 décembre 2020

Sciences et sociétés : des rapports complexes et ambivalents en évolution constante. Analyse pour comprendre et préciser notre positionnement syndical

Texte approuvé au 47e Congrès du SNCS-FSU le 11 décembre 2020 par 61 voix pour, 3 abstentions, 1 refus de vote.

Texte au format PDF

Ont contribué à la rédaction : Florence Audier, Dorothée Berthomieu, Christophe Blondel, Philippe Borsa, Cécile Coirault, Christine Eisenbeis, Bernard Fontaine, Patricia Gibert, Rémi Grodzki, Yael Grosjean, Claire Lemercier, Claude Mirodatos, Philippe Mussi,  Chantal Pacteau, Etienne Petit, Benoît Rousseau, José-Miguel Sanchez Perez, François Tronche, Gilles Verpraet, Bernard Veyssiere

Lors du 46e Congrès, la contribution sur ce thème s’intitulait : « Sciences et société : des rapports ambivalents, à clarifier d’urgence ». Ce thème nous semble devoir à ce jour être étendu à diverses interfaces entre des composantes multiples en forte interaction.

Interface sciences-société. Interactions croissantes entre les sciences relevant du domaine public (fondamentales et/ou orientées vers l’innovation) et de nombreuses composantes issues de la société civile, illustrées récemment par la création en France de multiples « comités citoyens » soutenus ou pas par des associations revendiquant une représentativité des citoyens.

Interface sciences-entreprise et industrie. Mode d’interaction très évolutif qui concerne les liens nombreux et complexes entre la recherche publique et le secteur aval des petites structures aux grands groupes industriels et leurs propres secteurs de recherche, et toutes les interactions avec les entreprises qui impliquent aussi de fortes incidences sociales. Ces interactions non seulement conditionnent l’essence de nos pratiques de recherche mais aussi l’avenir des jeunes scientifiques/chercheurs en formation dans le secteur public et appelés à évoluer vers le secteur privé, du fait de la raréfaction de l’emploi public stable (cf. LPR). Le positionnement syndical sur ces structures et leur évolution reste la priorité de cette analyse, à réactualiser selon et ces évolutions présentes, rapides et souvent contradictoires.

Interfaces et interactions entre la recherche publique et le pouvoir politique. Analyse requise des dérives récentes liées aux interférences directes et abusives du pouvoir politique sur l’orientation des recherches, notamment dans certaines disciplines comme les SHS.

Pour clarifier ces interactions nombreuses, enchevêtrées et très évolutives, cette contribution se structure autour d’un relevé schématique des principales interfaces entre les différents corps scientifiques, sociaux et industriels, interfaces détaillées et discutées avec le (ou les) point(s) de vue syndical (syndicaux) comme ligne directrice.

1.  Interfaces et interactions entre « sciences et société »

1.1 Schéma d’analyse proposé lors du Congrès 2017

Recherche publique fondamentale et appliquée ó Demande sociale encore marginale et dispersée, à partir de laquelle des associations comme « Sciences citoyennes[1] » ou ALLISS[2] développent leurs propres ambitions pour un « tiers secteur » de « co-recherches », y compris de participer à une réorientation d’une partie de la recherche publique, dans les secteurs investis par ces sciences participatives[3].
Action syndicale : analyse des demandes, réponses aux sollicitations et points de vue de ces associations[4].

1.2 Situation très évolutive en 2020

Combinaison de facteurs nouveaux ou aggravés : crise sanitaire + urgences climatiques + développement accéléré d’outils de transferts de la science des laboratoires vers la société + contraintes croissantes générées par les pouvoirs politiques et administratifs.

Principales conséquences :

– Montée en puissance de nombreux et souvent nouveaux intermédiaires entre la recherche publique et le grand public: soit des professionnels des média (trop peu de journalistes scientifiques et beaucoup de toutologues, spécialistes omniscients des télévisions d’information en continu et des internets…), soit des scientifiques eux-mêmes, promus (ou auto promus) au titre de porte-parole de leur secteur, et autres « influenceurs rationalistes »[5], animant des controverses pouvant fasciner le grand public, provoquer doute voire rejet de la parole scientifique. Ainsi, la création d’une « Maison de la science et des médias » figure dans le projet de la LPR présenté le 21 septembre à l’Assemblée nationale à l’image des « Science media centers » anglo-saxons, pourraient créer une nouvelle interface obligée, avec le bénéfice d’une accréditation reconnue, un contact structuré entre journalistes et scientifiques mais aussi avec les risques de déviances au profit d’intérêts financiers[6].

– Suspicion du grand public vis à vis de la « vérité scientifique » ou son expertise, malgré et en contradiction avec l’omni-présence de scientifiques sur les réseaux médiatiques, selon les domaines d’actualité (médical, social, écologique en cette période)[7]. Voir aussi nombre d’analyses fines et documentées sur les incompréhensions, voire les contre-sens du grand public vis-à-vis des méthodes scientifiques, des confusions entre « sciences » et « recherches » ou la corruption du dialogue avec les scientifiques par le truchement de « fake news » et autres dérapages des réseaux sociaux[8]. Cf l’analyse détaillée et éclairante de ces processus lors de la récente Université d’automne organisée par la Ligue des Droits de l’Homme[9].

– Nouveaux AAP de l’ANR et autres officines omnipotentes du financement de la recherche, centrés sur les secteurs les plus médiatisés, donc susceptibles d’un fort impact sur l’orientation des laboratoires concernés (voir plus en détail ci-après).

1.3 Interface entre science produite et science publiée : vers des « sciences ouvertes » bien maitrisées

Publier ou périr. Ce thème majeur de la liberté de publier dans les revues de son choix, à un rythme choisi et adapté à son domaine scientifique subit la tyrannie des indices prétendument capables d’évaluer l’impact et la notoriété des publications de tout scientifique comme le sinistre « facteur h ». A rapprocher des courses à l’échalote des universités et centres de recherche pour se hisser dans les classements mondiaux des « meilleures institutions », encouragés par les PDG de nos institutions. A noter a contrario la très positive pratique et incitation à mettre en ligne des recherches en cours, comme « working papers », précédant l’aval des pairs et éditeurs pour une version finale.

Ces sciences ouvertes devraient s’opposer au développement dans la plupart des secteurs de la recherche scientifique publique d’une compétition mondiale, suscitée par les gestionnaires de la recherche, relayées par le monde politique en mal de preuve de son efficacité et dramatisée par le monde de l’entreprise en mal de profits et dominations en tous genres (voir chap 2). Ainsi la course folle au vaccin anti covid 19, avec cette très récente « diplomatie sanitaire politico-scientifique » qui concerne les bénéfices financiers et sociaux qui reviendront aux premiers industriels producteurs de vaccin et à leur(s) pays de rattachement. A noter cependant le très vif débat politique et citoyen en cours quant à la levée possible des brevets pour ne pas pénaliser les pays les moins dotés en potentiel de vaccination de masse (cf propositions du récent G20).

A souligner comme aspect positif l’initiative récente de la commission européenne de développer une plateforme de publications gratuites, avec évaluation par les pairs, rapide et en accès libre pour les bénéficiaires des programmes Horizon 2020 and Horizon Europe « . A suivre pour sa mise en pratique!

Edition scientifique : La dramatisation de l’interface recherche publique / grand public, qui tend à accélérer le temps long requis pour toute recherche de fond, relève aussi du business très juteux que représente l’édition scientifique. Ainsi les conflits ouverts entre grands éditeurs scientifiques, usagers et lieux publics d’accès à la littérature scientifique[10]. Ces domaines de l’édition permettent des marges considérables (Elsevier: 28% de marge net!) et fonctionnent par oligopoles, alors que les payeurs sont principalement les États, de manière directe ou indirecte. Ainsi, « jackpot » pour les éditeurs qui ne fournissent pratiquement pas de services (les chercheur.ses les assurent eux-mêmes), et captent la valeur créée par la recherche (ex: interdiction de réutiliser une image de recherche que l’on a créée et déjà publiée dans telle revue).

Comment alors restaurer cette relation dégradée des personnels de la recherche publique avec les corps sociaux à l’écoute de la parole scientifique ?

– Comme mentionné précédemment, par la voie privilégiée de la demande institutionnelle pour accélérer la réalité de la « science ouverte ». Ainsi cet objectif 2030 : 100% des publications scientifiques issues de la recherche publique française accessibles à tous (49% en 2019 soit environ 75000 publications).

– D’autres pistes comme la constitution de « bases de données » issues des recherches académiques et mises à disposition de la société civile, incluant les organisations qui se développent à l’interface sciences-société (cf. chap. précédent). A noter toutefois que certaines de ces bases de données pourraient constituer une poule aux œufs d’or pour des entreprises prédatrices, qui en sont avides, pour conduire leurs politiques d’expansion hors de toute déontologie…

– Les interfaces recherche publique / recherches participatives / recherches co-construites mérite clarification et débat. A noter tout d’abord que certaines des organisations dites de sciences citoyennes revendiquent un droit de regard exorbitant sur certaines orientations de la recherche publique, voire un financement spécifique via l’ANR dont elles seraient des acteurs privilégiés.2 Ces nouvelles orientations qui peuvent remettre en cause la liberté de choix de sujets de recherche pour tous les personnels de la recherche publique, sont aujourd’hui co-soutenues par nos gouvernants (via la LPR). Ainsi, lors des récentes assises du « tiers secteur de la recherche » co-organisées par l’association ALLISS[11], tous les PDG ou assimilés des grandes organisations nationales de recherche (CNRS, INRIA, IRD, INSERM, CIRAD, CPUM, etc) ont insisté pour (re)vitaliser ce secteur en insufflant aux chercheurs « l’envie du tiers secteur », voire une incitation plus musclée à participer à ces nouveaux programmes de « co-construction » (carotte et bâton?). Incidemment, toutes et tous ces dirigeants se félicitent des avancées de la LPR, en particulier dans ce domaine des sciences participatives (avec l’engagement d’y consacrer 1% du budget ANR), tout en insistant sur la nécessité d’accroitre sensiblement ce niveau de financement des co-recherches.

1.4 Positionnement syndical ?

– Pour limiter l’omniprésence et l’extrême diversité des AAP (nationales ou internationales), revendiquer un accroissement substantiel des financements de base des labos. (cf. débat syndical en cours sur la demande de suppression ou pas de l’ANR). Actuellement, selon la nouvelle LPR, le budget global de l’ANR devrait être doublé. Le préciput passerait de 19 à 40%, distribué à hauteur de 10% pour l’établissement contractant, 15% pour l’établissement hébergeur, 5% pour le laboratoire et 10% pour le « site » – cette notion de site restant encore floue. Mais ce mode de financement via les ANR et les préciputs associés accroîtra nécessairement les inégalités déjà croissantes entre établissements et entre sites.

– Dialoguer avec la société en distinguant : les sciences participatives (les citoyens et citoyennes participent à un projet de recherche proposé par les scientifiques) et les sciences citoyennes (co-construction d’un projet avec les scientifiques) pour répondre à de réelles préoccupations de la société civile. Dans le cas de co-recherches, une grande vigilance s’impose cependant vis-à-vis de groupes de pression plus motivés par leur autojustification que par une réelle vocation scientifique4. Comme analysé précédemment, l’abondance et la diversité de ces recherches dites participatives est indéniable et en forte croissance. Les ignorer ou refuser tout contact serait une erreur à ne pas commettre car des courants de fond se mettent en place et notre analyse syndicale doit être pertinente et lucide sur ces évolutions programmées.

– Promouvoir la « science ouverte » c’est-à-dire le libre accès aux publications, données et infrastructures scientifiques, ainsi qu’aux logiciels libres, aux ressources éducatives et aux technologies ouvertes telles que les tests ou les vaccins, malgré la forte hétérogénéité selon les différents domaines scientifiques. Cette démarche soutenue syndicalement renforcera la confiance en la recherche publique et ses acteurs dans une période de procès d’intention et de dénigrement des orientations de recherche qui doivent être librement débattues et choisies dans les laboratoires.

– Un approfondissement de l’analyse du processus de dessaisissement des choix scientifiques doit être conduit en priorité en direction des jeunes camarades ou futurs syndiqués, dont l' »ADN » contient désormais un passage obligé par ces AAP.

Défendre les lanceurs d’alerte. Au cours des dernières décennies, des controverses majeures dans des domaines sensibles comme celui de la santé et de l’environnement ont bénéficié́ d’expertises de haut niveau provenant du monde de la recherche académique. Dans de nombreux cas, le rôle de lanceurs d’alerte a pu être contesté par diverses instances politiques, juridiques, voire par la société civile elle-même manipulée par des processus déjà évoqués de rumeurs ou contre-vérité. La vigilance et l’action syndicale quant à ces processus en pleine expansion sont une priorité majeure pour la période à venir.

Scruter et réagir sans délai aux remises en cause des « libertés académiques » constituent ainsi des priorités de l’action syndicale dans le contexte politique délétère induit par l’action gouvernementale autour de la LPR[12].

2.  Interfaces et interactions entre la recherche publique et le monde de l’entreprise et de l’industrie

Ces interfaces entre les sciences académiques et le secteur aval de l’entreprise et de l’industrie  concernent à des degrés divers :

  • la recherche publique, fondamentale et ouverte,
  • la recherche publique appliquée,
  • la recherche publique finalisée,
  • les recherches industrielles publiques et/ou privées, ciblées vers l’innovation, les recherches du monde de l’entreprise ou secteur tertiaire (assurances, finances, …), vers le développement technologique

La caractéristique essentielle de ces interfaces est leur caractère évolutif rapide et leur complexité, notamment fortement liée à la nature et au domaine des recherches concernées. Une catégorisation stricte des différents modes de recherche est donc souvent sans fondement.

A souligner également que cette analyse horizontale des recherches depuis le fondamental jusqu’à l’appliqué, ou l’innovation n’implique nullement un développement unidirectionnel mais au contraire montre dans la pratique que de constants aller-retours entre ces modes de recherches sont indispensables pour un progrès global des connaissances. Ainsi le cas précis de l’INRIA développé en annexe 1 illustre parfaitement cette complexité objective des interrelations entre ces diverses catégories de recherche.

2.1 Spécificités et concepts requis pour analyser ces interfaces

L’évaluation des rapports entre recherche dite fondamentale et recherche dite industrielle dépend fortement du positionnement de ces recherches sur l’échelle de la maturité technologique (définie par le TRL ou Technology Readiness Level). Ce type d’analyse peut être extrapolé au monde de l’entreprise, avec des spécificités qu’il conviendra de préciser. En fonction des quatre degrés énoncés précédemment, cette échelle peut se schématiser ainsi, avec de nombreuses variantes selon les domaines scientifiques :

  • La recherche publique, fondamentale et ouverte, TRL -∞ à 1 (> à 20 ans du marché)
  • La recherche publique, appliquée TRL 1-3 = du plus bas niveau de maturité technologique, la recherche scientifique commence à se traduire en recherche appliquée et développement jusqu’au début de la preuve de concept (de 20 ans à 10 ans du marché),
  • La recherche publique, finalisée=TRL 4-5 = démonstration d’un procédé à l’échelle laboratoire puis pilote (de 10 ans à 5 ans du marché),
  • Les recherches industrielles publiques et/ou privées : TRL 6-9 = on rentre dans une phase de développement technologique, du prototype avancé à la démonstration à l’échelle de la commercialisation (de 3-5 ans à moins de 6 mois du marché).

Chaque « niveau » de recherche impliquera donc des interfaces recherche publique/industrie-entreprise de structures et critères d’évaluation très divers

Ainsi pour les modes de financement (analyse schématique):

  • le premier niveau (TRL bas) : financements individuels de type ERC ou ANR pour un domaine novateur/exploratoire et à « haut risque »
  • les niveaux intermédiaires : programme des instituts Carnot, projets interdisciplinaires impliquant plusieurs équipes de type GDR avec des AAP de type ANR, Idex, EU Horizon Europe, Green deal, etc., la liste est sans fin…
  • les niveaux à TRL élevé : programme des instituts Carnot, équipes mixtes public-privé, PIA, GDR, ETI, …

è Un lien étroit de ces niveaux s’établit avec le statut des chercheurs concernés, en forte évolution programmée par la mise en place de la LPR (cf. autres thèmes du Congrès).

2.2 Analyse plus détaillée de ces niveaux de recherche

1 =  Niveau de recherche fondamentale à « haut risque »

  • Pourrait correspondre aux nouveaux hors-statuts proposés par la LPR : « tenure tracks », CDI de projets, etc., pour assurer des progrès darwiniens vers le Graal shanghaien!
  • Pourrait faire l’objet d’une évaluation sociale, par exemple via des assemblées ou consultations citoyennes (qui peuvent s’analyser comme forme nouvelle de conditionnement de l’opinion publique par le gouvernement actuel). Ainsi de la Convention Citoyenne pour le Climat (CCC) dont la plupart des 150 propositions les plus contraignantes sont progressivement retoquées par le gouvernement et autres institutions gestionnaires des questions écologiques et environnementales sous divers prétextes tous discutables.

2 = Niveau intermédiaire de recherche dite « pré industrielle »

  • De nombreuses structures existent déjà pour gérer ces interfaces avec le monde industriel ou plus généralement de l’entreprise (Carnot, GDR, IRT, CRIT). Certaines fonctionnent très correctement, notamment les instituts Carnot qui offrent une grande liberté a priori, mais avec une évaluation forte à posteriori. Les GDR assurent également un maillage entre divers laboratoires de recherche publique, garant d’une approche interdisciplinaire efficace), d’autres de façon beaucoup plus opaque.
  • Même tendance à privilégier les contrats de type « hors statuts » + mobilité encouragée (et éventuellement souhaitée) vers l’entreprise qui en profite par le truchement de financements toujours opaques. Ainsi le dévoiement du CIR, déjà analysé en profondeur par le syndicat (HE Audier, il y a déjà 7ans[13]), soulignant la confusion entre recherche et innovation dans l’attribution du CIR, probablement l’une des sources majeure de cette tricherie (dite optimisation fiscale!), toujours en pratique de nos jours.
  • Evaluation sociale renforcée, car les thématiques sont plus « accessibles ou compréhensibles » par le grand public, plus médiatisées

3 =  Niveau de recherche industrielle

  • Apparition dans la LPR d’un « contrat doctoral en entreprise », nouveau contrat de thèse de droit privé hébergé dans les entreprises. Dans sa formulation actuelle, ce contrat pourrait conduire à une dégradation de la qualité du diplôme de doctorat s’il s’avère qu’une thèse en entreprise n’a pas la même signification qu’en milieu académique. De plus il semble ignorer la dimension sociale du doctorat (insertion dans la communauté scientifique à travers le compagnonnage et le fait de partager la vie du laboratoire).
  • Évaluation sociale directe peu accessible du fait du haut niveau de confidentialité + protection industrielle. Mais la Commission européenne tend à imposer cette évaluation pour les contrats types européens, pour le moment sans règles bien définies ! En parallèle de ces règles, à noter des propositions de « comités citoyens européens » susceptibles de mener à bien ce type d’évaluation (cf « Sciences citoyennes »)
  • Nécessité d’opposer au « lobbying » industriel, en tant que groupes de pression institutionnalisés en amont des grandes orientations de la recherche publique, une démarche offensive et décomplexée de la part de la recherche publique, aussi en amont des orientations scientifiques imposées par les AAP, en fonction de ses propres intérêts scientifiques et de son indépendance revendiquée. Cette démarche reste encore très marginale.

2.3 Interfaces sciences/industries/institutions gouvernementales à l’échelle planétaire.

La globalisation de l’économie à l’échelle planétaire concerne également la recherche, avec une priorité donnée aux recherches dites « productives » face à des recherches plus « fondamentales », comme déjà analysé dans ce texte. L' »exportation » d’une partie de notre potentiel de recherche, aussi taxée de « fuite des cerveaux », doit faire l’objet d’une analyse permanente des équilibres entre la nécessité d’une recherche planétaire ouverte et la revitalisation de notre potentiel national.

D’autres spécificités de ces interfaces entre recherche publique et entreprise au niveau mondial peuvent dépendre des secteurs considérés. Ainsi les relations Nord-Sud présentent des spécificités de déséquilibre que présentent moins les relations Est-Ouest, plus denses et équilibrées.

2.4 Positionnement syndical ?

  • Analyse fine des évolutions des statuts de chercheurs (ses) non permanents. Cf. actions en cours LPR et thèmes 1 et 2. Approfondir le cas des thèses dites industrielles et le devenir des futurs docteurs correspondant à ces statuts.
  • Favoriser des évolutions de carrières public/privé réversibles, en évaluant précisément les bénéfices et risques de la réversibilité. La règle antérieure était de suspendre pendant au minimum deux ans toutes relations avec une industrie ayant été en relation avec le labo, ou d’attendre deux ans pour un industriel avant d’intégrer un laboratoire ayant eu des relations avec l’entreprise.  La possibilité ouverte par la LPR constitue manifestement une entorse à cette règle déontologique.  Elle ouvre la porte à un mécanisme de pantouflage ou de « porte tournante » clairement en contradiction avec les règles déontologiques.
  • Poursuivre l’analyse de l’impact de crédits publics sur la recherche (pré) industrielle, en ligne avec la position du CoCNRS[14] « …les difficultés de la coopération entre recherche privée et recherche publique pourraient expliquer la faible performance nationale en matière d’innovation. Le bénéfice du CIR devrait être associé à des conditions plus fortes de partenariat de la recherche privée avec la recherche publique et d’un contrôle plus effectif des dépenses de recherche déclarées… » (industrielle/privée, voire associative?)
  • Favoriser/intensifier l’intervention syndicale (cf recommandations de Unesco[15]) pour garantir la liberté des recherches et leurs orientations au bénéfice de la société. Ce processus lourd et contraignant requiert de s’investir bien en amont des décisions au sein des institutions en charge de ces questions éthiques et politiques.
  • Travailler sur la notion d’acceptation sociale des recherches à la fois fondamentales et appliquées. Cette démarche est d’autant plus cruciale qu’elle peut être profondément idéologique, voire ridiculisée (cf Macron et les Amish) par l’« offre » de l’économie néolibérale. C’est donc la communauté scientifique dans son ensemble qui est invitée à mieux comprendre ce qu’il en est aujourd’hui « de la manipulation et de l’instrumentalisation des SHS, mais aussi du rôle que l’on fait jouer aux autres sciences en les réduisant à des technosciences innovantes nourrissant les profits de certains»[16].

Ainsi, l’orientation « productiviste » de la recherche souvent décriée y compris syndicalement doit être replacée dans l’analyse plus globale des différents modes de recherche et de leurs interactions avec le monde industriel et entrepreneurial et plus généralement de la société toute entière. Cette analyse doit bénéficier de réflexions des humanités sur les conditions de leur production et leurs conséquences socio-politiques….

La crédibilité syndicale auprès des jeunes dans les laboratoires est l’enjeu de ces positionnements

3.  Interfaces et interactions entre la recherche publique et le pouvoir politique

Au-delà des relations organiques et permanentes entre la recherche publique et le pouvoir politique, incarné par le gouvernement en place (relations analysées en profondeur dans le rapport d’activité du syndicat), il est à souligner d’autres relations de pouvoir plus complexes entre ces entités qui s’appuient sur la pensée mémorielle de la société dans son ensemble. Ainsi, des orientations mémorielles contraintes, imposées par certains représentants politiques dans le cas des sciences coloniales, tendent à se multiplier à l’égard d’historiens et plus généralement des SHS, dans ce domaine de l’histoire coloniale et postcoloniale. Plusieurs enseignants-chercheurs et chercheurs sont accusés d’encourager les dérives terroristes et communautaires par, d’une part, leur accent mis sur les excès du colonialisme et post-colonialisme et, d’autre part, leur refus d’opposer islam et république. Le détail de ces relations de pouvoir état/recherche publique/société est développé en annexe de ce texte.

Positionnement syndical :

  • Analyser et combattre toute interférence directe et abusive du pouvoir politique sur l’orientation des travaux de la recherche publique, notamment dans ce domaine sensible des sciences sociales en relation directe avec les mémoires de la société.
  • Analyser plus finement les strates et spécificités des pouvoirs politiques qui se déclinent aux niveaux national, régional et local pour adapter la réponse syndicale à leur incidence sur le cours des recherches (orientation, contrôle, financements etc.). Selon ces niveaux, l’incidence sur la réponse des corps sociaux pourra être de diverse nature.

4.  Conclusions

Malgré la multiplicité et l’enchevêtrement des interfaces sciences-société-industrie/entreprise, ce texte propose quelques lignes de force pour définir l’action syndicale dans ce domaine critique pour la vie dans nos laboratoires et l’avenir de la recherche dans les secteurs publics et privés.


[1] https://sciencescitoyennes.org/

[2] http://www.alliss.org/

[3] https://www.tiers-secteur-recherche.org/

[4] « Garantir l’indépendance et le fonctionnement démocratique de la recherche académique » VRS n° 420-421, p43

[5] https://www.arretsurimages.net/articles/linformation-scientifique-une-guerre-de-positions-tranchees

[6] Les gardiens de la raison. Foucart et al. Éditions La Découverte, septembre 2020. 368 pages.

[7] VRS sur la vérité scientifique et sa remise en cause par le grand public n420-421

[8] FESTIVAL MEDIAS EN SEINE, 19 Nov 2020, mediaenseine.com

[9] Enregistrements des débats de l’université d’automne de la LDH : « sciences-confiance-et-démocratie». Lien à venir. https://www.ldh-france.org/26e-universite-dautomne-sciences-confiance-et-democratie/

[10] VRS n°412

[11] info.assises@tiers-secteur-recherche.org

[12] Communiqué commun signé le 9 Nov 2020 par la Ligue des droits de l’Homme (LDH), FSU, Snesup-FSU, SNCS-FSU, Snasub-FSU, Snep-FSU, Snetap-FSUCGT, Ferc-Sup CGT, SNTRS-CGT, CGT-InraCFDT, Sgen-CFDT, FO ESR, Unsa Sup-Recherche, Unsa ITRF-BI-O, Unsa A&I, Unsa Education, SNPTES, Union syndicale Solidaires, Solidaires Etudiant-e-s, Sud Education, SudRecherche, Fage, Unef, Fédération nationale des étudiants chercheurs (Fenec),L’Alternative, Confédération des jeunes chercheurs (CJC), Ligue de l’Enseignement.

[13] Voir par ex, la recommandation proposée par le SNCS-FSU et le SNESUP-FSU et adoptée par le CNESER le 16/04/2019 : https://sncs.fr/2019/05/17/recommandation-proposee-par-le-sncs-fsu-et-le-snesup-fsu-et-adoptee-par-le-cneser-le-16-04-2019-abaisser-le-seuil-des-depenses-eligibles-au-cir-et-le-cibler-sur-les-plus-petites-entreprises/

[14] Texte proposé lors de la dernière réunion plénière du Comité national

[15] Recommandation UNESCO concernant la science et les chercheurs (2017): https://www.google.com/url?sa=t&rct=j&q=&esrc=s&source=web&cd=9&cad=rja&uact=8&ved=2ahUKEwiUptS9trznAhWL5OAKHffcD74QFjAIegQICRAB&url=http%3A%2F%2Fportal.unesco.org%2Ffr%2Fev.php-URL_ID%3D49455%26URL_DO%3DDO_TOPIC%26URL_SECTION%3D201.html&usg=AOvVaw2z8TQEhDgilu_2_2369ZMv

[16] Dossier de la VRS 399 : Quels enjeux pour les sciences humaines et sociales aujourd’hui ?


ANNEXES

Annexe 1 : Recherche et transfert/start-ups et innovation à l’INRIA (Christine Eisenbeis).

La décision de séparer recherche et transfert lors de la dernière mandature à l’INRIA nous a semblé contraire à la spécificité de l’institut. Historiquement, l’Inria s’est construit sur des collaborations avec les laboratoires de recherche ou services R&D de développement d’industriels. Nos recherches, même dites « théoriques », sont pratiquement toujours parties de problèmes dits «appliqués».
La spécificité de l’Inria est de faire un constant aller et retour entre « recherche fondamentale » et « applications ». Or la séparation « recherche » et « transfert » laisse penser à une linéarité vertueuse depuis la recherche fondamentale vers le transfert. C’est pour nous un contre-sens historique.
En revanche, la dérive actuelle qui assimile transfert de résultats de recherche et start-ups/innovation est aussi un contre-sens (qu’est-ce que l’innovation ? voir le texte de Henri Audier, 10 novembre 2013). Start-up, ou transfert rentable à court terme, n’est pas synonyme d’application (ni de recherche) de qualité. Avoir un effet positif sur la société n’est pas équivalent à être rentable économiquement. Avoir un effet positif sur la société ne se juge pas forcément à court terme. Autant de questions qui ne sont à notre connaissance jamais débattues à l’Inria, alors qu’elles gouvernent et orientent la politique scientifique de notre institut.

Enfin, la multiplication des structures nouvelles internes ou externes (Idex, Comue, Fondation Inria, InriaTech, InriaSoft, etc.) et des dispositifs et guichets internes aux noms et contours mouvants, jamais réellement évalués, épuisent les agents sans que leur justification soit toujours évidente.


Annexe 2 : Histoire coloniale et liberté de pensée (Alessandro Stanziani)

alessandro.stanziani@ehess.fr
Directeur d’études EHESS, Directeur de recherche, CNRS

Depuis quelques temps les attaques de la part de certains représentants politiques à l’égard d’historiens et plus généralement des shs se multiplient, notamment au sujet de l’histoire coloniale et post-coloniale. Plusieurs enseignants-chercheurs et chercheurs sont accusés d’encourager les dérives terroristes et communautaires par, d’une part, leur accent mis sur les excès du colonialisme et post-colonialisme et, d’autre part, leur refus d’opposer islam et république.

Le ministre de l’éducation a d’abord[1] mis en opposition le repentir colonial et l’intégration, le premier selon lui empêchant ou limitant fortement la seconde, pour ensuite revenir de manière plus radicale sur ce sujet le 22 octobre, en pointant du doigt le lien entre manière de présenter le colonialisme et dérive communitariste et terrorisme.[2]

Par la suite, Julien Aubert, député LR, demande de constituer une mission d’information parlementaire contre les prétendues  « dérives intellectuelles idéologiques dans les milieux universitaires ». Damian Abad, président du groupe LR appuie et élargit cette requête.

Le 2 novembre c’est le premier ministre qui dénonce sur TF1 l’autoflagellation autour de l’histoire coloniale et qui produit des dérives communautaristes. La repentance trop souvent exprimée au sujet du passé colonial français, serait selon lui l’une des premières justifications utilisées par « l’ennemi » dans son combat contre la République.

Entre temps, la LPR subordonne la liberté académique à des « valeurs de la République » parfaitement indéterminées et dépourvues d’inscription légale. De nombreux chercheurs et universitaires dénoncent dans une tribune (Le monde) cette chasse aux sorcières.

Il n’empêche, le lien entre LPR et loi sécurité menace de faire passer des modalités d’écrire et d’enseigner autour de questions comme le colonialisme et l’islam dans le respect des valeurs de la république de plus en plus interprétés comme un gage donné à la droite, voire à l’extrême droite.

Il est fondamental de préserver l’autonomie de la recherche, de l’enseignement et des thèses avancées. Désormais il n’est plus juste question d’orienter les thématiques via des appels d’offre, mais clairement d’influencer les arguments avancés, contre toute liberté académique et de la recherche.

[1] 4 octobre, https://www.bfmtv.com/politique/gouvernement/jean-michel-blanquer-sur-le-passe-colonial-si-on-fait-de-la-repentance-plus-plus-on-a-de-l-integration-moins-moins_VN-202010040092.html)

[2] https://www.vie-publique.fr/discours/276970-jean-michel-blanquer-22102020-lattaque-terroriste-contre-samuel-paty

Les métamorphoses du travail contraint, Presses de Sciences-Po, 2020
http://www.pressesdesciencespo.fr/fr/book/?GCOI=27246100935460

Les entrelacements du monde, Histoire globale, pensée globale, CNRS éditions
2018http://www.cnrseditions.fr/histoire/7685-les-entrelacements-du-monde.html


Annexe 3 : rappel des principes du programme des Instituts Carnot (Rémi Grodzki)

Créé en 2006, le label Carnot vise à favoriser le développement des partenariats de recherche et le transfert de technologies entre la recherche publique et les entreprises à travers la recherche contractuelle. Il est délivré par le Ministère de l’Enseignement Supérieur, de la Recherche et de l’Innovation, sur proposition du comité Carnot, à des structures de recherche publique, appelées instituts Carnot.

L’objectif du dispositif Carnot est de favoriser le transfert de technologie et l’innovation en développant les contrats entre laboratoires publics et entreprises. Ce dispositif vise à reconnaître la capacité de structures de recherche effectuant des missions d’intérêt général, à collaborer efficacement avec des partenaires socio-économiques, notamment avec des entreprises, et tout en renforçant leur visibilité. Ces instituts reçoivent un abondement financier calculé en fonction de leurs recettes contractuelles bilatérales avec les entreprises, ainsi que des revenus de licences conclues en exploitation de leur propriété intellectuelle. Cette dotation complémentaire, qui s’élève en 2020 à 62 millions d’euros, leur permet d’une part de développer leurs compétences afin de conserver l’avance scientifique nécessaire à leur performance et à leur attractivité à l’égard des entreprises et, d’autre part, de professionnaliser leurs pratiques contractuelles. Le dispositif permet aujourd’hui à ces instituts de se situer à un niveau de compétitivité équivalent aux structures correspondantes en Allemagne (Fraunhofer).

Depuis 2016, les instituts Carnot sont pérennisés avec une révision de l’attribution du label tous les quatre ans. Les 39 structures de l’appel 2019 couvrent la très grande majorité du territoire national et la grande majorité des thématiques.

Le programme Carnot a vocation à améliorer la visibilité de la recherche contractuelle française en donnant aux instituts Carnot une image commune de compétence, d’efficacité et de professionnalisme.


 



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