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Combien de chercheurs en entreprise ? La grande patouille !

mmSNCS-FSU13 août 2014

Par Henri-Édouard Audier, membre du bureau national du SNCS-FSU

Dans un article intitulé « CIR : le triomphe des voleurs », nous donnions récemment des arguments nouveaux prouvant sans ambages que le Crédit d’impôt recherche (CIR) est une superbe niche fiscale mais ne sert à rien pour le développement de la recherche, en particulier dans les grands groupes (1). Les arguments étaient sans doute assez convaincants pour que les services statistiques du ministère tentent une justification du CIR au travers de la toute récente « note d’information » du 04/07/2014, intitulée « les chercheurs en entreprise en 2011 » (2).

Combien de chercheurs en entreprise ? La grande patouille.

La croissance de 73 % du nombre des chercheurs du privé et ce, à coût (presque) constant

Tout avait bien commencé quand l’auteur est tombé en arrêt devant le premier schéma, page 12, du dossier 2013 sur « L’état de l’emploi scientifique en France » (3). Il y était montré (et commenté dans le texte) « qu’entre 2000 et 2010, le nombre de chercheurs du secteur public, en équivalents temps plein (ETP), a crû à un rythme annuel moyen de 1,25 % [incluant les CDD]. Dans la même période, le secteur privé a connu une croissance de 72,7 % soit un rythme annuel de 6,6 %. » Or comme nous le montrons dans notre article « CIR : le triomphe des voleurs », déjà cité (1), si le nombre de chercheurs dans les entreprises augmente beaucoup plus vite que celui du secteur public pendant 10 ans, il n’en serait rien des dépenses de recherche : celles des entreprises et celles de la
recherche publique restent dans un rapport pratiquement constant pendant la même période. Comme les salaires constituent une part majoritaire des dépenses de recherche, nous en avions conclu que le Syndicat national des impôts avait raison quand il affirmait que « certaines entreprises avaient  » repeint  » nombre de personnels en chercheurs, pour  » toucher  » plus de CIR. »

Le service statistique du ministère persiste et signe

Dans sa toute nouvelle publication (2), le service statistique du ministère persiste et
signe : « Estimé, en ETP, à 88 500 chercheurs en 2001, l’effectif des chercheurs en entreprise est de 148 300 en 2011, le taux de croissance annuel moyen est de 5,3 % et la progression relativement régulière sur la période. En dix ans, sur le territoire français, les travaux de R&D menés dans les entreprises ont donc mobilisé près de 60 000 chercheurs (ETP) en plus. »

Non seulement, la position est réaffirmée, mais la note du ministère (2) s’accompagne d’un graphique encore plus optimiste que les données déjà citées : en dix ans, la part des chercheurs industriels par rapport au nombre d’actifs aurait presque doublé, alors que les dépenses de recherche des entreprises stagnaient !!!

Des explications qui ne tiennent pas du tout la route

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Comme nous avions mis le doigt sur la plaie, la note du ministère tente d’y répondre. « Entre 2001 et 2011, le coût global moyen d’un chercheur (4) diminue dans les entreprises, passant de 254 k€ à 175 k€ par ETP (en volume), soit – 31 %. À cela principalement deux raisons qui se cumulent : la baisse importante du niveau d’appui du chercheur (cet effet de structure justifie à lui seul les deux tiers de la baisse), et la diminution de la part des frais généraux (2). » En d’autres termes, si on déduit le salaire et les charges salariales du chercheur lui-même, c’est de près de 50 % que les coûts d’accompagnement du chercheur auraient baissé !

D’où vient cette baisse ? En réalité, faiblement de la réduction du nombre des personnels d’accompagnement : « À l’inverse des chercheurs, la population des personnels de soutien à la recherche se réduit de 6 300 ETP, dans les entreprises, entre 2001 et 2011. Ainsi, le niveau d’appui des chercheurs, correspondant au ratio, s’élève à 1,1 en 2001 et à 0,6 en 2011. » Certes, selon ces données, il y a une forte chute du rapport personnels de soutien / chercheurs, mais pour 60 000 chercheurs (officiellement) de plus en 10 ans, il n’y a « que » 6 300 personnels d’accompagnement de moins. Compte tenu des différences de salaires, ce facteur peut expliquer une baisse de tout au plus de 10 % des coûts d’accompagnement du chercheur. Les 40 % restants proviendraient donc des moyens de travail.

Certes, des évolutions ont pu avoir lieu ; ainsi, le développement de secteurs comme les services informatiques peut requérir avant tout des chercheurs. Mais cela ne peut être l’effet dominant, car cela ne s’observe pas ailleurs. Ainsi, d’après la note (2) elle-même, pour les pays de l’OCDE comme pour ceux de l’UE, il n’y a pratiquement pas eu, sur la même période en moyenne de variation significative du rapport entre le nombre des chercheurs du public et celui des entreprises, contrairement à la France. De même nous excluons l’hypothèse d’un recrutement massif de jeunes docteurs en CDD, sur la base des données du CEREQ : le privé utilise peu de docteurs et le taux de CDD y est plus faible que dans le public

Augmenter de 70 % le nombre de chercheurs et diminuer de 40 à 50 % le taux des personnels d’accompagnement et leurs moyens de travail, pour les anciens comme pour les nouveaux chercheurs, est-ce crédible? Surtout dans un contexte où les appareillages sont plus chers car plus sophistiqués, où les matériaux utilisés sont toujours plus élaborés. Pour illustrer le caractère grotesque de la situation, c’est un peu comme si on décidait d’accroître de 50 % le nombre de chercheurs CNRS, mais en maintenant quasi constant le budget de l’organisme, c’est-à-dire en compensant cette augmentation de la masse salariale par une baisse des autres dépenses. Absurde, ridicule et irréalisable !!!

Les causes du truandage

Pour l’auteur de ce texte, la cause de cet affichage vient du fait que les entreprises ont, année après année, intérêt à gonfler leurs dépenses de recherche pour bénéficier du CIR. Surestimer le nombre de chercheurs ETP déclarés est alors la façon la plus aisée de le faire, que le CIR soit basé sur l’accroissement des dépenses de recherche (avant 2006) ou sur leur montant global (après 2006).

Dans cette arnaque, deux facteurs ont pu faciliter des déclarations « optimistes ». Le premier est, comme la note (2) nous l’apprend, qu’une proportion importante des chercheurs des entreprises n’exercent leur activité de recherche qu’à temps partiel. Bien sûr, cela est pris en compte dans l’évolution du nombre d’ETP, mais il est plus facile de justifier en cas de contrôle (fut-il très éventuel) un grand nombre de temps partiels surestimés que des chercheurs totalement inventés.

Par ailleurs, contrairement à ce qu’avait claironné Valérie Pécresse, le poids du secteur tertiaire dépasse 30 % de l’emploi scientifique déclaré et donc éligible au CIR. « Même si l’emploi des chercheurs en entreprises reste majoritairement dans les secteurs industriels (82 % de l’effectif ETP en 2001 et 69 % en 2011), la part des services marchands a fortement augmenté (18 % de l’effectif ETP en 2001 et 31 % en 2011) » indique la note (2). Or, souvent, dans le secteur des services, la frontière entre la recherche et les autres activités est ténue, ce qui facilite les surestimations. D’ailleurs, l’ampleur de cette progression du nombre de chercheurs (72 %) dans les services est suspecte car, toujours d’après la même note (2), le poids des services marchands dans l’économie française se serait accru 5 % durant la même période (57 % en 2011 contre 54 % en 2001).

Des conséquences sans fins…

Il est évident qu’en indexant une réduction d’impôt sur la déclaration de l’effort de recherche, on biaise toute signification à la mesure de cet effort. C’est simple à comprendre : instaurez un dégrèvement d’impôt sur les chats et, in fine, les Français déclareront, en moyenne, posséder 5 chats chacun. La conséquence est que, pour un secteur stratégique comme la recherche des entreprises, les données dont dispose le gouvernement, les parlementaires et finalement le débat démocratique sont fortement surestimées… alors même que la France, on le rappelle, est en toute queue de
peloton par rapport à la plupart des pays développés.

C’est bien à partir de ces données erronées de la même source (2,3), que Geneviève Fioraso a récemment déclaré (entre autres bêtises statistiques) : « qu’en matière d’emploi scientifique, la France  » se situe plutôt dans la moyenne haute des pays développés ». Avec 250 000 chercheurs publics et privés, soit 8,8 chercheurs pour 1.000 actifs. La France se place derrière les États-Unis et le Japon, mais avant le Royaume-Uni et l’Allemagne. » Absurdité totale, comme nous l’avons démontré dans un SNCS-Hebdo (5).

Il suffirait pourtant d’une fraction de ce gaspillage colossal qu’est le CIR pour financer
l’indispensable plan pluriannuel de l’emploi scientifique. Nous y reviendrons.

Combien de chercheurs en entreprise ? La grande patouille.


(1) https://sncs.fr/spip.php?article3468

(2) http://www.enseignementsup-recherche.gouv.fr/cid81030/les-chercheurs-en-entreprise-en-2011.html.

(3) http://www.enseignementsup-recherche.gouv.fr/cid72997/l-etat-de-l-emploi-scientifique-en-france.html

(4) Calculé en divisant les dépenses de recherche (incluant les salaires) par le nombre de chercheurs.

(5) https://sncs.fr/spip.php?article3594



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