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le show Pécresse du 1 juin en SHS vu par trois participants (07/06/2010)

mmSNCS-FSU7 juin 2010

Réunion d’information au MESR sur les « investissements d’avenir », 1er juin 2010 « Embedded dans l’atelier SHS »

NB : toutes les expressions entre guillemets sont des citations littérales de nos interlocuteur.trice.s.

DÉROULÉ ET « OBJECTIFS » DE LA JOURNÉE

Initialement prévue à la Sorbonne, la « réunion d’information » sur les « investissements d’avenir » a finalement eu lieu au MESR (changement de lieu quelques jours avant l’événement). Trois ateliers étaient organisés – en sciences du vivant, SHS et sciences exactes – répartis dans trois amphis. Les festivités ont commencé à 14h30 : il fallait s’être inscrit.e pour pouvoir entrer, visiblement beaucoup de personnes étaient invitées (en SHS il s’agissait essentiellement de directeur.trice.s de MSH ou autres écoles doctorales, et de président.e.s d’université). Valérie Pécresse a fait le tour des ateliers, introduisant successivement chacun d’eux par un discours de présentation générale et des réponses à quelques questions. Ensuite, elle partait, laissant des « experts » du cabinet animer le débat avec la salle. L’amphi de SHS était trop petit pour le public, beaucoup plus nombreux que prévu, nous a-t-on dit.

Les choses étaient très claires : il s’agissait d’une journée d’information sur un processus déjà décidé. Nous étions là pour en apprendre plus sur les aspects « techniques » du grand emprunt appliqué à l’enseignement sup et la recherche, afin d’être à même, dès « le mois de juin prochain » (sic), de candidater pour l’obtention d’« équipements d’excellence » ou de « laboratoires d’excellence ». En définitive, ce qui nous a été martelé, c’est la « philosophie générale » de la chose (l’État n’investit que s’il est certain d’avoir des « retours sur investissement », « l’objectif ultime » de l’opération c’est « la visibilité mondiale de pôles universitaires ») ; pour ce qui est des aspects techniques (sommes allouées, affectation des crédits à la création d’emplois, processus d’évaluation des projets, etc.), en fait « rien n’est bouclé », à quelques semaines/jours du lancement des opérations : soyons rassuré.e.s, ce n’est pas parce que le ministère naviguerait à vue ou se laisserait un maximum de marge de manoeuvre dans la façon dont va s’opérer la sélection ; ce n’est pas non plus parce que les SHS seraient a priori exclues du grand emprunt… c’est juste parce que tout cela est très « souple » et suit « une logique progressive ».

Nos interlocuteurs « experts »

Edouard Husson, chargé de mission au cabinet de Valérie Pécresse.
Ancien élève de l’ENS, agrégé d’histoire et docteur de l’université Paris-Sorbonne, il a été assistant à l’Université Robert Schuman (1995-1998), maître de conférences à l’Université Paris-Sorbonne (2001-2009) et chargé de cours magistral au 1er cycle franco-allemand de Sciences Po (campus de Nancy) (2001-2009). Il est actuellement professeur à l’Université de Picardie-Jules Verne, où il enseigne l’histoire des relations internationales et des conflits contemporains.
Le blog de M. Husson :
http://www.edouardhusson.com/

Patrick Hetzel, Directeur Général de l’Enseign. Supérieur (depuis 2008).
Il était conseiller au cabinet du Premier Ministre F. Fillon pour les questions relatives à l’éducation nationale, à l’enseignement sup. et à la recherche depuis mai 2007. Auparavant recteur de l’académie de Limoges (entre février 2005 et mai 2007). Il a présidé en 2006 la commission du débat université-emploi, à la demande de l’ancien Premier ministre Dominique de Villepin. Il a été professeur en sciences de gestion à l’université Paris-II Panthéon-Assas de 1999 à 2005 et a dirigé le Largepa (Laboratoire de recherche en gestion de Panthéon-Assas).

Jacques Dubucs, à la Direction générale pour la recherche et l’innovation (DGRI) pour les Sciences Humaines et Sociales
Ancien élève de l’ENS de Saint-Cloud, agrégé de philosophie, il a été maître-assistant de Mathématiques à l’ENS de Rabat de 1980 à 1985. Entré au CNRS en 1985, un an après avoir soutenu sa thèse d’État sur le programme de Hilbert, il a consacré une grande partie de ses recherches à l’histoire et à la philosophie de la logique contemporaine. Il est actuellement directeur de recher-ches, et directeur de l’IHPST, CNRS.

LE GRAND EMPRUNT DANS LE CADRE DE L’ESR

La logique d’ensemble et la novlangue pour la dire.

Pour les détails de la présentation, cf. en pièce-jointe le scan de la version papier du power point.
Toutes les informations officielles sur le site du MESR :
http://www.enseignementsup-recherche.gouv.fr/pid23961/investissements-d-avenir.html
Pour aller vite, en SHS, on peut candidater à trois choses :

 demander des « équipements d’excellence » (1 milliard d’euros prévus pour l’ensemble de l’ESR) ; lancement de l’opération en juin 2010, remise des dossiers fin août, résultats fin 2010.

 proposer un projet de laboratoire pour devenir « laboratoire d’excellence » (1 milliard d’euros pour l’ensemble de l’ESR) : lancement début juillet 2010, remise des dossiers à l’automne, distribution des prix début 2011.

 proposer un projet d’« initiative d’excellence » (7,7 milliards d’euros pour l’ensemble de l’ESR) : lancement été 2010, remise des dossiers au printemps 2011, résultats été 2011.

Ça, c’est pour « la première vague » : il y en aura trois, parce que bien sûr, on n’est pas forcément prêts pour le mois de juin (le MESR non plus, ça tombe bien). L’ensemble constitue « un calendrier cohérent », qui « s’emboîte ». D’abord on équipe les meilleurs projets, avec des « équipements d’excellence » (en SHS, il s’agit essentiellement de bases de données ; le mot d’ordre : « nu-mé-ri-sa-tion ») ; dans un deuxième temps, on fabrique des « briques » (les « labos d’excellence ») : c’est plus facile de devenir labo d’excellence quand on a un équipement d’excellence, mais on peut espérer devenir « brique » avec du mauvais matos, et puis il n’y a aucun critère de taille ni d’effectifs, mais quand même : avec ces « briques », on est censé construire… des « maisons », les « initiatives d’excellence ». Là encore, c’est « souple » : « il y aura des labos d’excellence en dehors des initiatives d’excellence » parce qu’on peut appartenir à un labo excellent dans un établissement pourri (une phrase est revenue plusieurs fois, avec un petit sourire entendu : « tout le monde n’est pas Cambridge ou Oxford ! »).

Attention, rien à voir avec l’ANR. Il y a une diapo là-dessus, très documentée (texte intégral) :
Les appels à projets « investissements d’avenir » se différencient des appels à projets de l’ANR par trois aspects :
 Les montants… plus importants que les appels à projets standards
 La nature des objets financés… pour la première fois, les appels à projets concerneront des équipements et des établissements
 Les critères des appels à projets… reflètent les grandes priorités du plan d’investissements d’avenir

On inverse la tendance. Le maître-mot de tout ça, c’est de « transformer le paysage de la recherche » ; la ministre « espèr*e+ que les investissements d’avenir modifieront les méthodes de recherche ». Attention : il ne s’agit pas de consolider « l’existant » mais de tout changer. Le modèle, c’est l’Allemagne (d’ailleurs, vont être publiés sur le site du ministère, « à titre d’information », les projets allemands jugés excellents, comme ce projet SHS si audacieux sur l’étude de l’immigration dans les pays occidentaux).

L’importance des « sites ». L’objectif final, c’est de « doter la France de 5 à 10 sites d’excellence capables de rivaliser avec les meilleures universités du monde » [extrait de la diapo sur les « initiatives d’excellence »]. Ce sont les établissements qui sont porteurs des projets – et « pourquoi pas à l’échelle d’une discipline », s’est aventurée l’audacieuse ministre. On s’est du coup ému du devenir des réseaux des MSH dans ce paysage « par site » : qu’on ne s’inquiète pas… (c’est tout).

« Tout le monde peut candidater »… une question reste en suspens : les SHS sont-elles rentables ? Il paraît que oui, la preuve : dernièrement « un projet de dictionnaire de hiéroglyphes » a trouvé un financement auprès d’un mécène (« vous vous rendez compte ?? »). Et puis tous ces gens qui en SHS pourraient apporter des améliorations concernant « l’aménagement des bureaux » dans l’ESR mais aussi dans le monde de l’entreprise, c’est inespéré. Pensez : la linguistique, ça a l’air inutile comme ça, mais pourtant « ça pourrait fournir des outils pour l’évaluation des candidats à un recrutement » (sic). D’ailleurs, la ministre l’a dit : « les SHS doivent être au coeur des investissements d’avenir » ; et M. Dubucs s’est carrément mouillé : « je le dis, et c’est un engagement : la part qui reviendra aux SHS sera substantielle ». La diapo décrivant le « périmètre de l’appel à projets » concernant les « équipements d’excellence », « volontairement large », finit de nous rassurer. Extrait : « Les équipements devront prioritairement mais non exclusivement s’inscrire dans l’un des 3 axes prioritaires de la Stratégie Nationale de Recherche et d’Innovation (axe 1 : santé, bien-être, alimentation et biotechnologies ; axe 2 : environnement et écotechnologies ; axe 3 : information, communication et nanotechnologies) ou répondre à un besoin en sciences humaines et sociales. » Le Premier Ministre veille sur la définition dudit besoin. Rassurant, donc.

L’évaluation. La diapo du power point détaillant les instances d’évaluation pour l’attribution des labels d’excellence a disparu de la version papier qui a été distribuée. Dommage… Ceci dit, c’est assez simple (bien que « pas tout à fait bouclé ») : un « jury international » sera composé « au plus haut niveau » de l’État (qui veillera à éviter les « conflits d’intérêt au sein de la communauté » : l’expression est revenue à plusieurs reprises, c’est l’argument massue pour délégitimer le jugement par les pairs), grâce aux conseils notamment de l’ANR (qui s’y connaît en jurys) ; ce jury sera chargé de l’évaluation : seuls les projets les « plus excellents » seront retenus. La sélection sera proposée au Premier Ministre qui distribuera les bonnes notes aux « plus audacieux » des plus « excellents ». Pas de souci donc : ce sont nos « pairs », compétents en matière scientifique, qui auront la main sur tout ; mais Valérie Pécresse (qui a été plus directe que ses compères sur ce coup-là) a bien précisé les choses : « le jury évalue, mais la décision revient au Premier Ministre », préparée par le Commissariat au Grand Emprunt. Bien sûr, en même temps, tout est ouvert à l’infini, rien n’est piloté d’en haut, et seule l’excellence pure sera récompensée, elle « émergera naturellement » (la nature revenant régulièrement dans la bouche de nos interlocuteurs). Il a été demandé si les projets devraient être rédigés en anglais du coup (le jury étant international) : un blanc… puis « pas d’obligation », « pourquoi pas dans les deux langues, il faudrait faire traduire en anglais », « ce n’est pas bouclé »… (rappel : les premiers appels à projet doivent être lancés début juin…).

La diapo sur les critères de sélection :
 Qualité scientifique et caractère innovant
 Importance pour la stratégie du site et pour l’établissement
 Cohérence avec la SNRI, la stratégie des alliances, et les feuilles de route européennes
 Impact socio-économique
 Stratégie de valorisation
 Effet de levier sur l’effort de R&D privée
 Ouverture à la communauté scientifique
 Portage par les établissements et engagement sur les moyens récurrents

La ministre martèle qu’il n’y a « rien d’exclu a priori », mais quand même… une petite préférence pour deux critères : un « engagement dans une logique de visibilité » et dans la formation d’« alliances et de partenariats ». Dont on apprend un peu plus tard que s’ils sont privés, c’est encore mieux : « effet de levier », quand tu nous tiens.

Au détour du débat, on apprend qu’il y aura une « période probatoire » : « peut-être de trois ans », pour des projets allant de cinq à dix ans (ça non plus, ce n’est pas bouclé : les projets doivent présenter des budgets argumentés, mais on ne sait pas dans quelle fourchette ni pour quelle durée) ; parce qu’on peut être excellent un moment et ensuite se reposer sur ses lauriers ; alors ça, non, pas question : il faut avoir un engagement d’excellence dans la durée. Qui évalue qu’on est toujours excellent au bout de trois ans ? le

« jury international » ? le Premier Ministre tout seul ? On est partis de la « réunion d’information » sans le savoir…

La création de postes ? Après l’exposé de la ministre, et après avoir lu le power point qui fait manifestement la chair de la réflexion du MESR, une question est revenue à plusieurs reprises : est-ce qu’on va pouvoir payer des gens ? Personne n’a osé demander si des créations de postes étaient prévues après que la ministre a re-précisé la règle du non remplacement d’un fonctionnaire sur deux (« l’idée, ce n’est évidemment pas de créer des postes [rires] ») et a eu cette jolie expression (ensuite régulièrement reprise par les messieurs) : « vous devriez vous estimer heureux, il existe une véritable sanctuarisation de la recherche », i.e. par rapport à l’ensemble de la fonction publique. La preuve d’ailleurs : sur les 35 milliards d’euros du grand emprunt, 22 milliards vont aller à la recherche. Chouette.

La diapo (texte intégral), concernant les « équipements d’excellence », consacrée aux « dépenses éligibles » :

 Équipements

 Acquisition des équipements matériels

 Constitution des équipements immatériels (ex : enquête et collecte de données)

 Frais de
fonctionnement

 Coûts d’exploitation

 Fluides

 Maintenance

On s’est interrogés : d’accord, si on est excellent, on va avoir de l’argent pour se payer des logiciels de traitement de données, mais il va bien falloir quelqu’un derrière l’ordinateur : c’est prévu ? Plein d’excellents chercheurs du monde entier veulent venir travailler dans nos excellents laboratoires, mais on ne peut pas les payer, on n’a pas d’allocations doctorales : ça va changer ? On nous a dit que c’était une vraie question, qu’en effet il fallait se demander comment « attirer et fixer les meilleurs doctorants et les meilleurs post-docs du monde entier », mais nous n’avons pas obtenu de réponse… M. Dubucs a félicité la dernière personne du public à s’interroger sur ce sujet : « vous posez une très bonne question, et très bien, je vous félicite ; en vous entendant, je suis totalement rassuré quant à l’évolution des SHS et leur potentiel d’excellence, vous savez poser des questions [aucune réaction dans la salle] »; après une tirade assez longue, on a crû qu’il allait finalement y répondre… mais non, il en a juste proposé une reformulation (plus excellente visiblement) : « la question se pose : faut-il comprendre le mot ‘équipements’ en termes uniquement chosistes ? » M. Husson nous avait prévenus : Dubucs est « le plus conceptuel de la bande ». Quant au concept (plusieurs fois répété) de « fixation des docs/post-docs », il n’a jamais donné lieu à une réflexion « philosophique d’ensemble » sur la possibilité de créer des postes : ce n’est pas comme ça qu’on « fixe » les gens visiblement. Le discours est le suivant : « si vous êtes laboratoire d’excellence ou que vous obtenez des équipements d’excellence, les meilleurs viendront à vous ». CQFD.

Au total, entre les « briques » et les « maisons », le flou des réponses, on se sent un peu mal en sortant de la salle… D’autant qu’il y a quelque chose dans le ton des experts qui laisse perplexes : on veut nous « rassurer », il faut « dissiper les rumeurs »… et en même temps, régulièrement, on a l’impression que nos interlocuteurs se croient dans l’entre-soi des potes du cabinet, ils font des petites blagues (avec nous !) sur les SHS, qui sont un peu nulles, un peu « fourre-tout ». D’ailleurs ça s’est fini là-dessus : à 18h, le public n’en pouvait plus, un pot était prévu, et on nous invitait à sortir de l’amphi tout en continuant à nous donner des non-informations. Les experts étaient à la tribune, le public était de plus en plus debout… « ah la la, les SHS sont bien à la hauteur de leur réputation : ils n’attendent jamais la fin des cours ! », a dit M. Dubucs, dans le micro.

Isabelle Clair, Wilfried Rault, Olivier Roueff – personnels SHS



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