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la situation de la recherche en Italie

mmSNCS-FSU10 février 2006

Situation de l’Université et de la Recherche en Italie

V. F. Polcaro
Chercheur Qualifié, Institut National d’Astrophysique
Rome – Italie
FLC-GCIL

Traduction : Joëlle Casa
Lectrice, Université d’Urbino
Italie
FLC-CGIL

Introduction

Avant de présenter la situation de l’université et de la recherche en Italie, il est bon de rappeler la structure de l’économie italienne : 94% de la production industrielle vient de produits matures ou bien obsolètes. C’est là une conséquence du capitalisme italien car en Italie, comme cela a été reconnu par Antonio Gramsci, il n’y a jamais eu une « révolution bourgeoise » et le capitalisme n’a jamais accompli le passage de la rente au profit. C’est pour cette raison que le capitalisme italien n’a jamais été intéressé par la compétitivité technologique et qu’il a toujours cherché à gagner sur le faible coût du travail et sur la dévaluation de la Lire tant que cela a été possible.
La recherche italienne est cependant en grande partie faite par l’Etat (60% environ) alors que seulement 30% provient des universités. Malgré cela, l’industrie italienne est des plus « généreuses » lorsqu’il s’agit de classifier ses dépenses comme « recherche ».
Le système de recherche italien est donc essentiellement un système public, organisé sur un réseau d’universités et d’instituts publics de recherche, la plupart sous le contrôle du Ministère de l’Instruction, de l’Université et de la Recherche (MIUR).

Les Universités en Italie

A l’heure actuelle 82 universités sont reconnues par le MIUR mais les Universités « historiques » dont quelques-unes remontent même au Moyen Age (Bologne, Rome, Naples et beaucoup d’autres encore) sont au nombre de 47. Elles sont toutes organisées selon les règles d’Humboldt, un mélange de didactique et de recherche, et structurées en Facultés dans le premier cas et en Départements dans le second. Les Facultés tout comme les Départements sont dirigés par des Conseils dont les membres sont tous les professeurs des structures en question ainsi que des représentants élus par les techniciens et d’autres par les techniciens de l’administration (T.A.) ; à ceux-ci s’ajoutent aussi, dans le cas des Facultés seulement, les représentants des étudiants.
Les universités sont dirigées par le Sénat académique composé des Doyens de toutes les facultés et par le Président (« Rettore ») élu par tous les professeurs de toutes les facultés ainsi que par les représentants des techniciens. Peu d’universités ont un statut qui prévoit pour cette élection la participation des représentants du personnel T.A. Les universités « historiques » sont presque toutes publiques avec peu d’exceptions marquantes si ce n’est l’Université Catholique appartenant au Vatican et la «Libera Università di Studi Sociali » appartenant au Syndicat des Industriels « Confindustria ». Les nouvelles universités, presque toutes privées et fondées au cours de ces quatre dernières années, dérivent du modèle des « teaching universities » américaines et se basent très souvent sur le télé-enseignement ; elles sont fréquemment de mauvaise qualité et parfois ridicules voire scandaleuses, comme « L’Université de la Gastronomie ».
La structure des cours universitaires en Italie a été réglementée jusqu’en 1998 par la « Loi Gentile », réforme générale de l’Instruction réalisée en 1928 par le Ministre de l’Instruction fasciste Giovanni Gentile. L’accès à l’université était alors réservé aux étudiants qui possédaient le baccalauréat (au début, exclusivement les étudiants qui provenaient des Lycées et à partir de 1970 même ceux des Ecoles Techniques). Les cours universitaires étaient à un seul cycle, duraient 4, 5 ou 6 ans selon la Faculté et les étudiants obtenaient ainsi le titre de « Docteur » des études en question. En 1982, un cycle supplémentaire de 3 ans a été introduit dans le but de préparer les futurs « Docteur de Recherche ».
Puis en 1998, le Gouvernement de Centre-Gauche changea la structure des cours universitaires. Nous avons actuellement un cycle qui dure trois ans pour un « Diplôme Universitaire » auquel s’ajoute un cycle de spécialisation de deux ans pour les étudiants qui veulent poursuivre leurs études. A la fin de ces cinq années le titre de « Docteur Magistral » permet d’accéder au Doctorat de Recherche. Pour être admis aux cours de Doctorat de Recherche les étudiants doivent passer un concours. Une fois sélectionnés, ils reçoivent une bourse de 800 euros par mois (sans fonds de recherche personnel). Les universités sont aussi autorisées à accepter le même nombre d’étudiants de Doctorat « sans bourse ».
Le gouvernement de droite, à présent au pouvoir, a récemment changé l’ensemble du système universitaire, a réduit le nombre de Facultés accessibles aux étudiants qui proviennent des Ecoles Techniques et a introduit un « Diplôme Universitaire Professionnel » triennal qui a une seule année de cours en commun avec le Diplôme Universitaire et qui ne permet pas d’accéder aux deux années de spécialisation.
La « Loi Gentile » ne prévoyait que deux niveaux de professeurs universitaires : le « professeur titulaire » et l’« assistant ». En 1982 ce dernier disparut et fut remplacé par un nouveau niveau d’accès que l’on appela « Chercheur Universitaire ». Ce niveau qui à l’origine ne devait prévoir aucune activité didactique s’est peu à peu transformé et comporte actuellement les mêmes fonctions que les autres. Enfin, un troisième niveau universitaire appelé « Professeurs associés » fut créé.
Aujourd’hui, le gouvernement de droite a manifestement l’intention de faire disparaître le niveau de « Chercheur » en se servant exclusivement de contrats précaires. Cette « réforme », qui reconduirait la carrière des professeurs universitaires à la structure de la « Loi Gentile », est cependant contestée par la quasi-totalité du monde académique. Le problème principal des universités italiennes, c’est-à-dire un nombre insuffisant de professeurs par rapport au nombre d’étudiants, s’aggraverait considérablement à la suite de l’application de cette « réforme ».
Cette réforme ignore, en outre, le problème de l’enseignement des langues dans les universités italiennes et la nécessité d’une loi qui reconnaisse l’activité didactique que les lecteurs de langue maternelle exercent de façon stable, sans aucune réglementation, depuis plus de vingt ans. Malgré les nombreuses sentences de la Cour de Justice européenne à ce sujet, tous les gouvernements qui se sont succédé ont évité d’en appliquer le contenu et de résoudre le problème. En 2004, la Commission européenne a repoussé le contenu de la loi du gouvernement de droite
n° 63 du 5 mars 2004 qui concerne les lecteurs et a demandé à la Cour de Justice européenne une sanction pour l’Italie de 309.750 euros par jour.
En Italie, le nombre total de professeurs universitaires n’a pratiquement pas subi de changement (environ 50.000) au cours de ces dernières décennies. Ce nombre, tout compte fait approprié tant que l’Université était en quelque sorte destinée à une élite bien précise, s’est révélé insuffisant lorsqu’elle a ouvert ses portes aux études « de masse » et a fini par devenir tout à fait inadéquat quand l’introduction du diplôme universitaire triennal a attiré un nombre croissant de jeunes.
A l’heure actuelle, nous avons en Italie presque deux millions d’étudiants universitaires.

Pendant les dernières années du gouvernement de centre-gauche, et une fois le problème de la
dette publique et de l’entrée dans la zone Euro résolu, les universités avaient bénéficié de ressources qui leur avaient permis d’augmenter le nombre total de professeurs et, au cours de l’année académique 2002-2003, ce nombre avait plus ou moins atteint 60.000 unités.
Ajoutons, toutefois, que le pourcentage de ces ressources résultait nettement inférieur à celui dont avaient disposé, à la même époque, les universités de beaucoup d’autres pays européens.
De plus, avec la Loi de finances 2002 et les deux successives, le gouvernement de droite avait bloqué toute possibilité de recrutement universitaire et avait, par conséquent, provoqué une nouvelle diminution du nombre de professeurs dont la moyenne d’âge était élevée et une série de mises à la retraite.
La situation actuelle est donc, de ce fait, très grave et d’après les dernières données ministérielles nous avons aujourd’hui en Italie 30 étudiants par professeur, ce qui place le pays à la dernière place de l’Europe des Quinze.
Cependant la moyenne générale cache une situation encore plus grave : dans les facultés qui offrent soi-disant plus de débouchés et qui bénéficient donc de plus d’inscriptions, le rapport étudiants/professeurs est malheureusement beaucoup plus dramatique et on arrive à 170 étudiants par professeur à la Faculté des Sciences des Communications.
Pour faire face à ce problème urgent, dès le début de l’année académique 1994-1995, les universités furent autorisées à compléter leur corps académique par « des professeurs à contrat ».
Au tout début, cette utilisation était étroitement liée à la nécessité d’introduire des professeurs externes au système universitaire dont les compétences spécifiques correspondaient aux nouveaux secteurs en voie de développement ou d’intérêt particulier pour le système productif. Mais, face à l’augmentation du nombre d’étudiants et à la suspension du recrutement des professeurs, le nombre de « professeurs à contrat » a énormément augmenté jusqu’à atteindre un total d’environ 20.000 unités en 2003/2004.
Dans la plupart des cas, il ne s’agit plus que d’une nouvelle forme d’emploi précaire qui s’ajoute à environ 25.000 autres précaires du système universitaire dont les types de contrats les plus disparates et les plus diversifiés se somment à des cas éclatants de « travail au noir »
On prévoit que dans les dix années à venir les mises à la retraite seront nombreuses, environ 25 % des professeurs universitaires : 45% des titulaires actuels, mais aussi de nombreux associés ainsi qu’un certain nombre de chercheurs qui en feront de même vu que le manque de fonds a également limité, de façon dramatique, toute possibilité de carrière.
Cette augmentation des retraités engendrera une pénurie de professeurs universitaires de plus en plus grave parce que, même si à partir de cette année la suspension du recrutement est formellement révoquée, elle est en vérité encore en vigueur à cause de la suppression des financements aux universités.
Même au point de vue des financements la situation de l’Université italienne est désormais insoutenable. La lente augmentation des crédits de l’Etat aux Universités, d’environ 7000 millions d’euros en 1994 à plus de 10.000 millions d’euros en 2001 ( à valeur constante en 2003), s’est arrêtée à ce niveau au cours des années des gouvernements de centre et de centre-gauche et, par la suite, les crédits ont même commencé à diminuer.
De même, parallèlement, les financements privés aux universités qui avaient sensiblement augmenté jusqu’en 1998, grâce à la politique des primes à la recherche industrielle, se sont dramatiquement effondrés; à l’intérieur du Syndicat des Industriels (Confindustria) l’opinion des membres les moins intéressés au développement technologique l’emporta, provoquant ainsi un changement d’orientation politique du syndicat.
L’apport le plus significatif au financement des universités provient désormais des droits d’enregistrement payés par les étudiants. Ces versements ont subi ces dernières années de constantes augmentations et actuellement la moyenne nationale correspond à environ 900 euros par an. Cette somme, bien qu’inférieure à la moyenne européenne, se révèle également tout à fait incompatible avec le revenu moyen de nombreuses familles italiennes.

Les Instituts Publics de Recherche (EPR)

En Italie, tout comme en France et en Allemagne, la recherche publique s’articule, en dehors du système universitaire, en un réseau d’Instituts Publics de Recherche (EPR).
Alors que le travail des professeurs universitaires est réglementé par la loi en vigueur qui permet, en outre, d’accroître automatiquement les salaires selon le coût de la vie, les chercheurs et le restant du personnel des EPR ont un contrat national collectif renouvelable tous les quatre ans pour sa partie normative et tous les deux ans pour sa partie salariale.
Cependant, au-delà des différents mécanismes, les chercheurs des EPR sont, eux aussi, structurés sur trois niveaux qui correspondent, quant à la rémunération, plus ou moins à ceux des professeurs universitaires mais qui prévoient, toutefois, une procédure complètement différente lorsqu’il s’agit de réglementer la possibilité d’autogestion de leurs propres organismes.
Tout à fait à l’opposé du système universitaire la structure des EPR, que l’on appelle structure « à cascade » c’est-à-dire « de haut en bas », est fondamentalement hiérarchique et le peu de structures électives existantes (présentes seulement dans quelques Instituts) ont simplement des fonctions consultatives.
La majorité des EPR, qui ont formellement l’autonomie administrative, dépend du Ministère de l’Instruction, de l’Université et de la Recherche (MIUR). Ce ministère contrôle 18 EPR parmi lesquels les plus importants sont le Conseil National des Recherches dans lequel opèrent, dans des Instituts qui s’occupent de nombreuses disciplines différentes, environ 3000 chercheurs, l’Institut National de Physique Nucléaire, l’Institut National d’Astrophysique, l’Institut National de Géophysique et Vulcanologie et enfin l’Agence Spatiale Italienne qui, tout en ayant un nombre de fonctionnaires extrêmement réduit, gère de toute évidence des financements considérables pour les programmes spatiaux dont l’exécution est par la suite confiée à d’autres EPR et à l’industrie ; l’industrie aérospatiale est l’un des rares secteurs de la haute technologie commerciale où l’Italie est encore active.

D’autres instituts de recherche importants, comme l’ENEA (Institut pour les Nouvelles Technologies, l’Energie et l’Environnement), l’ISS (Institut Supérieur de la Santé), l’ISTAT
( Institut Supérieur des Statistiques), dépendent cependant d’autres Ministères. Le personnel qui en fait partie a toutefois le même contrat que celui des EPR sous le contrôle du MIUR à une seule exception près, l’ENEA dont le personnel a un contrat semblable au secteur de l’industrie ; néanmoins, celui-ci subit progressivement des modifications et se réfère de plus en plus au contrat des autres EPR.
Tout comme les universités italiennes, les EPR ont deux problèmes fondamentaux : la carence de financements et l’emploi précaire.
Les fonds publics, qui avaient toujours été trop lentement mais régulièrement augmentés par les gouvernements de centre-gauche, ont subi une forte réduction avec le gouvernement de droite au point d’en arriver à une situation intolérable.
De plus, parallèlement, de nouvelles ressources financières ont été attribuées, en grande quantité, à des Instituts de recherche fantomatiques nouvellement fondés dont les finalités apparaissent des plus obscures, comme l’Institut Italien de Technologie qui opère en chevauchant totalement le rôle et les tâches du CNR et de l’ENEA. Ces nouveaux instituts, naturellement, n’en utilisent qu’une partie et restituent l’excédent au bilan de l’Etat : un exemple édifiant de « finance créative » qui voudrait marquer un intérêt particulier pour la recherche qui, de fait, n’existe pas.
En ce qui concerne l’emploi précaire, il s’était déjà énormément développé pendant ce dernier quart de siècle à cause de la suspension du recrutement qui avait duré de 1982 à l’an 2000. Et c’est toujours à la même époque que s’était imposé le principe de canaliser la plus grande partie des financements de la recherche vers les Instituts qui s’occupaient de l’étude de projets importants, laissant ainsi de côté les financements « ordinaires » et entraînant inévitablement la flexibilité de l’emploi.
Ayant reconnu que la situation était désormais devenue insoutenable (de nombreux chercheurs effectuaient depuis plus de dix ans leur travail avec des contrats à terme et certains même depuis presque vingt ans), le dernier gouvernement de centre-gauche avait commencé à invertir la tendance en organisant plus de 2200 concours pour des postes de chercheurs au CNR.
Malheureusement, un des premiers actes du gouvernement de droite a été celui de bloquer de nouveau le recrutement si bien que l’emploi précaire a, encore une fois, « explosé ».
D’après le résultat d’une enquête qui a été faite récemment par les chercheurs précaires organisés en un Comité qui s’est engagé dans une série de luttes, les précaires représentent 25% du personnel au CNR, 39% à l’INFN, 17% à l’ENEA, 29% à l’ISS, 28% à l’ISTAT mais dans certains instituts moins importants le pourcentage a rejoint, dorénavant, presque 100% du personnel de la recherche.

Conclusion

Les Universités et les Instituts Publics de Recherche italiens constituent encore un système de recherche remarquablement efficace malgré les limitations évidentes des financements et la pénurie de personnel.

Aux effets négatifs produits par un faible intérêt que l’on peut définir « chronique », venant non seulement du système politique mais aussi des entreprises et qui s’est interrompu uniquement à l’époque des gouvernements de centre-gauche et pour peu, s’ajoute désormais une tentative évidente et réelle de démantèlement de la part du gouvernement de droite.
Cette volonté reflète parfaitement le système de l’Entreprise italienne capable exclusivement de rivaliser sur le marché des produits à basse technologie, de tirer profit du faible coût du travail et de la dévaluation de la monnaie tant que cela a été possible.

A cette attaque qui touche également et profondément toute la culture et la liberté de la recherche parce qu’elles représentent un ennemi, des plus dangereux, pour un gouvernement dont les règles sont le mensonge et le populisme, le système académique italien a répondu avec de fortes mobilisations et de fortes luttes absolument insolites pour le pays.
Tous les acteurs du système y ont participé, des présidents universitaires aux précaires, du personnel technique et administratif aux étudiants.

Ces luttes ont eu leur point culminant lors de la grande manifestation qui s’est déroulée à Rome le 25 octobre 2005 contre les réformes du gouvernement de droite ; plus de 125.000 professeurs, chercheurs, lecteurs, techniciens, précaires et étudiants sont descendus dans la rue pour manifester leur désaccord et, en même temps, plus de 20 universités italiennes ont été occupées par les étudiants et, parfois, même par les professeurs.

Cette mobilisation, d’une très grande intensité même dans l’enseignement primaire et secondaire, continue sans relâche et se développe tout autant que la participation au syndicat : la FLC (Fédération des Travailleurs de la Connaissance) a, en effet, désormais dépassé le nombre de 170.000 inscrits.



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