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Vignes OGM de Colmar : divergences syndicales (Libération) (26/08/2010)

mmSNCS-FSU26 août 2010

Hier, les ministres Valérie Pécresse (recherche) et Bruno Le Maire (agriculture) se sont rendus à Colmar pour rencontrer les personnels de l’INRA dont l’essai de vignes transgéniques testant une résistance au virus du court-noué a été dévasté. Une destruction réalisé le dimanche 15 août par un groupe d’une soixantaine de personne à 5 heures du matin.

Les ministres ont réaffirmé à cette occasion leur soutien aux chercheurs et promis des crédits si ces derniers veulent poursuivre cette recherche, mais les scientifiques ont surtout montré leur découragement.

Déjà en septembre 2009 une personne s’était infiltré dans cette parcelle et l’avait en partie détruite. Une note du blog raconte cet épisode. A l’époque je soulignais les particularités de cette expérience : «un essai en champs portant sur des vignes génétiquement modifiée pour résister au virus du court-noué, une maladie transmise par des petits vers (les nématodes) et qui affecte les vignobles.Cet essai était mené avec des objectifs de recherche purs, dans des conditions de sécurités draconiennes, et dans le cadre d’une vaste concertation avec les élus locaux de toutes tendances politiques (Verts compris), les viticulteurs, les ONG écologistes, des membres de la Confédération paysanne. Le tout dans le cadre d’un comité de suivi transparent.» D’autres informations sur ce programme sont disponibles ici.

Il est utile de comparer des réactions syndicales – des syndicats de scientifiques – à cet événement. Elles montrent en effet à quel point une approche idéologique de la technologie de la transgenèse végétale en vient à faire perdre à des scientifiques non seulement leur capacité d’analyse mais même tout sens commun.

Le texte de la CGT Inra, logiquement, proteste contre la destruction de l’essai. Mais souligne surtout que, ce faisant, les « faucheurs » s’attaquent non à une recherche privée dictée par la perspective de profits financiers mais à une recherche publique dont il ne dépend que des citoyens et de leurs votes qu’elle se fixe des objectifs sociaux et écologiques, indépendants des puissances économiques de l’agro-alimentaire. Le texte est ici en pdf..

Le texte de la fédération Sud-recherche est ici en pdf. Il ne comporte aucune appréciation négative sur la destruction de l’essai, ce qui est déjà étrange. Mais sa lecture montre surtout à quel point la dérive idéologique – au sens du refus catégorique d’examiner en pratique les problèmes posés mais à se contenter d’une phraséologie générale – rend tout débat public sur la transgenèse végétale utilisée en agriculture (rien que la formule OGM utilisée sans précision signale, chez les partisans comme chez les opposants, la volonté de s’évader du côté de l’idéologie…) quasi impossible.

Ainsi, le texte de Sud-recherche ne comprend aucune information sur la maladie visée par l’essai (même pas le nom), et surtout le présente dans les termes suivants : «SUD-Recherche EPST a toujours soutenu que les OGM ne constituaient pas une solution d’avenir pour l’agriculture en France, comme ailleurs. Outre les risques sanitaires et environnementaux non maîtrisés, le modèle agricole dans lequel ils s’inscrivent est celui d’une agriculture toujours plus intensive, de type industrielle, qui est destructrice pour l’environnement mais aussi pour la profession d’agriculteur. (…) Nous avons constamment interpellé le ministère de la recherche et la direction de l’INRA pour qu’ils affichent comme priorité le développement d’un autre modèle agricole, basé sur le respect de l’environnement, des consommateurs, qui refusent les OGM dans leur assiette, et de ceux qui produisent ces ressources. Alors que d’autres voies de recherche sur les pratiques culturales restent sous-exploitées, l’utilité des essais sur les vignes transgéniques est aujourd’hui contestée par des viticulteurs qui ont aussi compris que l’image du vin en souffrirait. (…) Plus largement, nous sommes inquiets de la brevétisation du vivant, centrale dans la stratégie OGM, au même titre que la logique d’innovation marchande à court terme imposée par le gouvernement.»

Quels problèmes posent de telles affirmations ? D’abord la phrase «les OGM ne constituent pas une solution d’avenir pour l’agriculture». Elle est complètement vraie et complètement absurde. Vraie parce que d’innombrables problèmes de l’agriculture française n’ont rien à voir avec les OGM, donc leur solution non plus. Et absurde parce que personne, absolument personne, ne pense que les OGM puissent constituer une telle solution générale. Idem pour le modèle d’une agriculture «intensive de type industriel, destructrice pour l’environnement.» Ce modèle existe, par exemple la grande culture du blé, du maïs, de la betterave, l’élevage industriel de poulets…. Mais : quel rapport avec les vignes transgéniques de Colmar ?

L’idée selon laquelle de telles vignes puissent transformer la viticulture française en activité agricole de type industriel est indéfendable. La structure agraire de la viticulture, son usage des produits phytosanitaires et son intensité (production à l’hectare) ne peuvent en aucun cas être affectées dans le sens craint par Sud Recherche au cas où des pieds ou porte-greffes transgéniques résistants au court noué seraient utilisés (et de toute façon, la vigne étant une culture pérenne, son renouvellement est particulièrement lent).

Quant à la crainte de la brevétisation du vivant, je n’ai jamais vu de plante transgénique manifester pour exiger d’être soumise à un brevet. Cette technologie est compatible avec toutes les formes d’organisation existantes et imaginables des systèmes agraires, du collectivisme total au modèle Monsanto. Qu’elle soit utilisée par tel ou tel acteur économique à son profit, qu’elle facilite ou défavorise son intérêt dans un cadre donné est évident… mais le cadre lui même résulte de rapports de production, donc de l’organisation des sociétés et in fine de la politique. Pas de la technologie. Il est assez piquant de voir des scientifiques réunis dans Sud recherche développer un point de vue sur les relations entre technologies et organisation sociale qui relève de la vulgate stalinienne du matérialisme historique.

Que les vignes transgéniques de Colmar puissent être utilisées à des fins de conviction auprès de la populations par les partisans de l’usage massif de la transgenèse végétale dans des stratégies de domination et de profits financiers est une évidence. Mais faut-il répondre à ce risque par un discours similaire, symétrique, au mépris de la vérité ? Est-il nécessaire pour dénoncer les risques agronomiques, environnementaux et l’effet sur les structures agraires des semences de Monsanto tolérantes à son herbicide au glyphosate (la majorité des plantes transgéniques actuelles) de raconter des sornettes sur un essai de vignes transgéniques résistantes à un virus aujourd’hui traité par des méthodes chimiques brutales, ou l’abandon du sol durant dix ans ? Une maladie dont les dégâts se chiffrent en centaines de millions d’euros chaque année pour la France. Est-il honnête de cacher que l’INRA de Colmar a entamé un programme de recherche de dix ans sur une stratégie alternative à la transgenèse – l’usage de plantes tuant les nématodes transportant le virus – ce qui permet de comparer avantages et inconvénients des deux méthodes ? Est-il honnête de cacher que l’INRA expose sans tricher ses résultats, y compris que les trois premières années d’essai ont montré que le porte-greffe transgénique ne fait que retarder de 1 à 3 ans l’apparition de la maladie ?

Le plus gros problème posé par la stratégie de lutte des « faucheurs » n’est pas qu’ils puissent être efficaces. L’évolution des cultures transgéniques dans le monde et surtout l’explosion du nombre des plantes sur lesquelles sont conduites des recherches utilisant la transgenèse en Chine par exemple, montrent que le blocage de cette technologie n’est pas à leur portée. En revanche, elle contribue (modestement, Monsanto ou les fanas des OGM, y compris des politiques, en sont bien plus responsables) à empêcher un débat public rationnel : « nous voulons bien de cette plante transgénique là, mais nous ne voulons pas de celle-là » fondé sur les avantages et inconvénients de chacune. Or seule cette approche rationnelle peut déboucher sur l’interdiction de telle ou telle plante transgénique, justement parce qu’elle en autorise d’autres. Et que cette interdiction soit fondée sur les effets agronomiques, environnementaux, sanitaires ou sociaux.



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