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Un rapport ambivalent de la Cour des comptes sur les chercheurs

mmSNCS-FSU2 mars 2015

par Henri Audier, membre du Bureau National du SNCS-FSU

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Dans son rapport annuel, la Cour des comptes a consacré un chapitre à la gestion des chercheurs sous l’intitulé : « La gestion des chercheurs : des améliorations encore nécessaires ». Sa connotation globale n’est pas négative – surtout par rapport à d’autres chapitres – comme en témoigne l’introduction : « En 2013, 16 662 chercheurs statutaires sont en activité dans les huit EPST [dont Cnrs, Inserm, Inra, Ird, Inria, etc.], contre 17 005 en 2006. S’y ajoutent près de 4 300 chercheurs contractuels, hors doctorants. Le CNRS concentre à lui seul les deux tiers de l’effectif. La recherche publique en France est attractive et largement internationalisée : au 31 décembre 2012, plus de 2 200 chercheurs permanents, soit près de 14 %, étaient de nationalité étrangère. La France se situe au 6e rang mondial des publications scientifiques, avec 3,6 % de celles-ci, un indice d’impact des publications en hausse régulière (passant de 0,91 en 1993 à 1,10 en 2012) et le plus fort taux de collaboration internationale (plus de 48 % des publications associant au moins un laboratoire à l’étranger). Enfin, depuis 2002, le prix Nobel a été attribué à sept chercheurs français et la médaille Fields à cinq d’entre eux. »

I- Les données du rapport confirment les grosses difficultés de carrières des chercheurs

Des données relatives à la précarité

D’après le rapport, on observe « une forte croissance des effectifs de chercheurs contractuels des EPST (+ 22 % entre 2008 et 2013). Alors qu’ils représentaient en moyenne un chercheur sur cinq en 2006, leur part, doctorants compris, atteint un sur trois en 2013, soit un effectif de 7 800 contractuels. En 2013, les postes de chargés de recherche (CR) ouverts par les EPST (461) étaient en nombre neuf fois inférieur à ceux de chercheurs contractuels (hors doctorants) rémunérés par ces EPST (4 274). Ces établissements ne pourront donc pas recruter l’ensemble du personnel engagé dans une carrière de chercheur en leur sein. »

« Entre 2006 et 2013, le nombre de recrutements de CR a baissé de 22 %. La plus grande sélectivité à l’entrée des EPST, [conduit à] une augmentation sensible de l’âge moyen au recrutement et des passages plus tardifs aux grades et corps supérieurs. [La sélectivité] est forte, par l’effet conjugué de la baisse des postes ouverts et d’une augmentation du nombre de candidatures. Elle est particulièrement élevée pour le concours de recrutement des CR de deuxième classe du CNRS, de l’IRD et de l’INSERM, où en moyenne plus de 20 candidatures sont présentées par poste ouvert. Le nombre moyen d’années de post-doctorat effectuées se situe entre 2 et 5,5 ans, la durée la plus longue étant enregistrée à l’INSERM. (…) L’âge moyen de recrutement des CR de deuxième classe confirme l’allongement de la période post-doctorale (au CNRS, 30,8 ans en 2006 et 32 ans en 2013 ; à l’INSERM, 32,4 ans en 2006 et 34 ans en 2013). »

Sur le blocage des carrières

Le rapport souligne en termes feutrés l’échec du Plan carrière de 2008. A juste titre, la Cour souligne que « L’entrée tardive dans les corps de chercheurs a plusieurs conséquences : (i) sur le niveau de rémunération des chargés de recherche de deuxième classe au regard de leur âge et du niveau de qualification demandé ; (ii) sur les passages aux grades et corps supérieurs ; (iii) sur la constitution des droits à la retraite. »

Ainsi, des meures jadis positives de « validation », des années de recherche avant recrutement, sont désormais dépassées : « Étant donné les conditions de prise en compte de l’expérience post- doctorale, les chargés de recherche de deuxième classe sont fréquemment bloqués aux deux derniers échelons du grade pendant quatre ans et obtiennent quelques points d’indice supplémentaires lorsqu’ils accèdent au grade de première classe. 25 % à 30 % d’entre eux restent au dernier échelon de chargé de recherche de première classe. Ainsi, (…) à l’INRA, en moyenne, 25 % des chercheurs admis à faire valoir leurs droits à la retraite sont chargés de recherche de première classe ; à l’INSERM, 41 % des chercheurs ne sont pas promus directeurs de recherche. La baisse des recrutements dans le corps des directeurs de recherche, conséquence de la stagnation des effectifs et du report de l’âge de départ à la retraite, ne fait que renforcer ce goulet d’étranglement. »

La Cour fait aussi état de la difficulté d’accès aux grades les plus élevés : « L’avancement des chercheurs se caractérise par une difficulté à accéder au grade supérieur. En 2012, seuls 2 % des chercheurs sont directeurs de recherche de classe exceptionnelle ». Ou encore : « 70,7 % des directeurs de recherche sont directeurs de recherche de deuxième classe, 24,4 % sont directeurs de recherche de première classe et 4,8 % ont atteint la classe exceptionnelle. »

Un déclassement de 21 000 €/an des carrières des chercheurs et des E-C

« Le taux de primes en 2011 pour l’ensemble enseignement supérieur, recherche et assimilés était de 13 %, alors qu’il était de 53 % pour l’ensemble des corps de catégorie A+. Ainsi, alors que le traitement indiciaire annuel moyen de cette catégorie est inférieur de 2 000 € au traitement indiciaire moyen des corps de catégorie A+, la rémunération totale est inférieure de plus de 21 000 € à la rémunération moyenne compte tenu de l’écart très important induit par les primes. »

II- La Cour garde plusieurs aspects erronés dans sa vision de la recherche

Une vision « made in USA » du post-doctorat
La Cour revendique que, dès son rapport de 2003, « elle avait relevé la faiblesse de l’effectif de post-doctorants au sein des laboratoires français, alors même que leur rôle était particulièrement important au sein des laboratoires étrangers. » Elle se félicite du reste que les vannes au recrutement de post-docs aient été ouvertes et que les effectifs de chercheurs contractuels dans les EPST se soient accrus de + 22 % entre 2008 et 2013 (voir partie I de ce texte).

La Cour avalise donc le post-doc, un concept né aux USA afin d’importer massivement des talents du monde entier vers les USA (brain drain). Pendant longtemps, le recrutement statutaire en France des chercheurs et des E-C s’est effectué jeune, y compris avant la thèse, en tant qu’attachés ou assistants. La pénurie de postes budgétaire, couplée aux besoins de mains d’œuvre d’une biologie en pleine expansion, ont fait triompher en France aussi le post-doc de longue durée, bien au-delà d’un ou deux ans après la thèse. Pourtant la Cour a conscience du blocage : « les EPST ne pourront donc pas recruter l’ensemble du personnel engagé dans une carrière de chercheur en leur sein » (voir partie I). Pour autant, la Cour ne propose rien d’autre que d’avoir de « bonnes pratiques » pour la gestion des post-docs, « de mieux réguler cette catégorie de personnel contractuel et de renforcer la responsabilité sociale des employeurs. » Un plâtre sur une jambe de bois dans la mesure où elle s’interdit de proposer la création de postes budgétaires et ne dit rien de l’ANR.

Une incompréhension de la nature de la recherche

« Un recrutement des chercheurs statutaires sans lien avec les priorités nationales » ? Ce disant le rapport formule un reproche majeur, qui pourrait bien remettre en cause le recrutement par concours : « En 2009, la stratégie nationale de recherche et d’innovation (SNRI) a confirmé les trois axes prioritaires : la santé, le bien-être, l’alimentation et les biotechnologies ; l’urgence environnementale et les écotechnologies ; l’information, la communication et les nanotechnologies. Or la répartition des effectifs titulaires par discipline sur la période examinée reste relativement stable. » La Cour n’a de plus pas compris l’attitude des responsables d’EPST qui, eux, savent qu’il faut dix fois plus de temps pour créer une équipe de haut niveau que pour la dissoudre. Or le nombre de postes budgétaires disponibles, en baisse, n’a pas même été suffisant pour maintenir à flot les laboratoires bien évalués.

Mais (ouf !!) la Cour souligne que, par contre, « l’effectif de chercheurs contractuels (…) a fortement augmenté avec la multiplication des appels à projets, lesquels s’inscrivent, en général, dans les priorités stratégiques. La Cour considère que, pour être efficace, la politique de recrutement doit appréhender globalement les chercheurs statutaires et contractuels, au regard des priorités stratégiques de la SNRI. » D’où la proposition de nouvelles procédures : « Afin de répondre aux priorités scientifiques, d’anticiper et de lisser les évolutions, le ministère doit, conjointement avec les établissements, et sur la base des capacités budgétaires libérées par les départs, définir un plan pluriannuel de recrutement par discipline. Cette initiative est d’autant plus nécessaire que le vivier constitué par les post-doctorants s’est largement étoffé. » On ne saurait mieux dire qu’on fonctionne à moyens constants et, de plus, en s’appuyant sur l’ANR.

Il y a longtemps que le SNCS-FSU a fait des propositions pour répondre au problème posé par la Cour, mais cela ne peut se faire à moyens constants ou par des procédures technocratiques. Par exemple : « Il est du droit et du devoir d’un gouvernement d’avoir ses propres attentes vis-à-vis de la recherche [au-delà des recherches liées au progrès des connaissances], notamment dans les domaines sociétaux. En plus de la discussion avec les EPST et les EPIC (…), des programmes finalisés pourraient être mis en œuvre. Dans un tel cas, il conviendrait qu’une instance mixte entre la représentation parlementaire (OPECST) et la communauté des chercheurs traduise en termes scientifiques cette demande politique. La mise en œuvre devrait s’appuyer sur les organismes concernés et être gérée par l’un d’eux. Dans tous les cas, ces programmes devraient fonctionner avec du personnel statutaire et non des CDD. »

Par contre, le rapport offre une base de discussion pour les échanges avec les E-C
« La plupart des EPST affichent une volonté d’inciter leurs chercheurs à la mobilité, mais des résistances en limitent le recours. La charge d’enseignement des enseignants-chercheurs (192 heures équivalent TD par an) est mise en avant comme frein principal au détachement vers l’enseignement supérieur (…). » Et la Cour de proposer l’affichage réciproque de postes d’accueil : « il serait souhaitable de réserver des contingents d’emplois de professeur ou de maître de conférences des universités à un nombre limité de chercheurs avec possibilité d’intégration. Outre qu’elle autoriserait une reconversion dans un corps réputé plus attractif pour la seconde moitié de carrière, cette procédure permettrait de libérer des postes dans le corps des chargés de recherche et d’offrir plus de débouchés aux jeunes docteurs. Ayant pour effet de limiter les possibilités de promotion des enseignants-chercheurs, elle ne pourrait être acceptée que si les possibilités d’accueil des enseignants-chercheurs dans les EPST étaient également facilitées. » Dans la mesure où ces échanges seraient équilibrés, c’est aussi la demande du SNCS-FSU.

Une approche technocratique des carrières
La Cour a compris « l’opposition qu’a suscitée cette nouvelle prime [la PES] de la part de chercheurs qui ont fait valoir le caractère collectif des travaux de recherche, jugé incompatible avec une rémunération de leur performance individuelle. » Mais elle déplore que « l’évaluation individuelle des chercheurs, dont le principe est largement admis au sein de la communauté scientifique, continue à n’avoir un effet qu’au moment des changements de grade, peu nombreux au demeurant au cours de la carrière. »

De mon point de vue, le travail d’un chercheur s’évalue sur une longue période (passage de grades), la remise en compétition tous les ans n’ayant aucun sens et étant très chronophage pour les instances scientifiques. Point n’est besoin d’une PES (PEDR) pour avoir « une évaluation individuelle des travaux scientifiques, dont les chercheurs ont pourtant de longue date la culture et sur laquelle s’appuient les promotions de grade. » Rien ne sert de rajouter une procédure. Il faut notamment utiliser l’argent de la PES-PEDR pour à la fois répondre aux demandes implicites de la Cour et aux nôtres à savoir d’améliorer les rémunérations, vu le retard salarial des chercheurs sur les catégories A+ de la fonction publique :

 Améliorer le salaire de recrutement, les validations, tout en fluidifiant les débuts de carrières

 Accroître nettement les possibilités de promotions de façon qu’il n’y ait pas de blocage d’accès aux grades.

 Introduire éventuellement une promotion au choix au cours de chaque période (CR1, DR2, DR1).

Nous ne paraphraserons pas ici le rapport, notamment sur l’ISFIC (Indemnité spécifique pour des fonctions d’intérêt collectif) ou sur « une utilisation abusive du compte épargne-temps » : consulter
https://www.ccomptes.fr/Publications/Publications/Rapport-public-annuel-2015
cc-chercheurs.pdf



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