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Ligne Fioraso, ligne Maginot … SNCS-Hebdo 13 n°6 du 15 mai 2013.

mmSNCS-FSU15 mai 2013

Christophe Blondel, trésorier national du SNCS-FSU

Le projet de loi de loi relatif à la recherche et à l’enseignement supérieur (ESR), au travers des multiples avatars par lesquels il est passé depuis le printemps 2012, nous a menés de déception en déception. Des promesses minimales qu’avait reçues la communauté scientifique à l’issue des Assises de l’ESR – y compris celle, formellement exprimée par la ministre de « remplacer » l’Agence d’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur (AERES) » – il ne reste à peu près rien.

Ce n’est pas hélas, que ce projet de loi soit complètement vide. Mais les seuls éléments concrets qu’il introduit prennent l’allure de paradoxaux retours en arrière. Telle l’institutionnalisation du pouvoir des régions non seulement sur l’enseignement supérieur mais aussi sur la recherche. La recherche aurait plutôt besoin qu’on passe d’une échelle purement française à une échelle européenne … Mais non. Au lieu de voir plus grand, on choisit délibérément de voir plus petit.

Le sommet de la frilosité est atteint avec la révision de l’article L111-6 du code de la recherche, conçu pour construire le rempart d’une « stratégie nationale de recherche ». On ne parlait jusqu’ici, raisonnablement, que de « choix en matière de programmation et d’orientation des actions de recherche ». Mais la conception d’une recherche essentiellement dirigée par la curiosité scientifique ne semble plus, hélas, trouver grâce aux yeux du gouvernement. Vive la stratégie ! Mutatis mutandis on est juste en train de construire une nouvelle ligne Maginot.

SNCS Hebdo 13 n°6 Version pdf

A côté de ses manques criants en matière de programmation et de moyens, en marge de la conception réductrice qu’il semble vouloir pérenniser pour l’évaluation de la recherche, le projet de loi relatif à l’enseignement supérieur et à la recherche est porteur d’une conception de la recherche qui attire moins l’attention, mais qui n’est pas moins dangereuse. Cette conception s’affiche dans l’article 11, censé fonder une « stratégie nationale de recherche ».

L’article visé du code de la recherche (art. L111-6) n’est pour l’instant qu’un modeste article d’une seule phrase, qui parle seulement de « choix (…) arrêtés après une concertation étroite avec la communauté scientifique, d’une part, et les partenaires sociaux et économiques, d’autre part. »

Au lieu de cette simplicité de bon aloi (des « choix » peuvent certes être nécessaires), le nouvel article L111-6 apparaît comme une usine à gaz destinée à mettre au point – et à faire évaluer a posteriori – une « stratégie nationale de recherche ». Corsetée par l’avis « des partenaires sociaux et économiques, [des] ministères concernés et [des] collectivités territoriales », la stratégie en question ferait certes encore l’objet d’une « concertation avec la communauté scientifique » … sauf que, bizarre, elle ne serait plus « étroite » ! Le gouvernement a visiblement la plus haute estime pour les acteurs de la recherche scientifique.

Cet engouement soudain pour une « stratégie nationale de recherche », alors qu’on ne s’en est pas trop mal passé jusqu’ici, ne peut être ressenti par la communauté scientifique que comme une insulte. La France n’a pas à rougir des résultats qu’elle obtenait, en matière de recherche scientifique, au 20e siècle et, malgré les difficultés ajoutées par dix ans de droite au pouvoir, encore récemment. Au palmarès des publications, la France avait encore en 2008, un meilleur rendement, si l’on peut dire, que les Etats-Unis d’Amérique, puisque ceux-ci, en consacrant 9 fois plus de moyens à la recherche-développement, n’arrivaient à produire que 6 fois plus de publications que nous sans stratégie !(1)

L’obsession de la stratégie, affichée aujourd’hui sans complexes, se nourrit évidemment de l’obsession de la compétitivité. Mais à charger la recherche publique d’une mission de redressement économique, on ne fait, tout en asphyxiant la recherche fondamentale, qu’exonérer à bon compte les industriels du devoir de faire de la recherche eux-mêmes, et on précipite la catastrophe. Cette « stratégie nationale » pourrait bien n’être que le paravent de la faiblesse de la recherche industrielle privée. Hélas on ne guérit pas une faiblesse en la cachant ! Quant à l’utilité de la stratégie pour la recherche amont, elle est bien décrite par le mot de Napoléon : « N’ira pas loin celui qui sait d’avance où il veut aller ».

Dans l’état de détresse budgétaire où se trouvent aujourd’hui l’Université et la recherche publique, amuser la galerie avec ces histoires de stratégie a quelque chose d’indécent. Aucune stratégie ne sera jamais un substitut pertinent à l’absence de moyens. Parce que « la meilleure stratégie consiste à être toujours très fort »(2), il est essentiel de maintenir un appareil de recherche publique fort, dans lequel les chercheurs restent libres de mener leurs investigations là où les portent les résultats de leurs recherches et la curiosité scientifique. Ce n’était pas par « stratégie nationale » que quelques biologistes français étudiaient, avant 1981, les rétrovirus. Ils s’étaient cependant – évidemment sans le savoir – préparés ainsi à être les premiers en ligne contre le virus du SIDA. Ce n’est sous la commande d’aucune « priorité » nationale que les climatologues ont mis en évidence l’origine anthropique du réchauffement climatique. Les « défis sociétaux », sur lesquels le projet de loi veut fonder la stratégie de recherche, ne s’éveillent bien souvent qu’à la suite des découvertes scientifiques.

La « stratégie nationale » qu’on nous promet a toutes les chances de présenter les mêmes défauts que la ligne Maginot : si bien conçue, si stratégique et finalement si sclérosante … En cantonnant la recherche des dix prochaines années aux thèmes aujourd’hui à la mode – c’est le principe des IdEx – on construit les casemates depuis lesquelles nous nous verrons dans dix ans, dépassés par les pays qui auront fait confiance à leurs chercheurs. Qu’on laisse donc les chercheurs d’ici, pour les priorités, les choix scientifiques, l’évaluation, mener la barque de la recherche française comme il convient ! Sans liberté, la recherche n’a pas d’avenir.


1. Indicateurs de sciences et de technologies, Observatoire des sciences et techniques, 2010, http://www.obs-ost.fr/sites/default/files/R10_Complet.pdf

2. Carl von Clausewitz, De la Guerre, livre III, chapitre 11 (1832).



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