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Le Téléthon et le financement de la recherche médicale en France (Libération 26/04/2011)

mmSNCS-FSU2 mai 2011

Par YÉZÉKIEL BEN-ARI Neurobiologiste, fondateur et directeur honoraire de l’Institut de la Méditerranée (Inmed). Lauréat du Grand Prix Inserm 2009.

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Après les différents débats, conflits et discussions qui ont entouré le dernier Téléthon, en décembre 2010, il est temps de faire le point sur ce qui est le plus important : le financement de la recherche médicale en France.

Le désenclavement des handicapés et de leur famille, les consultations multidisciplinaires, le transfert des avancées génétiques vers la pratique médicale, l’enthousiasme de milliers de personnes œuvrant ensemble attestent du succès justifié du Téléthon. Reste que, après vingt-cinq ans, l’opération est fragilisée par un tarissement des dons et des critiques d’autres associations, notamment sur sa prépondérance médiatique. Dans d’autres pays, Téléthon ne rime pas avec myopathie. Les Britanniques ont «Children in Need», les Espagnols «Gala Innocente», les Australiens «Channel Seven Perth Telethon» au profit d’hôpitaux pour enfants. Un débat serein pourrait éviter un échec du Téléthon qui ne bénéficierait à personne. Plusieurs points doivent être évoqués.

La vulnérabilité de la recherche publique. Le budget annuel de l’Association française contre les myopathies (AFM) – 90 millions d’euros – est important. En comparaison, avec un budget 2011 de 140 millions d’euros (hors salaires et en recul par rapport à 2010), l’Inserm doit couvrir tous les domaines de la recherche biomédicale. Malgré les plans campus, pôle d’excellence, pôle de compétitivité, les budgets des organismes de recherche en biologie-médecine sont en baisse constante. Un bon laboratoire doit trouver à l’extérieur de son organisme 60% à 80% de son budget contre 20% à 30% il y a encore dix ans, ce qui accroît l’attractivité de l’AFM. De plus, comme dans d’autres services publics, on sabre dans le nombre de postes statutaires, à la place, on recrute des post-docs et des techniciens en CDD. Les chercheurs français passent plus de temps à chercher des finances que leurs collègues américains, car les sommes attribuées sont plus faibles et l’administration franco-ubuesque. Cet ensemble rend la recherche publique plus vulnérable et la tentation de travailler sur des thèmes qui rapportent est d’autant plus forte.

La communication. L’attraction des médias pour le spectaculaire et les promesses de guérison résonnent en écho avec l’importance excessive accordée en sciences aux scoops, publiés par des revues scientifiques à «fort impact». Cette vision conduit à une mise sous tutelle de la recherche. Umberto Ecco expliquait qu’un bon chercheur ne doit pas promettre n’importe quoi pour attirer investisseurs et médias, car il réduit la frontière entre le scientifique et le magicien, rendant grande la tentation de préférer «la copie à l’original».

Le choix des maladies privilégiées. Le Téléthon s’occupe des myopathies (une quarantaine de milliers de malades en France) et de maladies rares (en tout, plus de 2 millions de malades). Seules quelques-unes sont aidées : 24 essais cliniques en 2011 pour un éventail de maladies dont 10 éventuellement traitées par thérapie génique, 9 par des approches pharmacologiques et 5 par thérapie cellulaire. Comment sont choisies les maladies «primées» ? Sont-elles choisies quand une thérapie semble possible, afin de permettre au Téléthon d’engranger le bénéfice télévisuel de travaux ayant pris des années d’efforts, notamment par les structures publiques de recherche ?

Par ailleurs, il faut savoir que les grands fléaux neurologiques – Parkinson, Alzheimer, épilepsies, autisme, dépression, anoxie cérébrale à la naissance, accidents cérébro-vasculaires – sont que peu ou pas concernés. Certes, le Téléthon n’est pas responsable de cette situation. Mais le financement caritatif de certaines maladies est ridicule : quelques dizaines de milliers d’euros par an pour une fondation en charge des épilepsies, et à peine 2 euros pour chacun des 125 000 patients infirmes moteurs cérébraux. Ces problèmes doivent être soulignés même s’il n’y a pas de réponses évidentes.

La thérapie génique, choisie depuis les origines par le créateur du Téléthon comme graal de la guérison des myopathies, est discutable. L’écrasante majorité des maladies neurologiques n’est pas liée à une anomalie d’un seul gène mais «sporadique» ou due à des complexes multigéniques que l’on ne répare pas en corrigeant «l’orthographe» du gène. L’extraordinaire plasticité cérébrale et l’expression précoce, in utero, de bon nombre de malformations rendent illusoire la thérapie génique de ces maladies. Certes, l’identification de mutations a permis de développer des modèles animaux utiles, mais il faut ensuite se baser sur des expertises en physiologie, biochimie, anatomopathologie, etc. afin de transformer ces avancées en thérapies. Malheureusement, ces disciplines sont asséchées à cause d’un pilotage de la recherche par le court terme. Ainsi, on continue à privilégier l’identification de nouvelles mutations dans des formes familiales de retard mental ou d’autisme (262 à l’heure actuelle), mais les rares essais cliniques en cours n’ont souvent pas grand-chose à voir avec ces mutations. Les thérapies cellulaires ne semblent pas non plus devoir fournir de solutions à grande échelle aux maladies neurologiques comme la chorée de Huntington ou la maladie de Parkinson. Il n’est pas question de contester l’importance des essais thérapeutiques réussis grâce au Téléthon dans d’autres domaines (l’immunologie par exemple), mais il convient de souligner qu’elles achoppent souvent dans le domaine neurologique.

Quelles propositions ? Il faut une meilleure coordination entre la recherche publique, le Téléthon et les autres associations caritatives. Accroître le financement de la recherche publique garante d’une recherche fondamentale tous azimuts. Rapprocher la science du citoyen en utilisant les médias à bon escient pour former et expliquer pourquoi la recherche n’aboutit pas rapidement à des thérapies. Considérant que les succès du Téléthon viennent pour l’instant d’autres maladies que ses cibles historiques, le Téléthon pourrait choisir des projets mûrs pour l’exploitation clinique et se concentrer sur la thérapie de quelques maladies handicapantes rares, mais de façon explicitée. C’est dans ces conditions, et en laissant une place aux autres acteurs de la recherche, que le Téléthon sera pérennisé.



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