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La prime d’excellence scientifique pour les chercheurs : 20 % de bons, 80 % de cons. (07/10/09)

mmSNCS-FSU7 octobre 2009

Par Henri Audier


La PES, prime d’excellence scientifique, a été créée. Les textes dont nous disposons (ministère, organismes) sont en annexe. Vous pouvez aussi consulter : http://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do ?cidTexte=JORFTEXT000020833322&dateTexte=&categorieLien=id

En résumé, la PES remplace la PEDR ; elle s’adresse aux chercheurs comme aux enseignants-chercheurs. Appliquée aux organismes, elle est censée récompenser l’excellence scientifique des CR et des DR, mais pas des ITA. Le ministère laisse la possibilité aux établissements de déterminer les critères d’attribution et les procédures de choix. Tous les organismes n’ont pas encore publié leur règlement.

Il existe 3 catégories de bénéficiaires, pour une durée d’au moins quatre ans. D’après le ministère, 20 % des chercheurs devraient bénéficier de cette prime. Les barèmes ne sont pas officiels partout, mais on connaît les ordres de grandeur.

(i)les chercheurs lauréats d’une distinction scientifique nationale ou internationale : 25 000 €/ an ;

(ii)ceux apportant une contribution exceptionnelle aux missions de l’établissement : 3 500 à 15 000 € ;

(iii)les chercheurs dont l’activité scientifique est jugée d’un niveau élevé par les instances d’évaluation à condition d’enseigner (ou de s’engager à) au moins un tiers de service : 2500 à 6000 €/an pour les CR, 5000 à 9000 €/an pour les DR (voir textes INRIA et IRD).

Ces sommes sont loin d’être négligeables Il est certain qu’il y a une disparité apparente entre enseignants-chercheurs et chercheurs. Disparité car, en plus des différentiels de vitesses de passage de grades, les chercheurs ne touchent pas la PEDR. Apparente, parce que les chercheurs sont payés en heures supplémentaires s’ils font 10 %, 20 %, 30 % d’un service d’enseignement, les E-C évidemment pas. Il est certain aussi que les carrières et les salaires sont profondément dégradés. Mais la PES répond-t-elle à ce problème ? Pour la grande majorité des chercheurs, elle aggravera la situation.

Oui, les carrières doivent être très fortement revalorisées. Cela est d’autant plus nécessaire que le vieillissement de l’âge de recrutement entraîne un gros retard dans la carrière qui se répercute sur le salaire toute la vie. S’agissant des chercheurs et des ingénieurs, la reconnaissance de la thèse (ou équivalent) dans les statuts du public, et pas seulement dans les conventions collectives, la comparaison avec des carrières de ce niveau de qualification, suppose une revalorisation située entre 700 et 1000 € / mois.

Certes nous sommes modestes et n’avons pas l’ambition d’avoir les revenus des professions libérales, ni même la carrière d’un cadre sorti d’une Ecole de Marketing ou de Management. Encore moins des professions qui, par leurs revenus, confinent au parasitisme comme les traders. Mais une revalorisation moyenne des salaires dans l’enseignement supérieur et la recherche de 30 % est le minimum de ce qui est nécessaire. La masse salariale correspondante étant de l’ordre de 10 milliards, cette nécessaire revalorisation reviendrait à 3 milliards. Tiens 3 milliards annuels, c’est exactement la baisse de la TVA sur la restauration qui a servi à l’amélioration du pouvoir d’achat des restaurateurs. Le projet est-il de ne faire de la France qu’un grand pays touristique comme les Maldives. …

Oui, les carrières doivent être différentielles. Certes dans le cadre de cette revalorisation, il conviendra de refondre les « grilles » et d’intégrer toutes les primes (sauf d’astreinte, voire de fonction) dans le salaire, de façon à ce qu’elles comptent pour la retraite. Mais, il faudra intégrer les différentiels de carrières dans le cadre des statuts.

En effet, les trois milliards de plus ne devraient pas signifier une progression identique pour tous. Certes, les carrières doivent être toutes revalorisées, mais d’une manière différentielle et sur une pluralité de critères. Et c’est très simple à faire. Il y a 4 passages de grades chez les chercheurs. Il suffit de mettre le nombre suffisant de possibilités de passage pour faire un « tamis » efficace et, en même temps, pour améliorer la situation de chacun. On pourrait même recréer les « promotions au choix » (saut d’échelon). Afin d’améliorer et de différencier les carrières, plutôt que d’instituer une prime pour 20 % des chercheurs, fixons par exemple l’objectif qu’autour de 50 ans, 20 % des chercheurs aient atteint le grade de DRE, (alors que ce grade est quasiment inaccessible aujourd’hui), X % en DR1, Y % en DR2 . Même principe pour les ingénieurs.

La PES donne aux « meilleurs » moins que la carrière minimale souhaitable pour tous Grand seigneur, le gouvernement accorde donc à 20 % des chercheurs (taux avancé au ministère) qu’il considère comme « excellents », une prime de l’ordre de 10 % du salaire, soit une revalorisation de carrière nettement inférieure à la carrière minimale souhaitable.

Bien sûr, vu la dévalorisation des métiers, beaucoup considèreront que tout ce qui améliore leurs revenus est bien venu. Mais il y aura beaucoup de désillusion car, à juste titre 80 % de chercheurs se considèrent comme « bons », voire « excellents », au sens où ils font leur travail de recherche, ont une reconnaissance ou une notoriété et assument, le plus souvent, une autre activité relevant de leurs missions statutaires (enseignement, encadrement, valorisation, administration, diffusion de la culture scientifique, etc.). Or, la politique de la PES suppose qu’il n’y aura que 20 % « d’excellents » et privilégie une seule des missions connexes : l’enseignement. Avec un effet « durable ».

Une dichotomie artificielle qui conduit à sacrifier la majorité des carrières Si on peut répondre dans le cadre des statuts au continuum qui existe dans l’engagement, l’originalité et les résultats des chercheurs, cela n’est pas possible par un procédé « binaire » (on gagne ou on perd). Ce d’autant que la PES entraînera une sur-hiérarchisation des carrières et des carrières à deux vitesses. En effet, « la PES est cumulable avec d’autres primes ou rémunérations accessoires et avec la rémunération des activités d’enseignement ». C’est-à-dire que les gagnants vont être rétribués deux ou trois fois pour la même raison. Mais elle aussi renouvelable : « la PES est versée sur une période de quatre ans. Son attribution peut faire l’objet d’un renouvellement. Son montant peut faire l’objet d’une révision, au cours de la période de quatre ans, après une nouvelle évaluation ».

En d’autres termes, quelqu’un qui aura eu la chance (par son sujet, son labo et surtout par sa bibliométrie) d’obtenir tôt une PES, aura une grande probabilité de la garder, car la lui enlever sera perçu comme une sanction imméritée. Car tout est lié : le chercheur qui aura une PES, l’indiquera sur sa demande de contrat ANR qu’il aura plus de chances d’obtenir, puisqu’il est « excellent ». Mais l’obtention du contrat ANR lui donnera encore plus de chances de garder la PES. Et comme il aura des contrats ANR et qu’il sera « excellent », il aura un gros « plus » pour le passage de grade, après obtention duquel, il pourra demander une augmentation de la PES. Par contre, pour la majorité des chercheurs, qui n’entreront jamais dans le système, non seulement ils n’auront pas la PES mais ce fait pèsera négativement sur leur passage de grade, voire leurs moyens de travail.

De plus, quelles que soient les proclamations que fera le ministère pour lancer l’opération en affirmant, qu’il y aura en 2009 une ligne spécifique pour payer la PES, il est à craindre que celle-ci soit prise en partie sur le même argent que celui des carrières : « les crédits budgétaires destinés à la PES peuvent être abondés dans le cadre des règles de fongibilité asymétrique [suppressions de postes] et par financement sur ressources propres ». Pour la majorité des chercheurs, la carrière va donc se dégrader.

Le reflet d’une double campagne idéologique La PES est le reflet d’une double campagne idéologique. La première, comme partout, affirme qu’il faut être très sélectif, encourager le mérite, le travail, la volonté d’entreprendre en payant à la carte. Ainsi, dans notre milieu, il y aurait aussi de (rares) petits génies, qu’on peut détecter très tôt, qu’il faut pousser fortement en leur donnant des super-carrières, des « chaires », des surprimes. La deuxième consiste à dévaloriser et considère que, comme tous les corps de fonctionnaires, mal payés et qui ne foutent rien, les chercheurs et ingénieurs sont des corps médiocres qu’il faut mettre en extinction. Elle est relayée par une série d’éditorialistes ou de journalistes, du sémillant Christophe Barbier au consternant Franz-Olivier Giesbert en passant par l’inénarrable Alain Perez aux Echos.

Ces conceptions qui reviennent à dire qu’il y a parmi les scientifiques 20 % de bons (dont 5 % d’excellents) et 80 % de cons ou de fainéants, est parfaitement illustré par les discours de Sarkozy. Gêné pour justifier sa politique de démolition de notre système par les prix obtenus par les français (en trois ans : 3 Nobel, une médaille Field,u pris Abel, un prix Thuringe, entre autres), celui-ci s’est écrié : « c’est l’arbre qui cache la forêt », comme si un Nobel pouvait sortir du néant, sans chercheurs de haut niveau, sans laboratoire, sans tradition disciplinaire.

Un changement dans les métiers pour une autre conception de la recherche A terme, la PES met en cause le statut chercheur. Déjà aujourd’hui, le temps d’enseignement des chercheurs est significatif mais mal connu, car souvent « gratuit ». Mais quand tous les « chercheurs excellents » (puisqu’ils auront la PES) feront au moins un tiers de service d’enseignement, quand une part significative des chercheurs anticipera et fera de l’enseignement en espérant ainsi d’avoir plus de chance d’avoir la prime, il sera ensuite aisé de généraliser le phénomène, et donc de mettre fin au statut de chercheur. Certes, il faut favoriser les échanges chercheurs / E-C, mais c’est très simple à faire : il suffit de créer dans les universités des postes d’accueil (à temps plein ou à temps partiel) pour les chercheurs sur le statut des E-C et réciproquement pour les E-C dans les EPST.

Dans l’immédiat, la PES induit un changement dans le métier de chercheur, dans ses valeurs, et c’est sûrement ce qui est à sa base. Prenons l’exemple des prix scientifiques, qui donnent une reconnaissance, une fierté justifiée par rapport à une œuvre scientifique. Bien entendu, ces prix étaient des éléments, parmi d’autres, pris en considération pour les passages de grades. Accessoirement, il y avait une somme d’argent, versée par les organisateurs du prix au laboratoire ou à l’individu. En l’intégrant dans le salaire et la carrière, on change à la fois la signification des prix et la façon d’évaluer le chercheur par une instance qui n’est pas habilitée à le faire. En fait, on veut transformer des chercheurs, motivés d’abord par la passion de leur métier (et dont une carrière correcte n’était que la conséquence légitime) en chasseurs de prix et primes.

Cela aura aussi insidieusement des conséquences pour les laboratoires qui seront de moins en moins des lieux de solidarité scientifique et humaine. Déjà le taux élevé de financements des équipes sur contrats à court terme met progressivement en cause l’unité des laboratoires. Chacun a connu certaines « ambiances » de laboratoires quand deux de ses membres étaient en compétition pour la même promotion. On peut imaginer ce qu’il en sera quand tous les chercheurs seront en compétition pour la prime …

La PES est une mesure assassine pour l’emploi des jeunes docteurs Pour compenser le non-accroissement du nombre de titulaires, le gouvernement organise la baisse du temps de recherche par la modulation et diverses procédures. « Je me place dans une logique d’heures supplémentaires, [et non] dans une logique de créations d’emplois » a dit Valérie Pécresse à Métro (03/06/09). Le plan licence, la mission « d’insertion » des universités, la suppression de la distinction TP/TD, sont tous basés sur les heures supplémentaires.

C’est dans ce cadre qu’il faut replacer le fait fondamental que la PES ne sera attribuée aux chercheurs qu’à la condition qu’ils enseignent à tiers-temps, ce qui montre que ladite excellence n’est pas le sujet. 20 % des chercheurs des EPST, qui font un tiers de service d’enseignement, ne représentent « que » mille postes « économisés ». Mais la suppression du statut chercheur ferait « économiser » la création de 15000 emplois d’E-C, avec pour conséquence l’accroissement de la précarité et donc la désaffection du doctorat. Les jeunes docteurs peuvent crever la bouche ouverte, le gouvernement n’en a cure.

Pour le budget 2010, Madame la Ministre, pour une fois, nous allons vous aider un peu … Au moment où vous allez annoncer le projet de budget 2010 de l’enseignement supérieur et de la recherche, Madame la Ministre nous allons vous aider un peu, car vous êtes très prise par ailleurs. Vous disposez de 1,8 milliard, puisque tel est l’engagement du Président de la République. Ajoutez-y 200 millions transférés de l’ANR aux établissements. Cela fait quand même deux milliards, sans même parler ici du scandale des 4 milliards/an de Crédit d’impôt, Vous me suivez bien ?

Dans un article précédent, nous avons proposé d’affecter 300 M€ pour créer 6 000 emplois. Dans cet article, nous proposons en outre 400 M€ pour commencer à revaloriser les carrières. Mettez donc aussi 500 M€ sur les bâtiments universitaires, les bibliothèques, la sécurité, dans toutes les universités car c’est précisément dans toutes que sont les étudiants en licence que vous prétendez choyer. Et il vous restera encore, 800 millions pour les crédits de base des laboratoires, la situation lamentable de la Vie étudiante (d’après l’OCDE, nous sommes 19ème sur les 20 pays étudiés pour le montant des bourses), pour aider les quelques dizaines de milliers de doctorants non payés, etc. Je sais, vous n’êtes pas habitué à cet exercice : vous ne pouvez même pas imaginer tout ce que l’on peut faire avec 1,8 milliard de plus par an.



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