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La PES à l’INRIA : 20% de primés, combien de déprimés ? (05/06/12)

mmSNCS-FSU5 juin 2012

Par cette lettre ouverte, nous entendons adresser une demande simple mais pressante à Mme Geneviève Fioraso, ministre de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche du nouveau gouvernement : la suppression pour les chercheurs des organismes publics de recherche de la Prime d’Excellence Scientifique (PES) instituée en 2009. Nous estimons en effet que cette prime relève d’une politique d’individualisation des salaires et des carrières qui peut s’avérer très délétère dans le secteur public. Nous pensons qu’il s’agit d’une mesure inéquitable qui menace l’indépendance de la recherche publique et l’esprit de coopération à l’intérieur des équipes et des laboratoires.

En juillet 2008 paraît un rapport de l’Académie des Sciences qui préconise, parmi d’autres mesures visant à améliorer l’attractivité des carrières de la recherche, la création de primes individuelles pour les chercheurs « les plus performants » des organismes publics de recherche (http://www.academie-sciences.fr/activite/rapport/rapport090708.pdf )

Cette proposition est reprise par la ministre de la Recherche de l’époque, Mme Valérie Pécresse, qui instaure la Prime d’Excellence Scientifique (PES) dans tous les organismes publics de recherche, par le Décret n. 2009-851 du 8 juillet 2009. Cette prime, d’une durée de 4 ans renouvelable et d’un montant équivalent à deux ou trois mois de salaire, vise à récompenser une frange de chercheurs « excellents » (la ministre ne fixe pas de pourcentage, mais l’Académie suggérait de cibler 20% de l’effectif global). Elle est destinée à la fois aux enseignants-chercheurs des universités, pour lesquels elle remplace la Prime d’Encadrement Doctoral et de Recherche (PEDR), et aux chercheurs des Établissements Publics Scientifiques et Techniques (EPST), pour lesquels elle constitue une nouveauté. Détail important : pour ces derniers, dont le statut ne prévoit pas d’obligation d’enseignement, la prime est soumise à une condition de service d’enseignement de 64h par an. La PES représente donc une incitation pour les chercheurs des EPST à assumer une charge d’enseignement de manière systématique, se rapprochant ainsi du profil des enseignants-chercheurs des universités.

La PES à l’INRIA

L’INRIA, qui avait anticipé l’introduction de la PES, s’empresse de la mettre en oeuvre dès 2009. Les modalités d’application sont fixées : chaque campagne annuelle attribuera des primes à 5% des chercheurs titulaires, de sorte à atteindre la « situation de croisière » (20% de primés) au bout de 4 ans. Pour ce qui concerne la répartition entre les corps, il est prévu d’attribuer 60% des PES aux chargés de recherche (CR) et 40% aux directeurs de recherche (DR), pour des montants de 6000€/an et 9000€/an respectivement. Ces modalités seront revues pour la campagne de 2012, pour laquelle les PES seront réparties en 3 catégories : junior (5000€/an), confirmé (7000€/an) et senior (9000€/an).

Précédant la 1ère campagne, une pétition souscrite par une centaine de chercheurs de l’INRIA dénonçait l’iniquité et la dangerosité de la PES, et demandait son retrait immédiat. D’autres pétitions suivirent, ainsi que des lettres individuelles adressées à la direction. Or, celle-ci est toujours restée sourde à toute critique et inflexible sur ses positions. Elle s’est tout d’abord tournée vers la Commission d’Evaluation de l’institut (CE) pour lui demander d’assumer la tâche de sélectionner les candidats à la PES. Face au refus de presque tous les membres élus de la CE, qui se trouvaient confrontés à une tâche imprévue et inacceptable pour la plupart, la direction décidait de passer outre en constituant une commission ad hoc dont beaucoup de membres sont restés inconnus. Ceci a encore contribué à affaiblir la légitimité de l’attribution des primes. Un sondage, organisé par les syndicats après les deux premières campagnes de PES, montre que les chercheurs restent en grande partie hostiles à cette prime, ou pour le moins sceptiques quant à son équité et à son efficacité par rapport au but affiché. Il y a eu jusqu’ici 4 campagnes de PES à l’INRIA. Comme prévu, au bout de ces 4 vagues d’attribution le pourcentage des bénéficiaires de la PES atteint environ 20% des chercheurs titulaires (124 primés au total, sur un peu plus de 600 chercheurs).

Le but déclaré de la PES est d’améliorer l’attractivité des carrières de la recherche et d’inciter les jeunes à s’orienter vers ces métiers. Or, la PES est une rallonge financière non négligeable (l’équivalent de deux ou trois mois de salaire par an, sur une durée de 4 ans) destinée aux 20% de chercheurs jugés « excellents » par des commissions ad hoc. Une première objection vient tout de suite à l’esprit : curieuse façon d’améliorer les carrières des chercheurs que d’exclure d’emblée de cette amélioration 80% d’entre eux ! De plus, la contrainte d’enseignement dont s’assortit la PES (sauf pour les chercheurs du rang le plus élevé) semble mal se concilier avec l’aspiration des jeunes chercheurs à consacrer l’essentiel de leur temps à la recherche dans les premières années d’exercice de leur métier. Il existe toutefois bien d’autres raisons, plus fondamentales, pour rejeter la PES, fût-elle généralisée à 50% des chercheurs :

1) La PES est une mauvaise réponse à un problème réel, celui de l’insuffisance de la rémunération des chercheurs par rapport à leur qualification et à leurs fonctions. Depuis 1990 leur pouvoir d’achat s’est encore dégradé, du fait que la valeur du point d’indice qui sert de base au calcul des rémunérations de la fonction publique s’est dépréciée d’environ 15% par rapport à l’indice des prix. Aujourd’hui, le salaire d’embauche d’un jeune chercheur, recruté après un doctorat et un post-doctorat d’une ou plusieurs années, est de 2200€ brut, bien inférieur à celui d’autres professions de qualification égale. De plus, contrairement au salaire, la PES ne contribue que partiellement à la cotisation pour la retraite. La PES ne remplace donc en aucun cas la nécessaire revalorisation des salaires de l’ensemble des chercheurs, que ceux-ci réclament légitimement depuis des années.

2) La PES est injuste et discriminatoire. Bien souvent, ce sont les chercheurs les plus reconnus, qui bénéficient déjà des meilleures rémunérations, qui candidatent à la PES et l’obtiennent. Cet effet d’aubaine n’est pas dû à une erreur d’appréciation ou à une maladresse de nos directions. C’est un choix délibéré : il s’agit de faire émerger un noyau de chercheurs « excellents » (désignant en creux tous les autres comme « médiocres »), une catégorie de « stars » incarnant à elles seules le rayonnement de l’institut. Symptomatique de cette volonté, la consigne donnée par Mme Pécresse aux directions des organismes de recherche d’attribuer des PES de 15 000 euros par an (excédant donc nettement les PES ordinaires) à tous les récipiendaires des médailles de bronze et d’argent du CNRS. 

3) Comme toute prime, la PES est un instrument de pression. Or, les chercheurs des EPST sont porteurs d’une mission de service public. En tant que tels, ils doivent pouvoir travailler en totale indépendance et sérénité, et jouir d’une entière liberté d’expression, ainsi que le préconise le code de l’Education [1]. Ils ne doivent pas être soumis à un pilotage trop étroit ni à une obligation de rentabilité à court terme de leurs résultats. Comme tous les personnels chargés d’une mission de service public, ils sont amenés à privilégier l’intérêt collectif sur l’intérêt individuel, la coopération sur la compétition, les critères qualitatifs et humains sur les critères quantitatifs et comptables. Imaginerait-on une prime pour les infirmiers traitant le plus grand nombre de malades en un temps donné ? Pour ceux qui seraient les plus rapides à administrer des médicaments ou à prodiguer des soins ? Ou une prime pour les médecins hospitaliers capables de venir à bout de cas jugés difficiles, tout en traitant une proportion minimale de pathologies d’une liste prédéfinie ? On voit bien les dérives que cela pourrait entraîner : arrêt des consultations pour les grippes hivernales des personnes âgées, prenant du temps et ne « rapportant » pas d’argent, arrêt des suivis sur le long terme etc.
La PES est une mesure insidieuse. Au bout de 4 ans de prime, le chercheur voulant maintenir sa rémunération sera encouragé à poursuivre, voire à amplifier, son enseignement à l’université, ou à accepter d’autres tâches qui lui seraient proposées.

4) La PES divise les chercheurs et mine leur confiance mutuelle. Accordée à certains au détriment de tous les autres, la PES provoque un désenchantement et un malaise croissants parmi les chercheurs, ainsi qu’une défiance à l’égard de leur direction. De plus, la PES est perçue par beaucoup comme un mauvais instrument de « management », visant à faire émerger non pas les meilleurs (d’autant que beaucoup de chercheurs refusent d’y candidater), mais les plus perméables à l’idéologie de la compétition exacerbée, de l’individualisation des carrières, et de la rémunération différenciée comme principal « signe extérieur de mérite ».

Pour toutes ces raisons, nous refusons le principe même de la Prime d’Excellence Scientifique. Nous dénonçons au passage la reprise et le détournement à des fins purement managériales du terme « excellence », un mot qui appartient depuis longtemps au vocabulaire des chercheurs, pour qui il est synonyme de qualité, d’exigence, de profondeur, de travail d’équipe affiné patiemment sur le long terme, et non d’adhésion à des critères arbitraires et technocratiques imposés par l’extérieur.

Nous demandons par conséquent la suppression pure et simple de la PES, qui lèse d’emblée une grande partie des chercheurs et qui sert de prétexte pour ne pas augmenter leurs salaires et améliorer leurs évolutions de carrière. Accepter un aménagement de la PES, par exemple par une hausse des « quotas » de bénéficiaires, équivaudrait à entériner le principe selon lequel les salaires des chercheurs ne seraient qu’une base minimale garantie, qu’il ne tiendrait qu’à eux de compléter par divers moyens (primes, contrats, etc.). Cela reviendrait à accepter que l’argent soit érigé en moyen principal de reconnaissance du travail des chercheurs, et que s’installent dans les équipes et entre les équipes des disparités de traitement arbitraires et injustifiées.

Certes, en période de coupes budgétaires et de gestion de la pénurie, il est bien plus facile de distribuer des primes à quelques-uns que de procéder à une revalorisation générale et équitable des salaires et des carrières. Nous demandons que le montant qui était jusqu’ici dévolu aux PES soit désormais destiné à abonder le salaire des jeunes chercheurs au moment de leur titularisation (survenant un an et demi après l’embauche).

Nous estimons que la reconnaissance du mérite doit se faire par les promotions et l’accélération des carrières, et non par la politique infantilisante de « la carotte ». En lieu et place de la PES, il eût été préférable de reprendre d’autres propositions de l’Académie des Sciences, à notre avis mieux inspirées, telles que la revalorisation des rémunérations de tous les chercheurs et enseignants-chercheurs, en particulier en début de carrière, à un niveau comparable à celui des autres corps de l’Etat à qualification semblable.

Les chercheurs de l’INRIA ne sont pas les seuls à s’opposer à la PES. De nombreux chercheurs d’autres organismes ont exprimé publiquement leur refus de cette prime, cf
http://sauvonslarecherche.fr/spip.php?article3164

La suppression de la PES serait un geste fort de la part du nouveau gouvernement, facile à mettre en oeuvre et d’une grande portée symbolique. Nous l’appelons de nos voeux.

SLR-INRIA et les syndicats SGEN-CFDT Recherche EPST, SNCS-FSU et SNTRS-CGT de l’INRIA


[1] Code de l’Education
http://www.legifrance.gouv.fr/affichCode.do?cidTexte=LEGITEXT000006071191

Art. L123-9 A l’égard des enseignants-chercheurs, des enseignants et des chercheurs, les universités et les établissements d’enseignement supérieur doivent assurer les moyens d’exercer leur activité d’enseignement et de recherche dans les conditions d’indépendance et de sérénité indispensables à la réflexion et à la création intellectuelle.

Art. L952-2 Les enseignants-chercheurs, les enseignants et les chercheurs jouissent d’une pleine indépendance et d’une entière liberté d’expression dans l’exercice de leurs fonctions d’enseignement et de leurs activités de recherche, sous les réserves que leur imposent, conformément aux traditions universitaires et aux dispositions du présent code, les principes de tolérance et d’objectivité.




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