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L’AERES a-t-elle perdu son triple A ? SNCS HEBDO 11 n°23 du 23 décembre 2011.

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Philippe Büttgen, secrétaire général adjoint du SNCS-FSU

L’Agence d’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur a annoncé le 15 décembre 2011 qu’elle renonce à attribuer une note « globale » aux unités de recherche, au profit d’une courte « appréciation d’ensemble ». C’est une victoire considérable pour le mouvement de la recherche et de l’enseignement supérieur et les organisations syndicales qui, depuis 2006, dénoncent le principe même de cette agence de notation de la science. Toute cette année, le SNCS a combattu la double normalisation que l’AERES entend imposer à la communauté scientifique, normalisation bibliométrique (SNCS-Hebdo 11 n°2) et normalisation politique, qu’on a vue à l’oeuvre encore récemment lors de l’« évaluation » du CNRS (SNCS-Hebdo 11 n°21 du 7 décembre 2011). Le recul de l’AERES sur la « note globale » des unités de recherche n’est qu’une étape. Le SNCS revendique le retour à l’évaluation des unités par des instances scientifiques représentatives composées d’une majorité d’élus, tels que sont le Comité national et le Conseil national des universités.

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Cela commençait à se voir : « triple A » d’un côté, A+ de l’autre… L’AERES est l’agence de notation de la recherche en France, le Standard & Poor’s des laboratoires. Au moment où les agences de notation apparaissent comme le plus ferme soutien des plans de rigueur imposés aux salariés, la comparaison, trop vraie, fait trop mal… Le président de l’agence, Didier Houssin, a donc cédé avant qu’il ne soit trop tard : « la note globale d’une unité de recherche (ou d’une équipe de recherche) est remplacée par une appréciation textuelle courte bâtie sur les notes multicritères » (communiqué de l’AERES du 15.12.2011). Il aura tout de même fallu une semaine pour que l’AERES rende publique cette décision de son « Conseil ». Le temps n’est pas si éloigné où le président Houssin, tempêtant contre le trop grand nombre de notes A+ décernées par son agence, reconnaissait implicitement l’exigence de quotas de notation (SNCS-Hebdo 11 n°10, 1er juin 2011). Aujourd’hui, l’argument est resservi pour supprimer la notation globale des laboratoires, « jugée réductrice et très mal employée » (dépêche AEF n°159690 du 15.12.2011)… Qu’il est cruel de battre en retraite !

« Réductrice », la note, et « très mal employée » ? Merci à l’AERES de cet aveu, mais le mot est trop faible. Les premières campagnes LabEx et EquipEx, dans le cadre d’un emprunt que le gouvernement n’ose plus appeler « grand », ont montré tout au long de cette année les ravages de la notation. En faisant des notes A/A+ de l’AERES une condition d’éligibilité aux appels à projets dits « d’avenir », le Commissariat général à l’investissement veut imposer une hiérarchie figée des unités de recherche pour les dix prochaines années. Dix ans de financements suspendus à une seule note : l’AERES et le « Grand emprunt » préparent, si on ne les arrête pas, une spectaculaire régression de la recherche française.

Pour cette raison, l’abandon de la note « globale » pourra paraître bien tardif – bien incomplet aussi, si par ailleurs l’AERES maintient comme elle l’annonce sa « notation multicritères ». Désormais, une « courte appréciation d’ensemble », en « moins de 180 caractères » (format Tweeter !), doit se substituer à la note globale. Elle chapeautera toutefois des notes, celles que l’Agence veut continuer à donner, par exemple, à la « qualité scientifique » et à la « gouvernance » (« critères »), mais aussi aux différentes équipes ou opérations du laboratoire évalué. En lieu et place d’une note finale émerge la notion obscure d’un « profil de notation » : que de complications !

L’AERES abandonne une note ; elle n’abandonne pas la notation. Il y a une raison profonde à cela : la notation est la raison d’être de l’AERES, la seule forme de légitimité qu’elle connaisse. Le pouvoir politique, en créant l’AERES, a en effet privé l’évaluation de la légitimité de l’élection : celle de pairs démocratiquement désignés par la communauté scientifique. Que la légitimité de la note soit infiniment plus faible que celle de l’élection est le drame de l’AERES, celui qui fait que Standard & Poor’s demeure pour elle la norme indépassable. Car c’est la même idéologie qui est à l’oeuvre : celle d’une « notation » qui sert à imposer des décisions politiques, dans la science comme ailleurs.

L’AERES n’abandonne pas la notation, car elle fait de la politique. On se souvient du comité d’« évaluation » de l’INSERM invité à dîner à l’Élysée (cf. VRS 375, oct.-nov.-déc. 2008)… On l’a vu à nouveau avec le comité qui a « évalué » le CNRS début décembre. Il semble qu’à cette occasion les dernières censures que s’imposait l’agence aient été levées. Dans la liste officielle des « experts » de ce comité, au titre des disciplines de chacun, « pilotage » et « valorisation » apparaissent comme des spécialités de même rang qu’ « immunologie » et « histoire urbaine » : l’AERES reconnaît qu’à ses yeux il n’est pas question de faire évaluer le CNRS par les seuls scientifiques ! Le résultat, sans doute, aurait déplu… Quant aux questions posées par ces mêmes experts aux représentants des instances scientifiques du CNRS, elles trahissent une leçon politique bien apprise et bien récitée : contre le statut de chercheur à plein temps, pour les fermetures d’unités et, bien entendu, pour l’AERES. Un seul exemple, rapporté par les élus « auditionnés » et dont on attend qu’il soit démenti par le comité, s’il le peut : « Vous embauchez des gens très jeunes sur des postes permanents, ce qui est exceptionnel. Comme vous assurez-vous qu’ils vont travailler suffisamment ? ». Sans commentaire.

La politique scientifique des organismes de recherche et de leurs partenaires universitaires n’a pas à être faite par une agence de notation. L’AERES, après tout le monde, découvre les ravages de l’évaluation punitive. Mais la suppression d’une note ne sauvera pas la notation. Ne laissons pas l’AERES nous expliquer maintenant que trop de note tue la note ; c’est bien plutôt l’AERES, officine politique, qui tue l’évaluation de la science. Les contradictions où se débat l’agence soulignent, plus que jamais, la nécessité du retour à une évaluation scientifique, celle des scientifiques eux-mêmes.
Philippe Büttgen, secrétaire général adjoint du SNCS-FSU



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