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Intervention de André Jaeglé, président de la Fédération mondiale des travailleurs scientifiques

mmSNCS-FSU13 avril 2007

Les changements depuis le dernier congrès :

Des États généraux au pacte

Le paysage de l’action syndicale a bien changé depuis le 28 janvier 2005, date de clôture de votre dernier congrès. C’était au lendemain des États généraux de la recherche, aboutissement d’une année d’intervention sans précédent de la communauté scientifique dans les affaires de la cité. Nous en sommes au Pacte pour la recherche.

De larges domaines de la recherche fondamentale sont menacés ou en difficulté voire peut-être condamnés pour certains ; la précarité est devenue le lot commun des jeunes, Comme l’a dit Édouard-Henri Audier aux Assises « Recherche-Industrie-Territoires » du 11 décembre dernier (dont le SNCS était co-organisateur), le pacte se traduit par la « stagnation sur des moyens, le dirigisme gouvernemental, la mise de côté des structures existantes et création de nouvelles, toutes entièrement nommées. L’aménagement du territoire est de fait entre les mains de l’ANR, principal financeur des pôles et des RTRA). La recherche est organisée sur des créneaux. La réforme caractérisée par le libéralisme économique via la fiscalité. Les dégrèvements fiscaux atteignent 4 fois les crédits du CNRS C’est la rupture de la solidarité au profit de la concurrence, les projets parallèles. ».

Tout cela sans que cela engendre – pour autant qu’on puisse juger jusqu’ici – plus d’efficacité du point de vue compétitivité de l’industrie qui est le gros argument offert à l’opinion publique. On voit bien que ce qui menace l’efficacité économique, ce ne sont pas les structures du CNRS, ni l’intervention des chercheurs et de leurs organisations syndicales dans sa gestion ou dans la définition des programmes scientifiques, mais la structure du financement des entreprises dont les actionnaires volent de sociétés en sociétés au gré de leurs appétits et de leurs calculs hasardeux. Ce qui se passe pour Airbus ou pour Alcatel-Lucent, le prouve assez. C’est cette structure qui conduit à la baisse des investissements évoquées ce matin dans le débat général.

Ce qui s’est produit n’a été possible que par l’action gouvernementale eeel-même favorisée par la pénétration du comportement « entrepreneurial » dans le champ des activités scientifiques tant industrielles – ce qui peut sembler « naturel », – que publique. Les symptômes sont anciens : Rappelez-vous par exemple les mise en garde du CCNE en ce qui concerne les effets d’annonce auxquels ont, ou ont eu, recours certains laboratoires à propos des cellules souches embryonnaires humaines, conduites engendrées par la compétition entre laboratoires, compétition que je ne tiens par pour mauvaise en soi, mais dont il faut bien voir qu’elle vise à capter des moyens financiers.

Je crois que si le CNRS est considéré dans certains milieux comme un obstacle qu’il faut détruire, c’est surtout qu’il est un obstacle au libre développement de ce comportement entrepreneurial et non parce qu’il serait contraire à l’utilité sociale et économique de la recherche. C’est justement parce que la recherche se développe librement pour répondre au besoin spécifiquement humain de comprendre, qu’elle peut être utile à l’économie et à la société en général.

Alors ? Qu’est-ce au juste que cette économie de la connaissance référence de la Commission européenne depuis le sommet de Lisbonne ? C’est cela qu’il faut comprendre, il faut analyser. C’est ce que la FMTS a commencé à faire au colloque « Science, savoir et marché » (Lisbonne 2004). Car il ne suffit pas de dénoncer. Ni de rejeter tout changement, toute évolution !
L’économie n’est pas toute puissante, certes. La volonté politique, cela existe. Mais cela ne nous dispense pas d’observer ce qui se passe. Alors, Parlons-en !

Économie de la connaissance

Qui dit ‘économie de la connaissance’ dit marché de la connaissance (du moins dans une économie de marché.) Mais ce marché, c’est quoi au juste ? Quelle est la nature exacte de ce qui se vend et de ce qui s’achète ? De ce qui peut se vendre de ce qui peut s’acheter ? (Sûrement pas tout !) Il y a les brevets, la communication de fichiers de données. Il y a les règles extraordinairement complexes de dévolution des droit d’usage des connaissances acquises par la réalisation de programmes dans le cadre du 6ème PCRDT (la décision 1513), qui montre l’extrême sensibilité de cette question. La possession d’un portefeuille de connaissance, (peut-être, plus précisément d’un portefeuille de données scientifiques qu’il ne faut pas confondre avec des connaissances) finit par paraître presque aussi importante que la possession d’un capital financier. Pas jusqu’à le remplacer, tout de même !

Il y a aussi un marché des contrats de recherche, lequel génère une activité de lobbying qui devient une charge dans la gestion de la recherche. Bref, on a besoin d’avoir une vue scientifique, rigoureuse, pas seulement polémique comme on le fait dans l’action, quand il faut faire feu de tout bois. En quoi, jusqu’à quel point, la connaissance, les savoirs sont-ils des marchandises ? Et quels genres de savoirs, compte tenu de l’interpénétration des activités de recherche fondamentale et des activités ayant une utilité prédéfinie autre que l’accroissement des connaissances ? Et, question suivante : « dans quelle situation réelle, dans quel rapports de force ou de faiblesse cela place les directeurs de recherche, et tous ceux qui ont la responsabilité d’administrer, de faire vivre les équipes. Et aussi ceux qui, faute d’emplois stables, sont conduits à accepter ou plutôt à subir la précarité ? » Je ne suis pas économiste, ni sociologue. Je me suis néanmoins risqué à chercher sur Google « connaissance comme marchandise », « savoir comme marchandise », « knowledge as commodity », et quelques autres. Je n’ai eu qu’une réponse directe : celle à « knowledge as commodity ». Mais cela ne m’a guère éclairé. Or il serait temps qu’on dise de quoi on parle. On nous parle aussi de ‘société du savoir’. C’est le cas de l’UNESCO. C’est à peu près clair ! Car cette formule ne fait pas d’hypothèse quant à la structure économique dans laquelle se meut cette société du savoir. Elle soulève néanmoins du devenir de la séparation du travail manuel et du travail et du travail intellectuel qui est une réalité !

Chers camarades, en préparant ce passage de mon intervention, où j’ai l’air de patauger, je me suis demandé si vous n’alliez pas vous dire « mais qu’est-ce qui lui prend ? On n’est pas là pour ça. Il faut se battre pour sauver la recherche publique, la recherche à long terme, celle qui exige des conditions à peu près irréalisable dans le privé, se battre pour des emplois stables et des crédits suffisant. Et pourtant, j’insiste. Car nous ne pouvons pas faire comme si les pôles de compétitivité n’existaient pas, l’ANR n’existait pas, l’AII, les RTRA (recherche avancée) etc. Car nous avons en face de nous un système cohérent. (je cite encore Audier).

La FMTS se bat, notamment au niveau européen, pour que la voix des scientifiques se fasse entendre partout où c’est possible, notamment au sein des institutions européennes, objectif qui passe par la reconnaissance de la représentativité syndicale. Si l’économie de la connaissance est autre chose qu’un slogan pour conférenciers haut de gamme ou pour technocrates bruxellois, si elle est une réalité, alors, c’est la question de la démocratie dans cette économie qui est posée, les droits démocratiques des producteurs de connaissance, des jeunes chercheurs, de leur formation et de la précarité de leur situation, de leurs rapports avec les « patrons » de la recherche, des rapports de ces patrons avec les sources des financement, etc. Bref des rapports réels qui se sont formés entre employeurs et employés dans le secteur de la recherche scientifique. En termes de lutte, un nouveau front s’est ouvert, un front que nous n’avons pas choisi mais que nous ne pouvons ignorer.

Mais avant cela voici une annonce :

Les 31 mai et 1er juin prochain se tiendra un séminaire organisé en commun par la FMTS et par INES (International Network of Engineers and Scientists for Global Responsibility), INES dont le SNCS est membre. Ce séminaire est intitulé « Another science, other technologies are possible : the challenges ». J’ai amené des exemplaires du programme. Il s’agit d’une rencontre internationale, mais les problèmes plus spécifiquement européens devraient y prendre une large place. Et notamment ceux de l’action syndicale européenne, de la représentation des travailleurs scientifiques, la défense de leurs intérêts, leur intervention dans les choix de politique de recherche scientifique. Jusqu’ici, le mouvement syndical européen n’a pas vraiment investi ce champ, même s’il est intervenu dans l’élaboration de la recommandation (ce n’est pas une directive) concernant la « Charte européenne du chercheur » et le « Code de conduite pour le recrutement des chercheurs ». Il nous faut parvenir à une véritable présence syndicale (et pas seulement professionnelle) du monde de la recherche et du travail scientifique au niveau européen.

Vous êtes donc invités à venir Berlin les 31 mai et 1er juin. Vous, en tant que personnes intéressées. Mais aussi et surtout vous, le Syndicat nationale des chercheurs scientifiques de France. Le samedi 2, hors programme nous aurons une conférence du Nobel de chimie Harold Kroto.

La responsabilité des scientifiques

Pour me résumer, les organisations de chercheurs, et de travailleurs scientifiques en général, sont placées devant des situations nouvelles (pas seulement en France : transferts des universités aux autorités régionales, au Japon.)

Le mouvement syndical est confronté à la nécessité de mener de pair une épuisante activité de lutte au quotidien, de défense de la recherche publique et notamment de défense des jeunes chercheurs, en passe de devenir les prolétaires de l’économie de la connaissance, et un travail de réflexion sur la place de la recherche dans la société, objet de l’un de vos ateliers.

Mise en cause de la science

Les enjeux sont de taille, car le regard que jette l’opinion publique sur la science ne compte pas pour rien dans les divers rapports de force qui sous-tendent les relations des chercheurs du CNRS (et des autres institutions de recherche publique) avec le pouvoir politique.

On entend des choses comme ce serment à la manière d’Hippocrate « Je m’engage à œuvrer pour un monde meilleur, dans lequel la science et la technologie seront utilisées d’une manière socialement responsable. Je ne me servirai pas de mon éducation pour poursuivre des objectifs destinés à nuire à des êtres humains ou à l’environnement. Tout au long de ma carrière je soupèserai les implications éthiques de mon travail avant de m’y engager. Même s’il exige beaucoup de moi, je signe cet engagement parce que je crois que la responsabilité individuelle est le premier pas vers le chemin de la paix. »

Diverses formules de ce genre ont été proposées, et il existe une littérature considérable à ce sujet. Celui que j’ai cité est l’engagement solennel formulé par le Student Pugwash Group américain.

J’ai repris le texte de ce serment dans un article Joseph Roblat, publié dans le journal Science (19 novembre 1999) à l’occasion de la Conférence mondiale sur la science, organisée conjointement par l’UNESCO et l’ICSU, à Budapest, en juillet 1999. Malgré tout le respect qu’on doit et que je porte personnellement à la mémoire de Joseph Roblat, et malgré la parfaite sincérité de sa démarche, on ne pouvait s’empêcher de poser la question de la portée d’un tel engagement, non seulement parce que dans le domaine de la recherche fondamentale la notion « d’objectif destiné à nuire … » ne signifie rien, mais encore et surtout, parce qu’un tel engagement n’a de portée que s’il est pris par tous les acteurs de la société, c’est à dire par ceux qui financent et par les décideurs politiques et, j’ajouterai, s’il reçoit l’adhésion des citoyens. Quelqu’un l’avait dit, à l’époque : c’était Federico Mayor, qui était le Directeur général de l’UNESCO.

Mais en attendant, on fait porter aux seuls scientifiques les fameux « dégâts du progrès » alias « la non soutenabilité » ou « la non durabilité » du développement. Ce sont des idées confuses, où divinisation et diabolisation de la science se mélangent. En fait, les dégâts, ils sont surtout dans la compréhension par l’opinion publique de votre combat pour la recherche publique et la liberté de la recherche.

Les organisations de chercheurs ne peuvent s’en tenir à une attitude défensive, de dénégation. C’est lorsque, dans le prolongement de leur action quotidienne, elles interviennent dans les débats sur ce qui inquiète la société qu’ils deviennent convainquant.

Comme vous l’avez fait contre l’utilisation de la science pour le développement d’armes de destructions massives – ce qui n’est pas fini – il y a aujourd’hui tous les enjeux du développement durable. Vous allez aborder ces questions dans l’atelier n°1 de votre congrès. Je m’en réjouis et vous souhaiter le succès particulièrement dans ce domaine sera ma façon de conclure.

Je vous remercie.
Congrès du SNCS, Montpellier 29 mars 2007. intervention A Jaegle



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