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II- Doctorat : les femmes, les disciplines et les étrangers

mmSNCS-FSU27 février 2014

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(première partie disponible ici : https://sncs.fr/spip.php?article3505 )

par Henri Audier

En regardant par secteurs, on constate qu’en France, comme ailleurs, la proportion de femme
augmente et tend vers la parité, mais avec de fortes différences entre disciplines. Contrairement à
une idée reçue, notre situation en sciences, bien que médiocre sur le plan européen, est bien
meilleure que la situation en SHS. Enfin, du fait taux élevé de nouveaux docteurs étrangers qui
ne resteront pas en France, les chiffres globaux donnent une idée trop flatteuse de notre
situation : en 10 ans le nombre de doctorants soutenus par des français baisse de 20 %. Pour
atteindre 3 % du PIB pour la recherche, il faut d’aller vers un doublement du nombre de
docteurs formés par an.

1- Partout, une plus grande place des femmes

Seul indicateur inclinant à l’optimisme dans l’enquête de l’OST (4), la proportion de femmes soutenant
un doctorat passe, en France, de 38,9 % en 1998 à 43,6 % en 2011. On approche donc de la parité.
Mais même avec ce résultat positif, nous sommes en dernière position des 5 pays étudiés par l’OST
(Tableau 1), après l’Italie (53,2 %), l’Espagne (47,4 %), le Royaume-Uni (45,2 %) et l’Allemagne (45
%). Cette situation est sans doute liée au fait que les thèses de sciences sont dominantes en France,
alors même que la proportion de femmes y est le plus faible. En effet, les femmes représentent, en 2010
(3) 43,8 % des doctorats en Droit et Sciences politiques, 45,2 % en Economie et gestion, 57,2 % en
Lettres et SH, mais 37,7 % seulement en Sciences.

Deux ans auparavant (en 2009) les données de l’OCDE (7), plus compètes et en cohérence avec les
précédentes, indiquaient un taux moyens de femmes de 46 % pour les pays de l’OCDE. Trois raisons
imbriquées semblent expliquer le taux élevé pour certains pays. (i) Tout d’abord des pays qui ont mené
très tôt des actions pour une égalité homme/femme : la Suède (48 % de femmes), la Finlande (53 %).
(ii) Les pays ayant un fort taux de SHS : Etats-Unis (52 %), Pologne 51 %. (iii) Enfin, dans certains
pays, qui ne brillent pas par la place des femmes, ont un taux élevé de femmes doctorants (Portugal 62
%, Espagne 49 %) vu le caractère dévalorisé des carrières d’ES-R (salaires, chômage des docteurs).

Inversement, les faibles taux de docteurs femmes en Corée (30 %) et au Japon (27 %) reflète un retard
dans l’égalité homme-femme dans la société et explique la position (encore) modeste de ces pays pour
le nombre global de docteurs par habitant (Figure 1).

2- En France, 60 % des nouveaux docteurs sont des scientifiques

La part des diplômes de sciences à partir des données NSF-2008 (6), a été obtenue en retranchant le
nombre de doctorat en « Social/behavioral sciences » de celui de la rubrique « S&E » (Science et
ingénierie). La France avec une proportion de près de 60 % de thèses en sciences (Tableau 2) est
largement en tête (avec la Chine). Inversement, cela signifie qu’elle est en situation de grande faiblesse
en SHS, contrairement à une idée reçue.

Mais même en Sciences, avec 6600 docteurs/an en 2008, la France reste derrière l’Allemagne (9900),
le Royaume-Uni (7200) et, compte tenu de sa population, elle fait beaucoup plus mal que des pays
comme le Portugal, l’Autriche, la Finlande, la Suisse ou la Suède. Il reste que, hors de l’Europe, même
s’il est en progrès rapide, le doctorat n’est pas encore une voie royale d’accès aux emplois de cadre
dans l’industrie privée comme en témoigne le modeste nombre de doctorat en sciences de pays comme
le Japon ou les Etats-Unis, pays où une part significative de ses cadres vient de l’étranger.

Tableau 4. Proportion des doctorats es-sciences (6)

cliquer sur l'image pour l'agrandir

Nous avions achevé ce paragraphe quand nous avons découvert un excellent article : « Doctorats
scientifiques : y a-t-il un retard français ? » (8). Il se basait sur une étude de l’OCDE de 2009 (7).

Les résultats Figure 3) convergent avec ceux du Tableau 3. Nous partageons des analyses faites dans
cet article : « L’Europe est solidement installée dans la position de plus important fournisseur mondial
de docteurs en sciences et en ingénierie : à moyen terme, seule la Chine paraît en mesure de remettre en
cause cette supériorité. (…) La France est dans une position médiane [médiocre ?] en Europe. (8)
(…) Il existe un fort décalage entre l’importance de la recherche menée aux États-Unis (…) et leur
production très insuffisante de diplômés scientifiques de niveau master et doctorat » L’article souligne
qu’aux Etats-Unis « la désaffection de leurs jeunes pour les études scientifiques fait qu’ils ne disposent
tous les ans pour leurs futurs doctorants que d’un vivier très insuffisant d’environ 80 000 nouveaux
masters de sciences et d’ingénierie (dont 30 000 pour des étrangers). » 50 000 diplômes bac+5
scientifiques (masters et ingénieurs) dont moins de 10 000 pour des étrangers. (8) » pour la France.

Par contre nous sommes moins optimisme de l’auteur cité sur la situation française pour les doctorats
scientifiques à partir de données communes (Figure 3) et ce pour 4 raisons.

 (i) la position française est, comme déjà souligné, plus que médiocre en Europe.

 (ii) depuis plus de 10 ans, la France recule. Compte tenu de l’inertie de ce type de donnée, la situation
continuera à s’aggraver pendant 5 ans, y compris s’il y avait un changement de politique positif.

 (iii) la France est l’un des pays qui en a le plus fort taux de doctorat soutenus par des étrangers, ce qui
diminue d’autant les docteurs disponibles pour renforcer le potentiel scientifique.

 (iv) Atteindre 3 % du PIB (en 10 ans ?) suppose d’accroître de 33 % le nombre de chercheurs.

Figure 3. Nombre de nouveaux doctorats scientifiques / population (millions) en 2008 (6,7,8)

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3- 40 % de doctorats soutenus par les étrangers en France

Quel est le rapport entre les chiffres donnés jusqu’ici et les besoins d’un pays ? Pas immédiat. La
France est le pays (peut être avec le Royaume-Uni) qui a le plus fort taux de docteurs étrangers. Pour
l’essentiel, ceux-ci ne resteront pas dans le pays. Inversement, il est probable que des « petits » pays
fortement contributeurs en docteurs, alimentent les pays déficitaires comme les Etats-Unis.

En France, d’après l’OST (4), la proportion de doctorats soutenus par des étrangers n’a cessé de croître
pendant 10 ans (Figure 4), passant de 20 % en 2001 à 40 % en 2011. Ces doctorants viennent pour 38
% d’Afrique, 30 % d’Asie, 21 % d’Europe et 10 % d’Amérique. Bien évidemment cela témoigne d’une
attractivité réelle des laboratoires français. Mais, il apparaît que le nombre de docteurs français
diminue. A partir des données globales de l’OST, on peu calculer qu’il y avait 8323 docteurs français
en 2001 et seulement 6870 en 2011, soit une chute de près de 20 % !!!

Figure 4. Proportions de français et d’étrangers soutenant un doctorat en France

fig4.jpg

Comment ce facteur se traduit-il en termes de production par chaque pays de doctorants natifs de celuici
et disponibles ? Nous ne disposons que d’éléments très partiels. Ainsi, l’étude des 5 pays recevant le
plus d’étudiants « internationaux », nous confirme que 41 % des doctorats sont soutenus par des
étrangers en France et nous apprend que ce chiffre est de 21,7 % en Allemagne et de 26,2 % en
Australie. D’après une autre source (10-11), « La NSF précise que la part des étudiants internationaux
dans les formations doctorales en science et en ingénierie [dont des sciences sociales] avait atteint un
record en 2007, avec 41% des inscrits » aux Etats-Unis. Il apparaît donc que la France se situe (avec le
Royaume-Uni) parmi les rares pays ayant un très fort taux de doctorants étrangers. La Figure 1 donne
donc une vision optimiste pour la position de la France quant au nombre de docteurs disponibles.

4- Il faut doubler le nombre de chercheurs français formés

La France dispose donc annuellement de 6900 doctorats français dont 2800 en sciences. Dans les
calculs qui suivent la référence au docteur français pour évaluer les besoins ne signifie pas une
« préférence nationale » mais reflète le fait qu’il serait saint qu’il y ait un équilibre entre les docteurs
français qui s’expatrient et les docteurs étrangers qui viennent travailler en France. Pour quels besoins ?

Dans le premier cas, si on s’inscrit dans la continuité de 10 ans de droite. Il suffit alors de remplacer les
départs en retraite dans l’ES-R public. En moyenne et par an : 1500 E-C et 1500 chercheurs et
ingénieurs des EPST, des EPIC et des EPA. Soit 3000. A cela il faut ajouter la moitié des actuels
docteurs recrutés dans la recherche privée ou hors recherche, soit environ 3500 (voir article précédent).

Dans le deuxième cas, parvenir à 3 % du PIB pour la recherche (sans même parler ici du taux
d’encadrement de l’enseignement) exige d’accroître de 30 % l’effort de recherche et donc, en première
approximation, l’emploi scientifique, au niveau doctorat notamment.
(i) A ce niveau, on peut considérer qu’on a environ 70000 E-C et 40000 chercheurs et ingénieurs
d’EPST et d’EPIC, soit un total de 110000. Augmenter de 30 % ce potentiel en 10 ans suppose de
créer, en plus du remplacement des départs en retraite environ 3600 postes/an. Dans la répartition
disciplinaire, il faut se souvenir que 24 % seulement des docteurs viennent de lettres, langues, sciences
humaines, ce qui n’est pas sans poser de problèmes pour l’avenir.
(ii) Quid des 150000 chercheurs du secteur privé ? Si on se donne pour objectif que 50 % des nouveaux
recrutés soient docteurs, un accroissement de 30 % du potentiel représente 2500 docteurs/an de plus,
sans parler du remplacement des départs en retraite.
(iii) En considérant qu’il serait bien aussi que quelques centaines de docteurs de plus irriguent d’autres
activités que la recherche, on tombe bien sur l’objectif de doubler le nombre de docteurs français
formés par an.
Bien entendu il ne s’agit pas de former des docteurs pour faire des chômeurs. C’est d’abord la relance
de l’ES-R public et de la recherche privé qui importe pour atteindre les 3% du PIB avec un plan
pluriannuel de l’emploi scientifique, intégrant des débouchés des docteurs et prévoyant d’aller vers un
doublement de la formation de docteurs français ou restant en France. On peut qualifier d’utopique cet
objectif, mais sans celui-ci il faut alors renoncer à atteindre un jour 3 % du PIB pour la recherche.

Prochain article : III- Le devenir des docteurs


(1-7) Voir article précédent

(8) http://rachelgliese.wordpress.com/2012/09/28/doctorats-scientifiques-y-a-t-il-un-retard-francais/, Doctorats scientifiques
: y a-t-il un retard français ?
(9)[http://ressources.campusfrance.org/publi_institu/etude_prospect/chiffres_cles/fr/brochure_campusfrance_chiffres_cles_n
6_2011.pdf->http://ressources.campusfrance.org/publi_institu/etude_prospect/chiffres_cles/fr/brochure_campusfrance_chiffres_cles_n
6_2011.pdf]. Les étudiants internationaux : chiffres clés CampusFrance 2011
(10) http://highereducation.frenchculture.org/news/evolution-de-la-part-des-etudiants-internationaux-sur-les-campusamericains.

(11) http://www.nsf.gov/statistics/infbrief/nsf10324/ . Foreign Science and Engineering Students in the United States



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