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« Évaluer » le CNRS ? Questions sur une visite de l’AERES. SNCS HEBDO 11 n°21 du 7 décembre 2011

mmSNCS-FSU7 décembre 2011


Christophe Blondel, trésorier national du SNCS-FSU

On connaît enfin le comité
constitué par l’Agence
d’évaluation de la recherche et
de l’enseignement supérieur
pour évaluer, en une petite
semaine, le Centre national de la
recherche scientifique. La
biologie n’y est représentée que
par des médecins (le conseil de
l’Agence lui-même s’en est
ému*), les mathématiques par
des mathématiciens appliqués,
la valorisation est représentée
par un véritable commando de
quatre personnes ! On cherche
en vain l’épistémologue ou le
philosophe qu’il eût pourtant été
logique de convoquer pour
évaluer un organisme dont la
mission première est
l’avancement de la
connaissance…

Tombera-t-il donc de cet
aréopage autre chose que des
règles de plan social, assorties
du sempiternel sermon sur la
science au service des
demandes « sociétales » ? Le
CNRS est bien plus que cela.
Il faut préserver sa capacité à
entreprendre des recherches
affranchies des contraintes
économiques et des carcans
disciplinaires. L’AERES est
mise au défi de voir que la plus
grande richesse de
l’établissement est la liberté
intellectuelle des chercheurs qui
le font vivre depuis trois quarts
de siècle et ont, grâce à ce
cadre exceptionnel, accumulé
leurs plus grandes découvertes.

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Si on laisse de côté l’épisode rocambolesque d’un rapport sur l’INSERM qui n’avait pas
craint de recommander le démantèlement du département des sciences de la vie du CNRS,
l’AERES aura finalement mis un certain temps avant de s’attaquer au Centre national de la
recherche scientifique. C’est cependant en fanfare que le nouveau directeur de l’évaluation
des établissements lance l’assaut, en déclarant que « le thème de l’évaluation n’est pas tant
celui de la qualité scientifique, que le CNRS en tant qu’établissement ». On retrouve à la
suite tous les termes attendus : « stratégie », « termes opérationnels », « ressources
humaines ». Évaluer le CNRS en considérant la qualité de la science qu’on y fait comme un
critère négligeable, il fallait oser ! Tout dépend évidemment de ce qu’on appelle
« évaluer » ; il semble bien ici qu’on prétende évaluer le pommier sans goûter ses
pommes…

La direction du CNRS est serviable. Elle a fourni à l’AERES un rapport d’auto-évaluation
dans lequel diagrammes, histogrammes et camemberts tiennent le haut du pavé. Le mot
« organisation » y apparaît 46 fois, les mots « découverte » et « intelligence » seulement 8
et 2 fois. On comprend que le conseil scientifique du CNRS se soit ému de n’avoir pas été
associé à la rédaction de ce rapport qui semble considérer la recherche scientifique comme
une activité accessoire. Tout cela n’empêche pas le président de l’AERES d’estimer que ce
rapport est le « résultat d’une réflexion interne importante et qui sera un point d’analyse et
d’appui important pour les experts ». Tellement interne qu’elle a dû se dérouler dans des
cabinets noirs où le conseil scientifique lui-même – et plus généralement le Comité national – n’a pas accès.

Dans le discours de bonne organisation où baigne le rapport d’autoévaluation du CNRS, les
conquêtes du savoir réalisées au sein de l’organisme surnagent comme de charmantes îles
flottantes. Quelques encadrés nous rappellent quelques très belles découvertes, mais
donnent envie de dire aux évaluateurs : « encore un effort », encore un effort pour tirer les
bonnes leçons de ces découvertes ! Certes le rapport écrit, en gras, que « le CNRS doit se
tenir à l’écart des polémiques médiatiques, car le temps des médias n’est pas le temps de
la recherche ». Cela toutefois arrive tard, bien tard, dans le chapitre sur l’expertise
scientifique… En réalité, la question de la durée laissée à la recherche fondamentale
devrait être première et centrale. La durée, lorsqu’elle est évoquée dans le texte, est hélas
toujours déterminée d’avance. Or c’est d’une autre durée, beaucoup moins déterminée, que
la recherche a besoin.

Étonnant paradoxe : le président du CNRS, dans son introduction, entonne le discours trop
entendu du « tout a changé » qui justifie les bouleversements les plus irréfléchis. Mais les
exemples de découvertes que cite le rapport sont, pour beaucoup, des découvertes
enracinées dans le siècle dernier. En physique l’expérience d’Aspect fut peut-être un des
plus beaux résultats du siècle. Mais c’était le XXème… À quoi sert de citer cet exemple, à
quoi servent tous les prix Nobel de l’établissement qu’on recompte fièrement si le
« paysage » a tant « changé depuis une quinzaine d’années » ? Au moment où la direction
du CNRS se prend au piège de ses contradictions, espérons que des lecteurs raisonnables
réaliseront au travers de ces exemples que ce qui a « changé » est moins important,
finalement, que la permanence de notre métier.

Le rapport rappelle fort opportunément l’initiative prise par le président du CNRS pour
fournir à la communauté des chercheurs en science du climat le soutien qu’une autre
institution, dont ç’eût pu être la mission, ne leur a donné que de façon tristement ambiguë.
Le rétablissement de la parole scientifique d’une communauté mise en danger par quelques
charlatans bien en cour fut, cette année, l’une des plus belles illustrations de la raison d’être
de notre établissement public. Le paradoxe est cependant de ne pas voir que ce sujet-là,
précisément, bat en brèche la thèse, complaisamment énoncée dans l’introduction, d’une
science répondant aux « attentes » de la société. Car le réchauffement climatique,
personne ne l’avait demandé aux climatologues ! Au point que certains ne veulent toujours
pas l’admettre et que les politiques, ces jours-ci, ignorent superbement Durban… La bataille
de l’intelligence n’est pas gagnée.

La recherche, et donc le Centre national de la recherche scientifique, ne doivent pas
seulement tâcher de « répondre aux attentes », mais aussi et surtout conserver leur
capacité de révéler, de façon inopinée quelquefois, des vérités qui dérangent. Il faut pour
cela que le CNRS reste un espace de liberté, qui ne s’englue pas dans une organisation
trop bien corsetée, et qu’il retrouve sa capacité perdue de donner à ses chercheurs les
moyens de travailler. Peut-on attendre un tel diagnostic d’une AERES enfantée par le
même gouvernement que l’ANR et qui n’existe depuis lors que comme une agence de
notation mécanique : A+, A, B, C… ? Il est permis d’en douter : en cinq ans d’existence,
l’AERES n’aura jamais fait la démonstration de sa légitimité.

* Nouveauté intéressante : les procès-verbaux
des conseils de l’AERES sont en ligne http://www.aeres-evaluation.com/Publications/Documentation-on-the-Agency/Institutional-documents. Les citations
du texte ci-contre sont tirées du PV de la réunion
du 13 octobre 2011



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