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Etude expérimentale de l’excellence « L’intelligence collective, un travail d’équipe »(08/11/2010)

mmSNCS-FSU8 novembre 2010


« L’intelligence collective, un travail d’équipe »

Par Aucouturier Pierre, publié sur le site SLR et sur Médiapart le 4 novembre 2010.

L’intelligence collective, qui détermine les performances d’un groupe d’individus dans la réalisation de tâches cognitives diverses, dépend peu des intelligences individuelles mais surtout d’autres qualités telles que la « sensibilité sociale », l’égalité dans les prises de parole, et la proportion de femmes. C’est ce que démontre, dans une étude récemment publiée par la prestigieuse revue Science, Anita Woolley et ses collaborateurs (1), mettant sérieusement en question le dogme de l’« excellence » individuelle comme moteur de la performance des groupes sociaux. De façon remarquable, les groupes où la conversation est dominée par une ou deux personnes sont moins intelligents collectivement que ceux où la distribution de l’expression se fait de façon plus égale.

Au cours du siècle passé, les psychologues ont accompli des progrès considérables dans la définition et les méthodes de mesure de l’intelligence. Un facteur statistique unique, souvent appelé « intelligence générale », ressort d’études corrélatives des performances dans une grande variété de tâches cognitives. Le concept d’intelligence générale (Spearman, 1904 [2]) s’appuie sur plusieurs critères, en particulier la corrélation entre elles des performances des individus dans un ensemble de tâches diverses, et le fait qu’un facteur unique rend compte de la majorité de la variabilité des scores de performance. Ce facteur « g » est le principal élément que mesurent les tests d’intelligence, et son intérêt pratique est qu’il possède une bonne valeur prédictive pour de nombreuses questions et situations de la vie sociale. Cependant des activités telles que la recherche, la gestion et beaucoup d’autres sont effectuées bien plus souvent par des groupes que par des individus seuls. Il paraît donc utile de connaître les facteurs qui déterminent la performance d’un groupe.

Anita Woolley et ses collaborateurs ont utilisé une approche expérimentale et statistique classique d’évaluation de l’intelligence individuelle pour mesurer de façon systématique l’intelligence de groupes. Les participants, recrutés et payés pour les expériences, ont été étudiés individuellement puis par groupes en utilisant des batteries de tests basés sur des tâches simples, standardisées et adaptées aux questions posées. Le caractère prédictif des tests a été évalué à l’aide d’une tâche critère, distincte et plus complexe. Dans une première étude sur 40 groupes de 3 personnes, ils mettent en évidence un facteur « c » d’intelligence collective, répondant à des critères analogues à ceux du facteur « g » de l’intelligence individuelle, et capable de prédire raisonnablement les performances des groupes, alors que les intelligences individuelles moyennes ou maximales de chaque groupe n’ont pas cet effet prédictif.

Pour tenter de préciser la nature du facteur « c », les auteurs ont mené une seconde étude sur 152 groupes de tailles variables (2 à 5 personnes), utilisant pour l’intelligence individuelle un test différent, en complétant l’analyse de certains groupes par 5 tâches complémentaires, et avec une tâche critère différente de celle de la première étude. Cette puissante analyse confirme et renforce l’hypothèse d’un facteur général « c » unique, dont la puissance prédictive de la performance des groupes dans la tâche critère est nettement supérieure à celle des intelligences individuelles moyennes ou maximum. Surtout, elle apporte une série d’informations complémentaires.

Certains facteurs individuels et collectifs comme la cohésion, la motivation et la satisfaction, dont on pourrait attendre un impact, ne contribuent pas aux performances des groupes. Par contre, trois facteurs semblent déterminer l’intelligence collective : 1. la sensibilité sociale des membres du groupe, évaluée par un test consistant, en bref, à attribuer un état mental à une personne par l’observation de ses yeux ; 2. l’égalité de répartition de la parole entre les membres du groupe ; 3. la proportion de femmes.

Notons que dans des études précédentes comme dans celle-ci, les femmes avaient un meilleur score de sensibilité sociale.

Anita Woolley et ses collaborateurs concluent ainsi que l’intelligence collective dépend certes de la composition du groupe (on ne saurait nier que des individus médiocres seront difficilement performants…), mais aussi et surtout de la façon dont ses membres interagissent lorsqu’ils sont ensemble. Plus que l’évaluation individuelle, celle des groupes s’avère intéressante pour prédire l’efficacité d’une équipe. Autre conclusion positive, il pourrait s’avérer plus facile d’améliorer l’intelligence d’un groupe plutôt que celle d’individus, par exemple avec de meilleurs outils de communication interne.

Une étude scientifique de cette qualité (« excellente », disons le mot…) qui aboutit à de telles découvertes remet clairement en question l’évolution récente des systèmes qui gèrent l’évaluation, la sélection et la structuration de la recherche en France. En effet, le soutien des laboratoires s’appuie de plus en plus sur des critères individuels : prix et distinctions de ses membres, financements de type « European Research Council », facteur « h » de bibliométrie, etc.

Les chercheurs savent pourtant bien qu’au delà de leurs qualités individuelles, les découvertes sont toujours le fruit d’efforts collectifs. Hélas, la qualité du fonctionnement des équipes, autrefois analysée avec attention par les commissions du CNRS et de l’Inserm à l’occasion des contrats quadriennaux, s’efface devant la montée en force de la recherche sur projet (voir notre article précédent). Les comités scientifiques ad hoc nommés dans ce contexte, même s’ils déclarent porter leurs évaluations sur les projets eux-mêmes, jugent d’abord et surtout les porteurs de projets. Le contenu scientifique des dossiers est souvent négligé au profit de prétendus indicateurs d’excellence des individus.

Par ailleurs, la performance de ces comités d’évaluation, même lorsqu’ils incluent des chercheurs prestigieux, est souvent discutable comme le montre la médiocre qualité de certains résumés de discussion transmis par l’Agence Nationale de la Recherche -nous en avons quelques exemples étonnants. Il faut ici souligner, en rapport avec les résultats de l’étude citée ci-dessus, que la sensibilité sociale, la proportion de femmes et l’égalité d’expression peuvent faire cruellement défaut à ces comités, bien souvent dominés par un nombre restreint de personnalités -dont la présence s’explique parfois plus par leur position académique que par une expertise appropriée. Souhaitons que les découvertes d’Anita Woolley et collaborateurs inspirent de futurs concepteurs et décideurs du monde de la recherche plus intéressés par les objectifs de la science que la gratification des individus…

(1) Woolley AW, Chabris CF, Pentland A, Hashmi N, Malone TW. Evidence for a collective intelligence factor in the performance of human groups. Science 2010 Oct 29 ;330:686-8
(2) C. Spearman, The American Journal of Psychology 15, 201 (1904).
Pierre Aucouturier, biologiste, directeur d’équipe à l’Inserm et professeur à la faculté de médecine Pierre-et-Marie-Curie



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