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Déclaration SNCS-FSU sur le projet de loi ESR au CTMESR du 23/04/13.

mmSNCS-FSU23 avril 2013

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Le défaut de consultation du CTMESR sur le projet de loi relatif à l’enseignement supérieur et à la recherche a eu, entre autres défauts déjà signalés, celui d’empêcher les représentants des chercheurs, qui n’ont de sièges réservés qu’au CTMESR, de s’exprimer directement. Le SNCS-FSU considère, avec sa fédération et pour toutes les raisons globales qu’elle a déjà exprimées, avec d’autres, que la meilleure chose à faire serait de remettre entièrement le projet de loi en chantier(1).

Le SNCS-FSU souhaite néanmoins souligner les défauts particulièrement graves que comporte le projet de loi en ce qui concerne la recherche. C’est pourquoi le SNCS-FSU a récemment adressé aux parlementaires, à défaut de saisine du CTMESR, des demandes d’amendements. Ces demandes portent sur deux sujets qui tiennent particulièrement à cœur des chercheurs : l’évaluation de la recherche et l’existence des organismes de recherche nationaux.

Sur l’évaluation, malgré les déclarations magnifiques de madame Fioraso devant la commission des affaires culturelles de l’Assemblée nationale le 26 mars dernier, proclamant qu’il n’est pas question de céder aux nostalgiques de l’ordre établi par l’AERES et promettant une réforme « drastique », rien n’est fait sérieusement pour remplacer véritablement cette Agence d’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur qui a fait la quasi-unanimité contre elle, jusqu’à susciter la colère – rare – de l’Académie des sciences. Au contraire, la disposition du projet selon laquelle l’évaluation des unités de recherche pourra toujours être effectuée directement par le nouveau Haut conseil – ou la nouvelle Haute autorité – « en l’absence de décision conjointe des établissements dont relèvent ces unités » ouvre un boulevard à la généralisation, à nouveau, de l’évaluation directe. C’est peu de dire qu’on risque de retomber dans l’ornière où s’est enfoncée l’AERES, tout est écrit pour qu’on n’en sorte même pas !

On nous fait miroiter la possibilité de procédures d’évaluation des unités de recherche « par d’autres instances », mais qui va se charger d’orchestrer la « décision conjointe des établissements » rendue désormais obligatoire par la loi ? Qui va entreprendre de construire, cas par cas, des comités de visite des laboratoires si la loi offre la facilité de ne rien faire ? Où est là-dedans la différence d’avec la loi de 2006 qui autorisait déjà l’AERES à déléguer les évaluations et qui n’a conduit à rien en matière de délégation ? La différence entre le projet (qui ne nous est pas présenté) et la loi de 2006, s’il y a une différence, c’est que dans le système proposé, la délégation de l’évaluation aux instances d’établissement sera encore plus difficile, car elle sera conditionnée à cette fameuse « décision conjointe des établissements », qui sera en pratique le plus souvent introuvable.

Les amendements proposés par le SNCS-FSU peuvent faire l’objet d’un exposé en annexe, ils ont été largement diffusés, on peut s’y référer pour les questions de détail. Globalement, ce que révèle, dans le projet de loi (qui ne nous est pas soumis) le chapitre sur l’évaluation, c’est qu’il a été conçu délibérément hors de toute réalité de la recherche scientifique, sans prendre l’avis des chercheurs – le défaut de consultation du CTMESR est le couronnement de ce refus délibéré de consultation des personnels concernés – et en totale méconnaissance des procédés authentiques d’évaluation de la recherche scientifique.

L’évaluation des unités de recherche procède toujours au moins en deux temps. Il y a toujours d’abord une visite sur place, effectuée par un comité qui ne peut pas être celui qui visite tous les laboratoires. Il y a nécessairement ensuite une deuxième phase – phase qu’a toujours complètement ignorée l’AERES – phase délibérative au sein d’une autre instance qui doit, pour mériter son nom d’instance d’évaluation, travailler collégialement, comparativement (mais sans noter) et dans la transparence.

A cette aune l’actuel projet de loi n’est qu’un brouillon. Ce peut être une idée constructive de confier à une autorité indépendante l’organisation des comités de visite. Mais il faut borner la mission de cette autorité extérieure à une phase d’organisation de ces comités et d’organisation de l’instruction du dossier d’évaluation. Le rapport du comité d’experts, document intermédiaire, doit ensuite revenir aux instances d’évaluation permanentes, composées en majorité de pairs élus par la communauté concernée, car seules ces instances permanentes et représentatives sont capables d’effectuer l’évaluation proprement dite et de porter de façon responsable un jugement. Il faut distinguer la phase d’instruction et la phase de jugement ! En parlant de l’évaluation tout court, comme d’un bloc, à confier tout à l’une ou à l’autre institution, l’actuel projet de loi révèle à quel point ses rédacteurs sont coupés de la réalité de la recherche.

L’évaluation peut être une richesse, mais c’est un processus complexe, dans lequel les chercheurs et enseignants-chercheurs doivent jouer le rôle principal. Reconduire le schéma d’un Haut conseil dont les avis seront d’autant plus élevés qu’ils planeront haut au-dessus des réalités est un total contresens sur le désir d’évaluation intelligente qu’a exprimé la communauté scientifique aux Assises de la recherche et de l’enseignement supérieur de l’automne 2012. Il faut que la voix des chercheurs soit, sur cette question de l’évaluation, entendue et prise en compte. Il fallait donc au minimum qu’ils pussent s’exprimer au CTMESR.

Le deuxième point qui tient à cœur des chercheurs des établissements publics à caractère scientifique et technologique (les EPST), c’est l’existence de ces établissements eux-mêmes. Cette existence est aujourd’hui menacée et comme l’existence des corps de chercheurs publics est évidemment liée à l’existence des établissements, rien qu’à ce titre, le présent projet de loi aurait dû être présenté au CTMESR.

L’existence des établissements de recherche nationaux serait en effet mise à mal si la possibilité (donc bientôt l’obligation) était faite à ces établissements de passer contrat avec les nouvelles communautés locales. Or c’est ce que prévoit le projet de loi, au chapitre sur les CUE. Cette notion nouvelle de contrat local entre en conflit direct avec la vocation essentielle des établissements nationaux à passer contrat avec l’Etat et à ne devoir des comptes qu’à l’Etat ultérieurement. Les établissements nationaux peuvent, localement, passer des conventions, mais s’ils ne conservent pas, au-dessus des querelles de clochers, la maîtrise d’une politique nationale, ils risquent fort de perdre leur raison d’être et nous nos emplois.

Il y aurait encore beaucoup à dire, dans le détail, sur le reste du projet de loi ESR et ce n’est pas l’objet de cette déclaration ponctuelle. La critique en ce qui concerne spécifiquement la recherche ne serait cependant pas complète sans une dénonciation de l’obsession qui semble avoir saisi les rédacteurs du projet de loi en ce qui concerne la « stratégie nationale de recherche ». La stratégie nationale de recherche, dans l’ancien – c’est-à-dire l’actuel – Code de la recherche est, dans l’actuel article L111-6, une chose fort modeste. Il est juste question, dans cet article d’une seule phrase, de « choix en matière de programmation et d’orientation des actions de recherche (…) arrêtés après une concertation étroite avec la communauté scientifique, d’une part, et les partenaires sociaux et économiques, d’autre part. » Nous, chercheurs scientifiques, n’avons rien contre l’idée que le gouvernement, lorsqu’il distribue des moyens, doive faire des choix, et encore moins contre l’idée qu’il le fasse en « concertation étroite » avec nous.

Mais en comparaison de cela, la nouvelle rédaction de l’article L111-6 est un monstre. Cinq nouveaux alinéas – que je ne lirai donc pas ici – construisent une véritable usine à gaz destinée à mettre au point – et à faire évaluer a posteriori – une « stratégie nationale de recherche ». Cette chose-là est vraiment l’aveu d’une ignorance crasse de ce qu’est la recherche scientifique. Même pour la recherche appliquée – ne parlons même pas de la recherche fondamentale – la richesse vient de la liberté et du foisonnement des initiatives. Les succès sont multiples et multiformes. Ils ne dépendent pas d’une stratégie globale. C’est un étrange paradoxe, d’ailleurs de prétendre construire une stratégie « nationale » tout en dissolvant dans des politiques de site indéfinissables les organismes nationaux, alors que ceux-ci sont seuls à même de décrire correctement conjoncture et prospective scientifiques à l’échelle du pays …

Les inventions des chercheurs, les innovations des équipes, dans les laboratoires, sont les germes des découvertes véritables. La « stratégie nationale de recherche », c’est la promesse de répéter tous les ratages auxquels la planification de la recherche scientifique a toujours mené. Tel par exemple le « plan cancer » du président Nixon, qui avait promis en 1970 qu’on vaincrait le cancer avant dix ans … Malheureusement les gens qui nous gouvernent non seulement ne connaissent pas la recherche – combien sont authentiquement habilités à diriger des recherches ? – mais ne connaissent pas non plus l’histoire, pas l’histoire des sciences, en tout cas.

Telles sont les vérités sur la recherche, hélas complètement ignorées par le projet de loi actuellement en instance d’examen par le Parlement, qui eussent largement justifié que celui-ci fût soumis à notre comité technique du ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche. Il fallait qu’elles fussent exprimées ici.


(1)Comme l’a exprimé le CTMESR dans la motion suivante :

« Le CTMESR réuni ce jour demande le retrait du projet de loi Fioraso sur l’enseignement supérieur et la recherche (ESR), celui-ci ne répondant pas aux besoins d’un grand service public de l’ESR (voir déclarations liminaires) et n’opérant pas de rupture avec la politique précédente (lois LRU et « Pacte pour la recherche », qu’il faut abroger).

Le CTMESR demande l’ouverture de réelles négociations à la hauteur des enjeux et dénonce la procédure d’urgence pour débattre du projet à l’Assemblée nationale.

Le CTMESR dénonce le fait de ne pas avoir été consulté sur le projet de loi. »

Motion votée lors de la séance du 23 avril 2013 par 7 voix pour, 0 contre et 5 abstentions.



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