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Crédit d’impôt recherche : jusqu’où ira cette escroquerie aux fonds publics ? (14/09/09)

VRS14 septembre 2009

« Le crédit impôt recherche a été porté en France à un niveau inégalé dans le monde »

Georges W. Sarkozy

Par Henri Audier


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Le tout récent rapport (2 juillet 2009) de Gilles Carrez(1), UMP, rapporteur général de la commission des finances de l’Assemblée nationale, vient de donner un premier bilan sur le Crédit d’impôt recherche (CIR)(2). Ce rapport montre le scandale que constitue la réforme de 2008. Celle-ci rembourse aux entreprises le tiers de leurs dépenses de recherche, sans aucune évaluation, ni même discernement(3-5). En conséquence, le CIR double en trois ans : quatre milliards pour les gros requins et les petits oiseaux, les deux-tiers allant au secteur des services (banques, assurances, conseils). Pour donner un ordre de grandeur, recruter 60 000 personnes de plus dans l’enseignement supérieur et la recherche, en dix ans, coûterait 300 millions de plus par an.

Le Crédit d’impôt, de « l’incitation » au dumping fiscal

La situation de la recherche privée et de la production industrielle est mauvaise en France, notamment que le secteur privé investit beaucoup moins(6) dans sa propre recherche en France (1,1 % du PIB) qu’en Allemagne (1,7 %), qu’aux Etats-Unis (1,7) et qu’au Japon (2,6 %). Par contre, la France est déjà en tête pour aides, directes ou fiscales de l’Etat à la recherche privée(6) : « En cumulant subventions directes, commandes publiques et mesures fiscales, on constate que la France est, avec les États-Unis, le pays qui a soutenu le plus ses entreprises sur longue période », confirme le « Rapport Guillaume » de l’Inspection des finances7, et ce, bien avant l’envolée du CIR. Ces aides sont de trois types : (i) les aides directes (OSEO, pôles de compétitivité, Euréka) comme dans beaucoup de pays (un milliard) ; (ii) la sous-traitance des grands programmes militaires et technologiques (trois milliards), particularité de la France, du Royaume-Uni et des Etats-Unis ; (iii) enfin les aides fiscales, traitées ici, le CIR en premier lieu.

Le CIR, dégrèvement d’impôt pour les entreprises sur leurs dépenses de recherche, était à l’origine plafonné très bas, il avait pour but le développement de PME innovantes. Le plafond a été progressivement augmenté, mais, jusqu’en 2004, le dispositif attribuait un crédit d’impôt en proportion de l’accroissement des dépenses de R&D de l’entreprise, pour l’inciter à faire plus de recherche. Déjà cet effet incitatif était plus que contestable puisque nous avons montré2 qu’entre 2002 et 2006, les aides de l’Etat se sont accrues de 1,5 milliard et les dépenses de recherche des entreprises de 500 millions seulement.

Après une réforme intermédiaire, la réforme de 2008 prévoit que c’est l’ensemble des dépenses qui bénéficiera d’une défiscalisation de 30 %, enlevant ainsi tout effet incitatif. L’incitation n’est du reste plus l’argument majeur utilisé par V. Pécresse(4), mais « l’attractivité » pour « encourager le maintien sur le sol français des centres de recherche qui y sont aujourd’hui implantés. (…) Nombreuses sont les entreprises dans tous les secteurs d’activités, notamment les activités industrielles – le secteur automobile, les télécoms, l’aéronautique, la chimie, l’armement – qui ont exprimé leur soutien à ce dispositif ». Il s’agit aussi de « faire venir sur notre territoire les activités de recherche et développement actuellement conduites à l’étranger. (…) Récemment, Thalès, Saint-Gobain, mais aussi IBM, Microsoft, Intel et Yahoo ! ont annoncé l’ouverture de nouveaux laboratoires en France, en particulier pour y bénéficier du nouveau crédit d’impôt recherche ». Propagande encore, puisque Thalès vivant des marchés et subventions de l’Etat, ce dernier a assez de moyens de pression pour éviter la délocalisation de sa recherche. Quant à Microsoft, la firme elle-même a déclaré venir en France pour d’autres raisons, à savoir le « partenariat » avec l’INRIA. Donc, officiellement du moins, le CIR est justifié par le gouvernement comme une mesure de dumping fiscal, dumping dont on s’est assez plaint quand il était pratiqué par l’Irlande ou la Pologne grâce à la faible fiscalité sur les entreprises dans ces pays.

Avec la réforme de 2008, le CIR triple et passe à 4 milliards, plus le pourboire

« Aujourd’hui, le crédit d’impôt recherche (CIR) représente un investissement pour l’État de l’ordre de 4 milliards d’euros par an [en 2009] en créances fiscales. Cela se traduit par une dépense fiscale de 1,4 milliard d’euros [payés] en 2008″, telle est l’ampleur du désastre, d’après V. Pécresse(4) en réponse à une question du sénateur I. Renar(4) (24/06/09). Explication : « la créance », ou autorisation d’engagement, d’une année N est concrétisée en « dépense fiscale » années N, N+1 et N+2. Donc d’ici deux ans le CIR dépassera 4 milliards en « dépenses ». En d’autres termes, avec sa « réforme » de 2008, qui calcule le dégrèvement d’impôt sur le montant des dépenses de recherche, le CIR va plus que doubler en trois ans, dès lors que les entreprises acceptent de demander et de réceptionner le chèque qui les attend.

Pour encourager les entreprises à réceptionner le chèque, la loi prévoit un petit pourboire : la première année où le CIR est demandé, le dégrèvement d’impôt sera même de 50 % des dépenses de recherche, 40 % la deuxième année et « seulement » de 30 % après.

Et pour faire bonne mesure, le « Plan de relance », s’il ne contient que 46 millions pour la recherche(8), chiffre confirmé récemment par l’OCDE(9), offre généreusement 3,8 milliards aux entreprises comme paiement avancé pour les années précédentes, mais aussi pour « les entreprises qui ne réaliseraient pas de bénéfices en 2009 », et « un paiement anticipé de 1,5 milliard d’euros pour 2010(4) « .

Autrement dit, le crédit d’impôt qui était versé que par tiers les années N, N+1 et N+2 du fait des vérifications comptables (mais non scientifiques), sera versé par anticipation et sans aucune vérification. Ce paiement anticipé de 3,8 milliards du CIR fait dire à cette pauvre Pécresse que son budget 2009 augmente de 26 % ! Il n’est en fait qu’un prétexte pour renflouer la trésorerie des entreprises. Alors que celles-ci n’ont accru que de 500 millions leur recherche entre 2002 et 2006, il est totalement impossible qu’elles puissent utilement consacrer 3,8 milliards de plus à la recherche en un an, si ce n’est qu’une toute petite partie de cette somme. Il est aussi plausible que cette anticipation vise à camoufler la forte augmentation prévue des « dépenses » de CIR en 2010, les sommes déjà versées pour 2010 n’apparaissant plus au budget 2010. A suivre.

La bombe du Rapport Carrez

On en était là, quand le rapport Carrez(1) sort et nous apprend que le CIR ne sert que très partiellement à la recherche. Le rapport confirme d’abord que « le coût du crédit d’impôt est directement lié aux évolutions législatives du dispositif » et non à une augmentation de l’effort de recherche des entreprises.

Il indique ensuite , même si ce n’es pas une grande surprise, que « Le crédit d’impôt recherche bénéficie massivement aux grandes entreprises » et précise qu’en 2007, avant la « réforme », les PME touchaient 43 % du CIR. « Il apparaît que le gain de la réforme (…) sera concentré à près de 80 % sur les entreprises de plus de 250 salariés (…). A contrario, les PME n’obtiendront qu’environ 20 % ».

Mais la bombe du rapport réside dans la révélation que c’est le secteur tertiaire (banques, assurances, sociétés de conseil) qui est le grand bénéficiaire du CIR, apportant un démenti total aux propos de V. Pécresse cités plus haut : « On observe ainsi que l’industrie n’est pas la principale bénéficiaire du crédit d’impôt recherche. C’est le secteur des services qui (…) représente près des deux tiers des créances, en particulier les entreprises de services bancaires et d’assurances (…). Viennent ensuite les entreprises de conseil et d’assistance aux entreprises. La tendance lourde est bel et bien à une concentration de celui-ci [le CIR] sur les entreprises de services ».

C’est donc un secteur qui s’est illustré pendant des décennies par la production produits financiers douteux, par ses placements dans les paradis fiscaux, par la spéculation immobilière, les achat-vente d’entreprises, quand ce n’est pas le trafic d’armes, mais qui a laissé pourrir les inventions des laboratoires publics ou nombre de PME innovantes, qui est le grand bénéficiaire du CIR. Un secteur où des dirigeants, aux salaires scandaleux, ont été parfois pris les doigts dans le pot de confiture. Récemment encore, une banque voulait distribuer un milliard à ses traders. Et ce secteur, souvent à la limite du parasitisme social, est arrivé à dévoyer le CIR, plus encore qu’il ne l’était.

L’Etat paye content et sans évaluation

Comment est-on arrivé à ce dévoiement ? Pour le sénateur I. Renar, la cause vient  » des critères d’éligibilité au CIR qui demeurent très larges : le ministère rappelle ainsi que, je cite : « pour être éligible au titre du CIR, la création ou l’amélioration d’un produit, d’un procédé, d’un process, d’un programme ou d’un équipement doit présenter une originalité ou une amélioration substantielle ne résultant pas d’une simple utilisation de l’état des techniques existantes ». On peut s’interroger, d’une part, sur ce que recouvrent les termes d’« amélioration substantielle », et, d’autre part, sur les qualités des personnels qui seraient en mesure d’apprécier cette amélioration ».

C’est tellement imprécis que les rats se sont mis dans le fromage. Les financiers, les conseillers fiscaux, ont réussi à détourner les fonds et souvent d’abord vers leurs entreprises. Non qu’il n’y ait pas un contrôle fiscal des factures, mais parce qu’il n’y a pas un contrôle scientifique du contenu de ces factures. En effet, comme le souligne la Loi de finances 2009 consacré à la MIRES, l’Etat « ne dispose pas à ce jour d’études précises permettant d’évaluer l’efficience du crédit d’impôt recherche pour les finances publiques et les entreprises ». Ce que confirme Carrez : « contrairement aux procédures utilisées en matière d’aides directes, le CIR est accordé sur la base d’une simple déclaration ».

Pour répondre aux demandes d’évaluation du CIR, y compris par la Cour des Comptes, V. Pécresse avait procédé par un questionnaire relevant des QCM(3). Les questions les plus subtiles étaient en gros du type : « Etes vous content d’avoir reçu un cadeau de l’Etat » ou « Cela sert-il à quelque chose ». Il faut aussi noter que seules 8 % des entreprises ont répondu à ce questionnaire qui demandait cinq minutes pour être rempli, le tout pour une subvention de 4 milliards. Ce qui est le plus surprenant, c’est qu’à la question téléguidée visant à faire dire que le CIR sert à quelque chose (pour que le ministère puisse justifier ses largesses), il y a tout de même 40 % des entreprises qui avouent franchement que le CIR ne les a pas « incitées » à faire plus de recherche ; ne sont pas incluses, celles qui avaient compris qu’il fallait dire oui.

Il n’y a aucune raison pour que l’efficacité des fonds de l’Etat soit hyper-évaluée quand ils sont versés au public, mais non quand ils le sont au privé. Il est donc proposé dans un autre article(5), écrit avant que le rapport Carrez ait été connu par l’auteur, de créer une Agence d’évaluation de la recherche des entreprises subventionnées (AERES).

Une volonté du seul Sarkozy et … du Medef

Du rapport Beffa au rapport Guillaume, ceux qui ont travaillé sur le problème de la recherche industrielle ont conclu à l’inutilité du CIR. Le rapport Guillaume va même plus loin : « La solution ne réside pas dans l’augmentation du volume des incitations publiques. Les marges de manœuvre financières se situent à présent plutôt dans les redéploiements entre secteurs et le ciblage des mesures selon les types d’entreprises ».

Au-delà des syndicats, le rapport Carrez, qui vend volontairement la mèche (même s’il est possible qu’il se rétracte partiellement sous la pression), ne fait qu’illustrer le fait, qu’y compris à droite ou dans les administrations, le CIR rencontre beaucoup d’hostilité. C’est (involontairement) ce que nous apprend Sarkozy dans son discours du 09/12/08 à propos de l’Europe et l’innovation : « Il faut quand même le savoir, la France dispose maintenant du dispositif fiscal le plus attractif au monde en termes de recherche avec le CIR à 30%. Je le dis aux ministres de Bercy, quand on vient me dire ça coûte cher, non ça ne coûte pas cher, ça marche. Il faut quand même que certaines administrations se rendent compte : je ne peux pas avoir comme seuls choix des dispositifs fiscaux qui ne coûtent rien parce qu’ils ne marchent pas et dont personnes ne se plaint, et des dispositifs fiscaux qui coûtent entre guillemets chers parce qu’ils marchent. (…) Donc tant mieux si le CIR ça fonctionne. Je le dis aux commissions des finances, on l’a fait pour ça, ce n’est pas la peine de prendre une mine déconfite, il faut voir les rapports que je reçois, le crédit impôt recherche nous coûte de l’argent. Ah oui et qu’est-ce qu’ils nous auraient coûté comme argent tous les laboratoires de recherche qui seraient délocalisés si on n’avait pas fait le CIR à 30% ? Alors ce n’est pas la peine de se plaindre d’un grand succès ! Je souhaite pour la France et pour notre économie qu’on dépense encore beaucoup plus au service du CIR ». A droite, de mauvaises langues se plaignent de ne pouvoir rien faire. D’après certains, « la réforme du CIR résulterait de l’accord entre Sarkozy et le Medef avant les élections ».

Après le rapport Carrez, on ne peut plus se borner à demander un plafonnement relativement bas du CIR (pour qu’il profite avant tout aux PME innovantes) avec un contrôle scientifique de l’utilisation des fonds. Certes le contrôle est nécessaire, mais le rapport conduit l’auteur à la conclusion qu’il faut supprimer le CIR et le remplacer par un système efficace, transparent et évalué, servant uniquement la recherche. Et beaucoup moins onéreux. Peut-être pourrait-on revenir à la proposition des Etats généraux(10) proposant « la création d’un système de « crédit d’impôt flottant » pour inciter toutes les entreprises à investir dans la recherche : dans les secteurs prospères (banques, assurances, services, grande distribution, bâtiment), les entreprises faisant des bénéfices et qui consacrent moins d’un certain pourcentage, de leur chiffre d’affaire à la recherche, devront avoir une participation volontaire alimentant le budget des programmes sectoriels ».

Au fait, pour ceux qui font courir le bruit que le gouvernement s’est largement inspiré des Etats généraux pour sa politique, en voilà une nouvelle illustration. Tous deux s’intéressent aux banques, aux assurances et aux services. Sur ce point comme sur bien d’autres, il y a une toute petite différence : pour le gouvernement, il s’agit de les gaver ; pour les Etats généraux de les faire casquer. A ce détail près, c’est pareil.

(1) Gilles Carrez, Rapport d’information, Assemblée Nationale (02/07/09)
(2) http://www.sncs.fr/rubrique.php3?id_rubrique=1515. chapitre 6. Le crédit d’impôt recherche : arroser le sable.
(3) http://www.sncs.fr/article.php3?id_article=1838. Encore une pécresserie : l’efficacité du Crédit d’impôt évalué par QCM
(4) http://www.sncs.fr/article.php3?id_article=1889. CIR : le discours du sénateur Y. Renar et la réponse de la ministre (1/07/09)
(5) Dans la prochaine VRS, voir : Il faut créer l’Agence d’Evaluation de la Recherche des Entreprises Subventionnées (AERES).
(6) http://www.sncs.fr/rubrique.php3?id_rubrique=1515, chapitre 5. Le fiasco de la politique de recherche industrielle.
(7) Inspection générale des finances et Inspection générale de l’administration de l’éducation nationale et de la recherche: Rapport sur la valorisation de la recherche, janvier 2007 (Rapport « Guillaume »).
(8) http://www.sncs.fr/article.php3?id_article=1407&id_rubrique=17. La recherche ne représente que 0,23 % du « plan de relance ».
(9) http://www.sncs.fr/article.php3?id_article=1885. La France est le « cancre » international pour la recherche… d’après Les Echos et l’OCDE
(10) http://cip-etats-generaux.apinc.org/



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