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CIR : il faut mettre en œuvre immédiatement les économies considérables proposées par les rapports parlementaires

VRS7 juillet 2010

Après le rapport Christian Gaudin du Sénat (1), la mission de l’Assemblée nationale sur le Crédit d’impôt recherche (CIR) vient de remettre son rapport (2). C’est un travail considérable qu’ont fait les parlementaires, les trois rapporteurs notamment. En lisant le rapport, avec du temps et un bon tube d’aspirine, vous comprendrez tout sur le CIR.

À l’évidence, pour parvenir à des conclusions communes, les députés ont d’entrée fait un compromis : on ne touche pas au principe du CIR [ce n’est pas ce que préconise l’auteur de cet article pour le futur], mais on en élimine les truandages et les effets d’aubaine. Les critiques que nous avions formulées (3), comme celles du Syndicat unifié des impôts (4), ont visiblement été toutes étudiées. Il résulterait des propositions de ce rapport – qui convergent avec celles du rapport du Sénat – une économie immédiate de 1,3 milliard et de plus de 2 milliards à terme, soit un coût équivalent à 30 000 postes dans l’ESR. Nous n’en exprimerons pas moins des critiques lorsque le rapport affirme des pécresseries qui sont, par définition, sans fondements et/ou erronées.

L’essentiel tient dans la formule : « le coût du CIR est directement lié aux évolutions législatives du dispositif. (…) C’est la création puis l’accroissement du taux de la part en volume qui explique pour l’essentiel l’augmentation de son coût. S’agissant de la réforme de 2008, au triplement du taux de la part en volume s’est ajouté un déplafonnement total du crédit d’impôt, augmentant d’autant plus fortement son coût ».

par Henri Audier

1- Des mises en causes majeures qui devraient conduire à des économies considérables.

(i) Comme nous l’avions souligné d’après les chiffres publiés par le rapport Gaudin (3), une part du coût du CIR, et surtout sa progression récente, vient du fait que, pour rester en dessous le plafond de 100 millions de dépenses de R&D qui permet 30 % de déduction fiscale, les grands groupes ont créé une multitude de filiales. Le rapport propose de « calculer le plafond de 100 millions d’euros de dépenses éligibles au-delà duquel le taux de CIR est réduit à 5 %, à l’échelle du groupe et non plus à l’échelle de chaque filiale ». Économie : 390 millions.

(ii) Deuxième grande source d’économie potentielle : la mise en cause du mode de calcul. En effet, le CIR est calculé sur la base des dépenses de personnel de recherche, augmentée forfaitairement de 75 % pour le fonctionnement. Le rapport souligne à la fois la démesure de ce taux [qui ne représente que 15 % des dépenses au CNRS] et le fait que, s’il peut se justifier pour les secteurs de haute technologie, il est pratiquement nul pour les services. Cote mal taillée, mais économie importante (865 millions/an), le rapport propose « d’abaisser le forfait de droit commun applicable aux dépenses de fonctionnement de 75 % à 33 % tout en instaurant un régime de frais réels optionnel au-delà de ce forfait »

2- Des économies à terme : une définition plus stricte des critères, leur contrôle et l’évaluation de leur efficacité

(i) Le rapport affirme la nécessité d’appliquer strictement les critères du manuel de Frascati qui définit les coûts pouvant être pris en compte pour calculer le CIR. Il souligne que « dans la pratique, des confusions pouvaient être faites », mettant en cause au passage le rôle des onéreux cabinets-conseils. C’est bien cet aspect qui explique la part énorme des services dans le CIR au regard de leur recherche réelle au sens Frascati. Le rapport propose « d’établir une nouvelle instruction fiscale faisant directement référence au manuel de Frascati de l’OCDE afin d’expliciter l’éligibilité des dépenses de R&D au CIR ».

(ii) Le rapport reprend les critiques, notamment du Syndicat unifié des impôts, sur la faiblesse des contrôles fiscaux (« le CIR n’est pas un axe de contrôle ») et l’impossibilité, pour les agents du fisc, de vérifier si les déclarations correspondent bien à une activité de recherche. Il propose de « créer des équipes communes de contrôle du CIR entre les services fiscaux et les services du ministère de la recherche, au niveau central et dans les principales régions françaises. »

(iii) Il faut « améliorer les outils d’évaluation de la performance du CIR » affirment les rapporteurs qui ont « largement insisté sur la nécessité d’introduire un véritable dispositif d’évaluation de la performance des dépenses fiscales, assorti d’objectifs et d’indicateurs de performance pertinents ». Ils vont jusqu’à poser la question impertinente : « le CIR a-t-il eu pour effet d’accroître l’emploi des chercheurs ou les investissements en R&D en France ou d’accroître le salaire des chercheurs et/ou les tarifs pratiqués par les entreprises de conseils sur le CIR ? »
D’une certaine façon, le rapport reprend ce que nous suggérions dans l’article : « Il faut créer l’AERES : Agence d’évaluation de la recherche des entreprises subventionnées » (5) en vérifiant l’efficacité du CIR quant à ses conséquences (emploi, résultats, etc.)

(iv) Enfin, la commission s’est penchée sur la critique suivant laquelle le CIR ne parvenait souvent pas à ceux qui font la recherche. Elle « estime nécessaire d’introduire une obligation légale de réemploi minimal des créances de CIR au profit des entreprises ou des services des entreprises ayant réalisé les opérations de recherche ouvrant droit au CIR ».

3- Des pistes ouvertes et des questions en suspens

(i) Les parlementaires se sont interrogés sur d’autres pistes pour réduire le CIR, en particulier ils « partagent les doutes de leur collègue sénateur, M. Christian Gaudin, quant à l’effet d’entraînement d’un taux de CIR de 5 % au-delà d’un plafond de dépenses éligibles de 100 millions d’euros ». Toutefois, ils ne chiffrent qu’à un peu plus d’une centaine de millions l’économie qui serait ainsi réalisée. L’idée de plafonner à 50 millions le taux de remboursement ne rapporterait guère plus, du moins d’après eux.

(ii) La commission a abandonné un peu vite la piste d’un retour à un CIR basé sur la croissance des dépenses de recherche et non plus sur le total des dépenses. Toutefois elle constate que « les États-Unis ont institué un crédit d’impôt au titre de l’effort de recherche engagé au cours d’un exercice par rapport à un niveau minimum de dépenses de recherche engagées au cours de périodes de référence antérieures : le crédit n’est accordé que pour le montant des dépenses supplémentaires engagées dans la recherche, par comparaison avec celles constatées sur cette période de référence ». Semble-t-il, les parlementaires ont craint qu’en s’attaquant à « l’architecture » du CIR, leurs propositions immédiates d’économies ne soient pas prises en compte.

(iii) On reste pantois devant les fluctuations des données transmises par le ministère aux deux missions parlementaires quant à la part des services dans le CIR. Alors qu’on pouvait déduire des tableaux publiés par le rapport sénatorial que les services représentaient plus de 40 % du CIR (2,3), dans le tableau transmis aux députés, ce taux n’est plus que de 25 %. Il reste que ce secteur ne représentant que 12 % de la recherche française au sens du « manuel de Frascati », quelques centaines de millions sont à récupérer.

(iv) Le rapport sous-estime le gaspillage colossal qu’a constitué le « plan de relance » de 2009. Alors que le CIR n’était remboursé que trois ans après (sauf pour certaines PME), le remboursement anticipé du CIR, décidé par ce plan, a porté artificiellement à 5,8 milliards en 2009 les sommes perçues par les entreprises. Si, bien sûr, cette somme « a allégé la trésorerie des entreprises », elle n’a pu en aucun cas servir à la recherche, si ce n’est que marginalement. Ce paiement anticipé fait que le CIR payé va baisser en 2011 à 3 milliards et le Medef va encore se plaindre. Cela illustre bien le fait que, pour le gouvernement, le CIR n’est qu’un paramètre de l’aide indifférenciée aux entreprises.

(v) Les parlementaires se sont interrogés sur le « ciblage du CIR », c’est à dire réfléchir aux modalités pour que le CIR serve à quelque chose. Ils demandent de « caractériser les entreprises les plus intensives en R&D pour éventuellement prévoir un ciblage du crédit d’impôt recherche ». Il y est affirmé que « les entreprises de moins de 50 salariés seraient largement plus intensives en R&D en France qu’aux Etats-Unis ». Mais au-delà des intentions à terme, le rapport propose dans l’immédiat de « pérenniser le remboursement accéléré du crédit d’impôt recherche au profit exclusif des PME non intégrées fiscalement [PME indépendantes] ».

(vi) « La position française se trouve fragilisée par un mauvais positionnement sectoriel. En effet, la spécialisation industrielle de la France vers des secteurs traditionnellement peu utilisateurs de R&D explique son retard global en la matière par rapport à d’autres économies comparables ». Ce passage du rapport met l’accent sur l’aspect capital de la question sur lequel avait déjà insisté le rapport Beffa dès 2004, mais en vain. Même si elle tourne autour de la question, la mission ne fait pas de propositions sur le sujet. Les Etats généraux de la recherche de 2004 avaient proposé « un crédit d’impôt flottant » : les secteurs qui font peu de recherche / leur chiffre d’affaires (banques, assurances, pétrole, grande distribution), mais qui profitent du développement que procure la recherche des autres, paieraient une taxe. Cette taxe serait utilisée pour aider les secteurs très compétitifs des technologies d’avant-garde pour lesquels la recherche est une part importante du chiffre d’affaire.

(vii) Cela conduit à considérer, pour « un autre politique », qu’il conviendrait de supprimer l’actuel CIR qui ne correspond ni au besoin des secteurs de pointe, ni à celui des PME. En effet, le rapport sénatorial insiste sur la différence entre la recherche, qui est l’application stricte du manuel de Frascati, et l’innovation, qui n’y entre souvent pas. Or développer un produit nouveau, voire même son conditionnement, fait partie de l’activité de nombre de PME qu’il faut encourager. Le CIR serait utilement remplacé par (a) des programmes sectoriels ou territoriaux visant une réindustrialisation du pays ; (b) une panoplie d’aides aux PME en refondant le trop complexe système actuel ; (c) des formes de coopération entre recherche publique et privée qui ne soient pas des liens de subordination.

4- Des pécresseries parfois amusantes mais qui deviennent lassantes

Tels ces potaches de khâgne qui avaient parié d’introduire dans leur composition de philosophie, quel qu’en soit le sujet, la phrase « le diplodocus avait perdu ses lunettes », le rapport reprend, peut-être pour ne pas heurter la majorité, nombre « d’éléments de langage » (c’est de la novlangue) du gouvernement et de pécresseries habituelles sur le CIR

(i) « L’effort de R&D a bien été stimulé grâce au CIR… mais pas assez pour atteindre l’objectif de consacrer 3 % du PIB à la R&D » dit le rapport, en se félicitant comme le ministère que l’effort de recherche soit passé de 2,07 % en 2007 à 2,08 % en 2008. Belle phrase pécressienne, mais chacun peut calculer qu’à ce rythme, nous atteindrons 3 % en 2102 et non en 2012 comme s’y est engagé Sarkozy. Y a-t-il eu un problème de dyslexie dans la lecture des années ?

(ii) Pécresserie encore quand le début du rapport affirme « En conclusion, la mission constate que l’un des objectifs principaux de la réforme est atteint : les PME bénéficient de la réforme du CIR de 2008, tant par un effet d’entraînement (croissance du nombre de nouvelles entreprises bénéficiaires) que par le montant de l’aide attribuée ». Pourtant, dans la suite du texte, un rapporteur précise : « dans les faits, le nombre de holdings [filiales] bénéficiaires du CIR a plus que doublé entre 2007 et 2008, passant de 971 à 2 436 entre 2007 et 2008, tandis que la part des PME indépendantes a peu progressé – 6 314 en 2007 et 6 579 en 2008 ».

(iii) Pécresserie toujours (là, en citant avec prudence) quand il est écrit : « Selon le MESR, cette mesure [le doublement du CIR pour le salaire d’un docteur recruté] aurait déjà incité près de 30 % des entreprises bénéficiaires du CIR à recruter de jeunes docteurs ». Or la référence donnée renvoie à une enquête demandant aux chefs d’entreprises si la mesure les encourageait à recruter un docteur. Si 30 % ont répondu oui, seulement 862 sur 13000 d’entre eux l’ont fait, d’après les rapports du ministère lui-même. Et le coût de l’opération est passé de 0,2 % du CIR en 2007 à 0,5 % en 2008.

(iv) Pécresserie enfin quand il est dit que le CIR a « un coût comparable à celui des dispositifs équivalents dans certains pays ». Le rapport compare les 4,2 milliards de CIR en France pour 2008 aux 5 milliards du Japon et au 6 des USA, pour conclure « à un coût comparable ». Rappelons que les dépenses R&D des entreprises sont dans des rapports 1 / 4,3 /10 respectivement entre la France, le Japon et les USA. Certains se souviennent peut-être de ce dialogue (c’était à l’époque de la défunte Allemagne de l’Est). Ulbricht (l’ancien président de la RDA) : « vous avez beaucoup d’opposants en Chine ? » ; Mao : « Non, une vingtaine de millions seulement. » ; Ulbricht : « C’est comme chez moi ». A contrario, cela confirme le taux exceptionnellement élevé du CIR français qui s’ajoute à des aides directes au privé, qui sont les plus élevées au monde.

(v) Seul vrai argument pour le CIR, l’attractivité pour les laboratoires étrangers qui est soulignée. Mais les enquêtes de l’OCDE montrent que le premier facteur d’attractivité est une recherche publique puissante, des universités dynamiques. Pécresse laissera derrière elle un champ de ruines. Peut-on compenser un désastre par ce dumping fiscal qu’est aussi le CIR ? Et à quel coût ?

Pour terminer une question. Comment se fait-il que ces critiques faites par la mission parlementaire, nombre d’organisations les avaient formulées pendant des années mais sans avoir le moindre écho dans la plus grande partie des médias (même si des progrès sont réels depuis un an). Comment se fait-il que le moindre non-évènement orchestré par Valérie Pécresse fasse encore des articles en coupé-collé par des journaux qui se prétendent sérieux ? La démocratie reste à réinventer en France : pour ce faire, l’auteur va créer son bureau d’étude. Pas sûr d’avoir des résultats, mais au moins touchera-t-il le Crédit d’impôt recherche !

1 http://www.sauvonslarecherche.fr/IMG/pdf/CIR_Rapport_Senat_mai_2010.pdf
2 http://www.sauvonslarecherche.fr/spip.php?article3207
3 http://www.sauvonslarecherche.fr/spip.php?article3200 et articles précédents du site SLR
4 http://snuisudtresor.fr/gen/cp/dp/dp2010/Rapport_Credit_impot_recherche_juin_2010.pdf
5 page 41 de la VRS 378 http://www.sncs.fr/IMG/pdf/Vrs378.pdf
6 http://www.sncs.fr/article.php3?id_article=2348



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