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ANR : une institution hégémonique, condamnée par son ignorance de la démarche scientifique. SNCS Hebdo 12 n°1 du 25 janvier 2012.

mmSNCS-FSU26 septembre 2012


Par le bureau national du SNCS-FSU


L’ANR, qui aurait pu se cantonner au rôle de distributrice de financements complémentaires pour les projets émanant de la communauté scientifique, a désormais confirmé sa totale dérive vers une volonté de pilotage hégémonique de la recherche scientifique française. Irrespect total des établissements publics de recherche, ignorance délibérée des institutions de prospective scientifique préexistantes, mépris profond des personnels et incompréhension congénitale de la véritable nature de la recherche fondamentale sont ses marques de fabrique. S’y ajoute l’expression d’une idéologie profondément réactionnaire, qui transparaît en particulier dans la façon dont elle prétend dicter ses conclusions à la recherche en santé publique.

Emblème de l’irresponsabilité de l’Etat en matière de recherche publique, à la fois parce qu’elle permet à celui-ci de prétendre qu’il finance ses laboratoires alors qu’il jette les trois quarts de leurs projets au panier et parce qu’elle crée un vivier de chercheurs publics condamnés à une vie de précarité, l’ANR est devenue un monstre irrécupérable. La seule issue possible est désormais sa dissolution et la restitution des crédits qu’elle a accaparés aux organismes de recherche.

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Ce qu’est devenue l’Agence nationale de la recherche après six ans d’existence est hélas trop visible à la lecture de son document « Programmation 2011-2013 » mis en ligne il y a quelques semaines. Qui peut encore lire un tel monstre de 360 pages ? Manifestement personne, puisque l’objet en question est publié avec – incroyable mais vrai – un chapitre (on verra lequel plus loin) réduit à son titre !

Trois cent soixante pages de « programmation » de la recherche française pour une vision partielle et surtout très partiale du paysage. Le CNRS, qui a pourtant toujours – c’est un décret mis à jour en 2009 qui le dit – mission « d’identifier, d’effectuer ou de faire effectuer (…) toutes recherches présentant un intérêt pour l’avancement de la science ainsi que pour le progrès économique, social et culturel du pays » n’est cité que onze fois … Le Comité national de la recherche scientifique, qui a pourtant toujours (c’est le même décret qui le dit) mission de procéder « à l’analyse de la conjoncture scientifique et de ses perspectives » est superbement ignoré. L’ANR, telle le nénuphar dans le bassin, veut occuper toute la place.

La mégalomanie, c’est courant, annihile tout esprit d’analyse. L’ANR étale dans ce pavé toute son ignorance de la véritable nature de la recherche fondamentale. Les premières lignes qu’elle écrit sur son programme Blanc (censé soutenir celle-ci) décrivent – hélas ! – la recherche fondamentale comme une « compétition ». On ne dira jamais assez combien cette vision est bornée. La recherche scientifique est, aujourd’hui plus que jamais, une collaboration. Que la France doive y tenir son rang est un souci louable, mais certainement pas en considérant les autres pays comme des adversaires ! Le CERN, ITER, le groupe intergouvernemental d’experts sur le changement climatique sont des entreprises-phares de la recherche scientifique d’aujourd’hui et ce sont, au niveau mondial, des collaborations.

On ne peut évidemment généraliser la « culture de projet » (slogan de la même farine que « le chauffage et la lumière ») qu’en imposant un esprit de compétition … C’est, en matière de recherche scientifique, un consternant contre-sens. Binnig & Rohrer l’ont si bien évoqué dans leur discours Nobel : leur microscope à effet tunnel « en principe n’aurait jamais dû marcher ». De sorte que s’ils avaient dû soumettre leur idée a priori à quelque évaluateur de projet, ils n’auraient certainement jamais pu le construire ! Combien de prix Nobel allons-nous donc perdre à courir, à coups de projets bien polis, bien prévisibles et si peu scientifiques, après les bonnes grâces de l’ANR ?

L’ANR ignore la démarche scientifique de fond qui vise le progrès des connaissances. Elle n’est intéressée que par l’utilitaire. Le chapitre-mystère de son document de programmation est révélateur, de ce point de vue, comme un acte manqué. Car il s’agit de rien moins que le chapitre Progresser dans la science du vivant ! Sur la biologie tout entière, l’ANR n’a rien à dire, rien : zéro ligne, zéro page.

Mais au chapitre suivant, Faire face aux problématiques de santé publique, l’introduction du premier programme sonne comme une espèce de credo politique : « Lutter contre ces inégalités suppose une compréhension des déterminants sociaux de la santé (…) comment des empreintes enregistrées aux stades précoces de la vie modifient la susceptibilité ultérieure aux situations potentiellement pathogènes ». Les déterminants sociaux passent encore (quoiqu’on sente déjà un peu le cadre de pensée obligé) mais pourquoi nous focaliserions-nous, en France, sur le « stade précoce de la vie » ? Qui veut, en nous détournant vers des « empreintes » anciennes, empêcher la recherche de mettre au jour les injustices sociales d’aujourd’hui ? Proudhon avait déjà noté que l’exploiteur pouvait être absous de sa responsabilité sur la santé de ses ouvriers par (entre autres) le « pédantisme des savants »(1). Est-ce là le rôle dans lequel l’ANR veut nous cantonner ? La conception qu’elle nous sert ici de la santé publique semble bien dater de l’époque où « pour opprimer une classe, il [fallait] pouvoir lui garantir des conditions d’existence qui lui permettent, au moins, de vivre dans la servitude »(2).

Politique féodale sous-tendue par une pensée réactionnaire … Il faut abattre cette nouvelle Bastille de la rue de Bercy. Qu’on balaie cette idéologie d’Ancien régime, qu’on dissolve cette agence complètement fourvoyée ! Et qu’on en revienne à la république des chercheurs(3).


1 De la justice dans la révolution et dans l’église, t. II, P.-J. Proudhon, Garnier, Paris, 1858.
2 Le manifeste du parti communiste, K. Marx & F. Engels, 1848.
3 selon le mot d’H. Moureu, approuvé par F. Joliot-Curie, au comité directeur du CNRS le 18 sept. 1944. Cf. Quand la recherche était une république, M. Blay, Armand Colin, Paris, 2011.



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